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L’indépendance du Congo

Par Benjamin Hennon,

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Démontrer que dès le début de la colonisation, le mouvement vers l’indépendance s’est enclenché.
  • Citer les différentes formes de contestation coloniale avant la Seconde Guerre mondiale.
  • Expliquer pourquoi le colonisateur belge a organisé l’indépendance du Congo dans la précipitation.

2 ¦ Introduction

Le Congo, colonisé par Léopold II en 1885, puis par la Belgique en 1908 va connaitre son indépendance en 1960. Dés le début de la colonisation, il existe plusieurs formes de résistances. Ces mouvements de résistance, au Congo, prennent le plus souvent la forme de mouvements messianiques qui suscitent des troubles. Jusque dans les années 1950, il n’y a pas d’organisations politique qui structurent les mouvements de contestation dans la voie d’une émancipation politique. La Belgique se convainc que les Congolais sont incapables de gérer le pays seuls, et met tout en œuvre pour retarder l’inévitable. En 1958, il ne fait plus aucun doute quant à la volonté des Congolais de prendre en main leur destin loin de l’oppression coloniale. Dès lors, l’indépendance sera organisée dans la précipitation par la Belgique.

3 ¦ Troubles et résistances avant la Seconde Guerre mondiale

L’indépendance proclamée du Congo en 1960 est l’aboutissement de multiples processus sociaux, culturels, religieux et politiques qui remontent loin dans le passé.

L’annexion du Congo par la Belgique en 1908 n’a pas fait disparaitre la violence, le racisme, et les mouvements de résistance à la colonisation. La résistance va, au contraire, s’amplifier à la suite de la Première Guerre mondiale pendant laquelle les Congolais ont été lourdement mis à contribution en fournissant des matières premières aux alliés, dans les conditions épouvantables du travail forcé. Des Congolais vont également participer à des campagnes militaires contre les colonies allemandes.

Paul Otlet (1868 - 1944), créateur de la classification décimale universelle (CDU) est également un militant anticolonial.source: CEC-Bokundoli

Dès 1921, dans la région du Bas-Congo, où la présence coloniale est très marquée, Simon Kimbangu se présente comme un prophète venu pour libérer les peuples du Congo et la race noire du monde entier. Il déclare : «  j’étais envoyé pour libérer les peuples du Congo et la Race noire du Monde. L’Homme noir deviendra blanc et l’Homme blanc deviendra Noir. » Ses prédications ont du succès, et il commence à être suivi par de nombreuses personnes. Kimbangu représente une menace pour le pouvoir colonial qui l’arrête et le condamne à mort. Toutefois, la sentence est commuée en détention à perpétuité. La relégation du Prophète et de ses disciples à travers le Congo, loin de leurs terres natales, contribue paradoxalement à multiplier le nombre de ses disciples.

Paul Panda Farnana (1888 - 1930) est l'un des rares Congolais à avoir combattu au sein de l'armée belge en Europe. Il militera en Belgique contre la colonisation.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Panda_Farnana_enlisted_in_the_Belgian_army_in_1914_(cropped_photo).png

En 1921, le deuxième Congrès panafricain, d’inspiration anticolonialiste choisit de se réunir à Bruxelles sous la direction du Noir américain W.E.B. Du Bois. Le choix de la Belgique n’est pas anodin. Il fait suite aux critiques d’avant-guerre contre le régime brutal de Léopold II. Paul Panda Farnana (1888-1930),  agronome congolais formé en Belgique, y prend une part active ainsi que Paul Otlet (1868 – 1944), Belge anticolonialiste. Farnana est l’un des rares Congolais à avoir participé à la Première Guerre mondiale au sein de l’armée belge, dans une section congolaise. Farnana se voit en porte-parole du Congo belge à Bruxelles, et tente de sensibiliser les politiques et le grand public à la cause congolaise, en publiant de nombreux articles dans la presse, ainsi que des livres.

En 1927, Bruxelles est de nouveau choisie pour accueillir le « Congrès international contre l’oppression coloniale et l’impérialisme »  organisé par les communistes européens. Les représentants de ce congrès soutiennent Simon Kimbangu. Pour la première fois, des Africains et des Européens se retrouvent ensemble pour condamner la colonisation.

Le monde paysan congolais, connu pour ses manœuvres en vue d’échapper aux contrôles permanents de l’administration, entre à son tour sur la scène.  Écrasés par des impôts incessants et trop lourds, soumis à un rythme de travail épuisant pour la production de l’huile de palme dans les plantations des Huileries du Congo belge, les paysans du Kwango se soulèvent en 1931. L’évènement est connu comme « la révolte des Pende ». L’insurrection sera matée brutalement par le pouvoir colonial et fera au minimum 500 morts. Cette révolte alimentera la mémoire collective et servira de référence à d’autres insurrections.

Tout au long de la colonisation, les populations se révoltent de manière sporadique. Il faudra attendre les années 1950, pour qu’une organisation politique vienne structurer les mouvements.

4 ¦ Seconde Guerre mondiale et révoltes populaires

La Seconde Guerre mondiale est un moment d’accélération dans la décolonisation. La Belgique est occupée par l’Allemagne nazie et le gouvernement belge s’est réfugié à Londres. Le Congo va être soumis à une lourde pression afin de participer à l’effort de guerre. Des soldats vont être envoyé en Éthiopie, en Birmanie, à Madagascar. Le travail forcé qui n’avait pas disparu est amplifié afin de fournir les alliés en matières premières. L’uranium qui va servir aux bombes atomiques lâchées sur Hiroshima et Nagasaki provient des mines du Katanga. Les mauvaises conditions vont entrainer des mouvements de révolte, des grèves et des insurrections paysannes. Toutes seront matées violemment par le pouvoir colonial.  Parmi les principaux mouvements sociaux, on peut relever la grève générale des travailleurs de l’UMHK (Union Minière du Haut-Katanga), la plus grande entreprise coloniale, à Jadotville (Likasi), et à Élisabethville (Lubumbashi) en 1941 ; la mutinerie de Luluabourg (Kananga) en 1944 et la grève des dockers du port de Matadi en 1945-1946.

5 ¦ Le contexte socio-économique de l’après-guerre

Le radicalisme du peuple, durant la Seconde Guerre mondiale, tranche avec la modération des revendications exprimées par les « évolués », selon la terminologie coloniale. Il s’agit de petits fonctionnaires que le colonisateur prend plaisir à opposer aux « sauvages de la brousse ». Les « évolués » souhaitent surtout une amélioration de leur propre statut. Le colonisateur refuse de faire participer les Congolais au pouvoir, même dans les échelons les plus bas. Et devant la demande des « évolués » d’une plus grande participation, les Belges décident alors de renforcer l’influence de la chefferieFrustrés, les évolués vont se politiser et se radicaliser dans les années 1950.

Les évolués en congé.source: HO.2013.57.1014, collection MRAC Tervuren ; photo MRAC Tervuren Matanda. Les évolués en Conge 1956. Droits réservés.

Le radicalisme du peuple, durant la Seconde Guerre mondiale, tranche avec la modération des revendications exprimées par les « évolués », selon la terminologie coloniale. Il s’agit de petits fonctionnaires que le colonisateur prend plaisir à opposer aux « sauvages de la brousse ». Les « évolués » souhaitent surtout une amélioration de leur propre statut. Le colonisateur refuse de faire participer les Congolais au pouvoir, même dans les échelons les plus bas. Et devant la demande des « évolués » d’une plus grande participation, les Belges décident alors de renforcer l’influence de la chefferieFrustrés, les évolués vont se politiser et se radicaliser dans les années 1950.

Les conditions de vie des Congolais sont assez mauvaises. Devant la pression de l’ONU, et afin de suivre le mouvement initié par les autres colonisateurs, la Belgique développe un Plan décennal (1949-1959) afin d’améliorer les conditions de vie des Congolais. Le plan va provoquer une forte croissance, et va consolider l’infrastructure économique de la colonie,  toutefois il n’est pas parvenu à remédier aux déséquilibres et à la vulnérabilité de l’économie congolaise. Le pays est toujours obligé d’importer des denrées alimentaires jusqu’à l’indépendance, et au-delà. Le coût des réformes est élevé, car en dehors de la croissance économique, rien n’a jamais vraiment été entrepris pour le bien-être des populations.  De plus, ce cout élevé des réformes sera supporté par le Congo seul, laissant les économies de la colonie dans un mauvais état au moment de l’indépendance.

Les conditions de vie des Congolais sont assez mauvaises. Devant la pression de l’ONU, et afin de suivre le mouvement initié par les autres colonisateurs, la Belgique développe un Plan décennal (1949-1959) afin d’améliorer les conditions de vie des Congolais. Le plan va provoquer une forte croissance, et va consolider l’infrastructure économique de la colonie,  toutefois il n’est pas parvenu à remédier aux déséquilibres et à la vulnérabilité de l’économie congolaise. Le pays est toujours obligé d’importer des denrées alimentaires jusqu’à l’indépendance, et au-delà. Le coût des réformes est élevé, car en dehors de la croissance économique, rien n’a jamais vraiment été entrepris pour le bien-être des populations.  De plus, ce cout élevé des réformes sera supporté par le Congo seul, laissant les économies de la colonie dans un mauvais état au moment de l’indépendance.

À partir de 1955, on assiste à une accélération du processus d’indépendance.  Les liens traditionnels entre l’État, l’Église et les entreprises privées commencent à se défaire pour de multiples raisons, propres au contexte belge, et international. Le contexte économique et social se détériore à partir de 1957, en particulier à cause d’une forte croissance démographique, et à l’augmentation de l’exode rural. De plus, le contexte africain et les indépendances comme celle du Ghana en 1957 commencent à produire leur effet dans la colonie belge. Toutefois la Belgique refuse toujours de voir l’évidence. Des Congolais vont commencer à prendre position, et un auteur comme Paul Lomami Tshibamba est obligé de s’exiler à Brazzaville pour publier son roman qui est une critique de la colonisation.

6 ¦ L’accélération de l’histoire

Au Congo, le mouvement d’indépendance s’accélère. L’influence de l‘Église kimbanguiste s’étend de plus en plus. Dans les années 1950, son message est plus politique et elle possède des possibilités d’action élargies. En 1956, alors que les mouvements d’indépendance s’accélèrent dans les colonies britanniques et française, Jef Van Bilsen va publier, dans une revue catholique belge, une proposition de plan d’émancipation de 30 ans pour le Congo. Ce plan va connaitre un retentissement en Belgique, et au Congo. Il entraine la stupeur dans les milieux coloniaux, et suscite différentes réactions parmi les Congolais. Cette idée d’émancipation, formulée par un Belge, est accueillie favorablement, mais le délai parait  trop important.

Suite à la publication du plan, la revue Conscience Africaine publie un manifeste qui est favorable sur le principe au plan de Van Bilsen. Le manifeste estime que l’avenir du Congo réside dans  « la synthèse de notre caractère et de notre tempérament africain avec les richesses foncières de la civilisation occidentale »Toutefoisl’Abako (Association des Bakongo)  publie un contre-manifeste dans lequel elle se montre intransigeante, et ne veut pas attendre 30 années de plus pour obtenir l’indépendance. À ces mouvements  chrétiens, vient s’ajouter un mouvement plus radical : le MNC (Mouvement national congolais) fondé par Patrice Lumumba en 1958. Rare parti congolais à avoir une base nationale. La plupart des formations ont une assise régionale. Lumumba déclare : « L’indépendance que nous réclamons ne doit pas être considérée par la Belgique comme un cadeau qu’elle nous ferait. Il s’agit de la jouissance d’un droit que le peuple congolais avait perdu. » De nombreux autres partis politiques vont apparaitre.

7 ¦ Le 4 janvier 1959, événement fondateur

Des émeutes éclatent dans plusieurs endroits au Congo en 1959.source: HP.1959.28.68, collection MRAC Tervuren ; photo C. Lamote (Inforcongo), 1959, MRAC Tervuren ©

Le 4 janvier 1959, des émeutes éclatent à Léopoldville (Kinshasa) suite à l’interdiction d’un meeting de l’Abako. Elle entraineront trois jours de pillages qui feront officiellement 42 morts et 250 blessés parmi les Congolais. Des grèves et des insurrections éclatent partout. De plus en plus de Congolais refusent de payer l’impôt. Des leaders congolais comme Kasavubu et Lumumba sont arrêtés.

La Belgique ne sait pas quoi faire face à cette accélération de l’histoire. L’africanisation des cadres de l’armée et de l’administration a seulement commencé. La Belgique ne veut pas recourir à la force pour rétablir l’ordre dans sa colonie. Les exemples français avec l’Algérie notamment ne l’incitent pas à aller dans cette voie. Elle doit dialoguer avec les Congolais.

8 ¦ Les Tables rondes de Bruxelles

Après réflexion, la Belgique décide d’organiser deux conférences avec les représentants congolais afin de mettre en œuvre l’indépendance du Congo. Les Belges ne préparent pas beaucoup ces réunions, car ils misent sur les faibles connaissances politiques des Congolais, et sur les divisions entre Congolais.

Après un long combat, les Congolais obtiennent l’indépendance de leur pays.source: HP.1959.28.821, collection MRAC Tervuren ; photo J. Makula (Inforcongo), 1959, MRAC Tervuren ©

A. La Table ronde politique (20 janvier – 20 février 1960)

La Table ronde politique réunit des représentants belges et congolais. Les Congolais font bloc en créant un front commun et demandent la libération de Patrice Lumumba. Cette réunion constitue l’étape décisive du transfert de la souveraineté aux Congolais par le pouvoir colonial belge. C’est là que l’on fixe la date du 30 juin 1960 comme jour de l’indépendance totale du Congo. On élabore également les structures du futur État, maintenu dans ses frontières de 1885.

En 1960, à Bruxelles, lors de la Table ronde politique, les Congolais s’organisent en front commun.source: HP.1960.4.86, collection MRAC Tervuren ; photo R. Stalin (Inforcongo), 1960, MRAC Tervuren ©

La Belgique va essayer de maintenir son influence. Elle propose le roi Baudouin comme nouveau chef de l’État, ce qui sera refusé, puis propose de garder certaines compétences, ce qui sera aussi refusé. Se rendant compte que cette démarche ne porte pas ses fruits, les autorités belges vont alors décider de s’appuyer sur certains politiques congolais favorables à leurs intérêts afin de pouvoir continuer à dicter leur volonté après l’indépendance.

B. La Table ronde économique, financière et sociale (26 avril – 16 mai 1960)

La Table ronde économique, financière et sociale ne connait pas la même affluence, les principaux leaders ayant regagné précipitamment le Congo en vue de préparer les élections. La discussion de ces dossiers cruciaux est confiée à des conseillers congolais, pour la plupart des étudiants  vivant en Belgique, sous l’influence des politiciens, financiers et experts belges. Les négociations n’aboutissent pas et la question centrale du système économique est reportée à plus tard.

9 ¦ L’indépendance du 30 juin 1960

Les élections organisées dans un climat de fièvre politique consacrent la victoire du MNC, et Lumumba devient Premier ministre. Il doit former le nouveau Gouvernement. Lumumba va détenir l’essentiel du pouvoir exécutif. Joseph Kasa-Vubu devient, lui, président de la République du Congo, dans un rôle plus effacé.

Le 30 juin 1960, au Palais de la Nation à Léopoldville, en présence du roi Baudouin, et du président Joseph Kasa-Vubu, l’indépendance du Congo est enfin proclamée. Au cours de cette cérémonie, le roi Baudouin et le président Joseph Kasa-Vubu lisent les discours prévus au programme du jour et vantent les mérites de la colonisation belge. De manière inattendue et à la surprise générale, le premier ministre Patrice Lumumba lit un discours qu’il avait secrètement préparé et qui dresse un bilan critique du système colonial. Lumumba apparait de plus en plus aux yeux des Belges, et des Occidentaux comme un danger pour leurs intérêts.

Le 30 juin 1960, alors que ce n’était pas prévu, Lumumba va tenir un discours qui dénonce la colonisation.source: HP.1960.4.622, collection MRAC Tervuren ; photo J. Makula (Inforcongo), 1960, MRAC Tervuren ©

Le jour de l’indépendance, de grands défilés hauts en couleur sont organisés partout, jusque dans les moindres villages. Partout, les Congolais célèbrent l’indépendance au rythme de la chanson ‘Indépendance cha cha’ du chanteur Joseph Kabasele, qui avait suivi à Bruxelles les travaux de la Table ronde politique, accompagné de son orchestre ‘African Jazz’.

Alors que la transition du pouvoir s’effectue de manière pacifique, les lendemains de l’indépendance vont entrainer le pays dans une guerre civile (mutinerie de la Force publique, sécession du Katanga, et du Kasaï, assassinats politiques).

10 ¦ Résumé

Tandis que l’Afrique est partout secouée par les soubresauts de l’indépendance, le gouvernement belge qui n’a ni envisagé ni planifié l’émancipation politique de sa colonie, sous forme d’un régime de transition, est surpris par les émeutes du 4 janvier 1959 dans la capitale. Celles-ci sonnent le glas de la colonisation belge.

L’indépendance du pays est prononcée le 30 juin 1960, avec un parterre d’invités dont la délégation belge conduite par le roi des belges et les officiels Congolais. Cette indépendance est le fruit d’un long processus à la fois culturel, social, religieux, politique et économique. Elle est très bien accueillie par de nombreux Congolais qui espéraient qu’une ère nouvelle de bonheur, de paix et de développement va commencer.

Cependant, miné par les actions subversives des anciens colonisateurs et par les convoitises et les menées souterraines des grandes puissances, le Congo indépendant devient un espace géostratégique où vont se jouer les luttes entre blocs idéologiques dans le contexte de la guerre froide.

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La décolonisation de l’Afrique

Par Benjamin Hennon,

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Expliquer les facteurs favorables à la décolonisation des Etats africains.
  • Discuter des différentes décolonisations selon les régions africaines.
  • Expliquer ce qu’est le panafricanisme, et l’intérêt qu’il comporte toujours de nos jours.
  • Expliquer la particularité du nationalisme en Afrique.
  • Démontrer que la décolonisation n’est pas un cadeau fait par les colonisateurs, mais un long combat des Africaines, et des Africains.

2 ¦ Introduction

La décolonisation désigne le processus de changement multiforme par lequel le peuple d’un pays colonisé use de tous les moyens pour se débarrasser de la domination et de l’exploitation étrangères. Cette émancipation résulte, selon le cas, de la violence (émeutes, insurrections, lutte armée, guerre de libération) ou de méthodes non violentes mobilisées par des partis politiques ou des mouvements sociaux.

Au XXe siècle, la décolonisation va commencer en Asie après la Seconde Guerre mondiale, et va gagner l’ensemble du continent africain. Elle est le fait des femmes et des hommes qui ont résisté et milité pour obtenir leur indépendance. Des facteurs internes et externes permettent de comprendre cet évènement important du XXe siècle.

Les pays africains vont obtenir leur indépendance, principalement autour de 1960.

3 ¦ Les facteurs favorables à la libération des peuples africains

3.1. Les peuples africains et le « nationalisme »

Dès le XIXe siècle, les peuples africains ont fait preuve de résistance face à la colonisation européenne. Des résistances, et des révoltes armées voient le jour durant toute la période coloniale, et dans toute l’Afrique. Des résistances « passives » comme le fait de ne pas respecter les règles imposées par le colonisateur, de fuir le travail forcé, de perpétuer les coutumes anciennes malgré leur interdiction sont aussi présentes durant toute la période coloniale. Elles sont l’œuvre des anciennes élites qui ont perdu leur pouvoir à cause de la colonisation, ou des peuples de manière générale qui ne supportent pas la domination européenne.

Aimé Césaire est à la base du concept de "négritude"source: https://commons.wikimedia.org

Toutefois, ces résistances, et ces révoltes ne sont pas organisées à grande échelle, mais se situent à des niveaux locaux, et rarement au même moment. Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale, et les années 1950, pour qu’une organisation politique « nationaliste » vienne véritablement structurer les résistances et les révoltes en Afrique. La conscience nationale n’existe pas avant cette période (et même parfois encore après l’indépendance), car les frontières des colonies ne tiennent pas compte, à de rares exceptions, des structures politiques préexistantes.

La formation scolaire va entrainer l’apparition d’une classe d’intellectuels qui n’hésitera pas à retourner contre les colonisateurs les acquis intellectuels et idéologiques qu’ils leur ont fournis, surtout dans les années 1950. Ce sera principalement le cas dans les colonies britanniques, puis françaises et néerlandaises. Les Belges et les Portugais, eux, limiteront au maximum le développement d’un enseignement (secondaire et supérieur) afin de ne pas être confrontés, pensent-ils, à ces problèmes. Ces intellectuels qui se trouvent en Afrique et en Europe créent des partis politiques, des syndicats, et des associations culturelles. À Paris, par exemple, une diaspora d’étudiants africains, proches de la gauche politiquement (ensemble des groupes, et partis favorables à l’application maximale des réformes démocratiques, politiques, sociales, et à la solidarité internationale), édite des revues, des journaux, et élabore le concept de négritude. Toutefois, lors de l’apparition de partis, et des journaux. Le pouvoir colonial  réagit par la répression,  et par l’arrestation des leaders.

3.2. Le panafricanisme

Le panafricanisme est courant de pensée et un mouvement dont le premier congrès se tient en 1900 à Londres lors d’une conférence organisée par le Noir américain William E. B. Du Bois. À l’origine le mouvement entend défendre la « race africaine » aussi bien en Afrique que dans le reste du monde. Par la suite, il militera pour la création d’une unité africaine aussi bien politiquement qu’économiquement.

On distingue habituellement deux grandes périodes du panafricanisme. De 1900 aux années 1945, et de 1945 à 1963.  La première période est surtout le fait de Noirs de la diaspora et principalement des États-Unis. Le mouvement va toucher les Africains à partir de 1920, mais surtout dans les colonies britanniques, car certains, dont Kwame Nkrumah (futur leader du Ghana indépendant), vont étudier aux États-Unis, et en Grande-Bretagne et répandent les idées sur le continent africain. Dans les colonies belges, et portugaises, avant la Seconde Guerre mondiale, les colonisés n’ont pas le doit de circuler en dehors des colonies. Dès lors les idées panafricanistes ne se diffusent pas. Dans les colonies françaises, le mouvement sera également limité malgré une plus grande mobilité vers la métropole. Avant la Seconde Guerre mondiale, le mouvement ne parle pas d’indépendance africaine, mais lutte contre les discriminations raciales (notamment aux États-Unis), prône l’amélioration des conditions de vie, et le de développement intellectuel des Noirs du monde entier. La Première Guerre mondiale change la donne. Une partie du mouvement reste attaché aux premiers principes comme Du Bois, mais deux nouveaux courants apparaissent : un, animé par le Jamaïquain Marcus Grey préconise le retour à la « mère patrie » africaine pour les Noirs, l’autre, représenté par George Padmore, est très influencé par le communisme. Toutefois, le courant panafricaniste dominant reste modéré. Le mouvement agit comme un groupe de pression auprès des partis politiques, et des gouvernements.

Kwame Nkrumah (1909 - 1972) prend la tête du mouvement panafricain après la Seconde Guerre mondiale.source: https://commons.wikimedia.org

La deuxième période, à partir de 1945, commence avec le Congrès panafricain de Manchester. Le mouvement panafricaniste revendique l’autonomie et l’indépendance pour les Africains. Kwame Nkrumah et George Padmore prennent la tête du mouvement. Le panafricanisme ne s’intéresse plus aux seuls Noirs, mais devient un projet politique intégrant l’ensemble du continent africain. Pour Nkrumah, l’unité de toute l’Afrique est nécessaire économiquement, et politiquement. Économiquement, l’Afrique serait plus forte avec une prise de décision à l’échelle du continent, ce qui permettrait d’éviter les concurrences néfastes et profiterait à toutes les régions du continent. Politiquement, cela permettrait d’éviter au moment des indépendances, un néo-colonialisme et la main mise des puissances étrangères  sur les pays nouvellement indépendants. Toutefois, la vision de Nkrumah n’est pas partagée par l’ensemble du mouvement, et des Africains.

Les colonisateurs, eux, sont hostiles au panafricanisme, car il peut créer une lutte commune anticoloniale, et affaiblirait la mainmise de ces pays sur les anciennes colonies lors de leur indépendance. La France, notamment, met la pression sur les dirigeants africains comme Houphouët-Boigny pour ne pas rejoindre le mouvement. Senghor, lui, cultivera le panafricanisme sur le plan culturel.

Différentes visions s’opposent sur le panafricanisme une fois les indépendances obtenues vers 1960. Certains soutiennent Nkrumah, d’autres sont plus modérés. C’est ce dernier courant qui l’emporte. En 1963, au Sommet d’Addis-Abeba, on s’accorde sur la nécessité d’une concertation entre États africains, mais aussi peu contraignante que possible, les frontières coloniales sont considérées comme intangibles, et on condamne l’ingérence dans les affaires intérieures des États.

3.3. Les deux guerres mondiales, l’ONU, et le nouvel ordre mondial

A. Les deux guerres mondiales
Des troupes africains vont se battre pour les Britanniques au Myanmar.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:African_Troops_in_Burma_during_the_Second_World_War_SE1884.jpg

Pendant la Première Guerre mondiale, des soldats africains vont combattre pour la Grande-Bretagne et pour la France en Europe. La plupart seront enrôlés de force, et se mutineront à plusieurs reprises. La Belgique refuse d’employer des soldats noirs sur son sol. Les soldats vont constater que le Blanc qu’on leur présentait comme invincible et supérieur, peut, non seulement être battu, mais n’est pas plus fort qu’eux. Certaines promesses du colonisateur pour inciter les Africains à combattre ne seront pas tenues après le conflit, ce qui suscitera de la rancœur, mais on n’assiste pas à la naissance d’un véritable mouvement indépendantiste.

La Seconde Guerre mondiale va par contre marquer un tournant dans la décolonisation. Les combats gagnent l’Afrique, et les Africains contribuent encore plus, en termes de soldats, mais aussi de matières premières à alimenter le conflit. Les défaites françaises, belges, et britanniques montrent à quel point les Européens sont fragiles, loin de l’image invincible qu’ils défendent. Le travail forcé est imposé dans la plupart des colonies, ce qui provoque des révoltes qui seront matées dans le sang. Des mouvements « nationalistes » se développent dans les différentes colonies. De nouvelles promesses non tenues vont alimenter la rancœur et le désir de s’émanciper de la tutelle européenne. En Asie, d’ailleurs, le lendemain de la Guerre entraine des guerres d’indépendance, notamment en Indonésie, et en Indochine.

B. L’ONU

La Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 contient des principes favorables à la promotion des droits des peuples et à la protection des libertés fondamentales. Toutefois, la France parvient à interdire toute intervention de la part de l’ONU dans les affaires intérieures des États. À ces débuts, l’ONU n’occupe donc qu’une place modeste dans la décolonisation. Toutefois, les colonies s’appuient sur la charte de l’ONU pour justifier leur lutte.  Avec l’accession de plus en plus importante d’anciennes colonies à l’indépendance après la Seconde Guerre mondiale et surtout autour de 1960, le nombre de pays anciennement colonisés augmente à l’ONU qui devient alors une tribune pour l’anticolonialisme. Ces pays se rassemblent et parviennent à mettre en place « Le Comité de décolonisation » qui œuvre à la décolonisation des territoires toujours soumis à l’autorité occidentale.

C. Le nouvel ordre mondial

La fin de la Seconde Guerre mondiale consacre l’avènement des deux grands vainqueurs du conflit : les États-Unis, et l’URSS. Les pays colonisateurs perdent leur place de grandes puissances, et dépendent des aides financières américaines pour leur reconstruction. Les États-Unis et l’URSS s’opposent à la colonisation pour des raisons diverses et sont favorables à la fin des empires coloniaux. Les États-Unis font référence à leur propre histoire pour défendre leur position anticoloniale. En effet, les États-Unis sont une ancienne colonie britannique. Toutefois, la comparaison avec les colonies du XXe siècle s’arrête là. En effet, les Américains qui ont lutté pour l’indépendance étaient des colons blancs, et pas des colonisés, et ont eux-mêmes mis en place un esclavage puis une ségrégation raciale néfaste pour les Noirs. De plus, les États-Unis sont eux-mêmes une puissance coloniale en ayant mis la main sur les Philippines, Hawaï, ou encore Puerto Rico.  Quoi qu’il en soit, les États-Unis considèrent le système colonial comme arriéré, et comme un frein pour le libre commerce, cher à l’idéologie américaine.

« Africa is fighting, Africa will win! » L’URSS soutient la décolonisation de l’Afrique en espérant attirer les pays indépendants dans sa sphère.source: Victor Koretsky, Affiche de propagande soviétique : "Africa is fighting, Africa will win!, 1971 (https://fr.rbth.com/histoire/83832-relations-urss-afrique), droits réservés.

L’URSS, et le communisme dans sa globalité ont toujours été contre la colonisation, symbole, à leurs yeux, du capitalisme occidental. De nombreux partis communistes militent, dès le début, contre la colonisation. Une branche du panafricanisme est d’ailleurs très influencée par le communisme. L’URSS sous Staline soutient théoriquement la fin des empires coloniaux, mais ses successeurs seront plus actifs, surtout pour ne pas laisser à la Chine populaire, dont le régime est communiste, le monopole de l’anticolonialisme.

Au-delà des convictions théoriques des deux superpuissances, il y a également une volonté de mettre la main sur les anciennes colonies qui joueront un rôle important durant la Guerre froide (1945 – 1991), en établissant les sphères d’influence des deux grandes puissances, bien que la plupart des pays nouvellement indépendants revendiquent un statut de non-aligné.

3.4. Le mouvement anticolonial international

A. En Europe

En Europe aussi des critiques s’élèvent contre la colonisation, et ce, dès le XIXe siècle. Toutefois, le mouvement est globalement impuissant et discret. L’impérialisme triomphe dans les sociétés européennes. Déjà avant la Première Guerre mondiale, l’anticolonialisme se retrouve à gauche de la sphère politique. Les partis socialistes critiquent les abus, comme Émile Vandervelde en Belgique, mais sont surtout partisans d’un réformisme plutôt que d’une suppression totale du colonialisme. L’accès des travaillistes au pouvoir en Grande-Bretagne dans les années 1920 ou le Front populaire en France dans les années 1930 n’apporteront que peu de changements à la situation coloniale. Les partis communistes, eux, considèrent le colonialisme comme une manifestation du capitalisme et y sont formellement opposés. Toutefois, au sein des principaux pays colonisateurs, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, ces partis pèsent peu de poids. Et outre un anticolonialisme de fait, les partis communistes s’intéressent davantage à la situation en Europe que dans les autres continents. Après la Seconde Guerre mondiale, l’anticolonialisme va toucher de plus en plus l’opinion publique dans la société européenne, même si certains défendent ardemment les empires coloniaux.

Toutefois, les communistes, et en particulier le Parti communiste français, probablement le parti communiste le plus important parmi les puissances coloniales, vont contribuer à former et à soutenir les révolutionnaires. En 1927, le premier congrès contre le colonialisme et l’impérialisme va se tenir à Bruxelles à l’initiative des communistes européens. Il rassemblera des intellectuels européens comme Einstein, mais aussi des représentants des peuples colonisés comme Nehru, futur premier ministre de l’Inde indépendante. Des intellectuels européens prennent ouvertement position contre le colonialisme même si la tendance dominante reste l’impérialisme.

Le premier congrès contre l’impérialisme et l’oppression coloniale a et lieu à Bruxelles en 1927 à l’initiative des communistes européens.source: EN COURS
B. En Asie

Après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs pays d’Asie accèdent à l’indépendance suite à des luttes armées comme l’Indonésie (1945, mais reconnue en 1949). Les représentants de ces pays indépendants vont prendre la tête du mouvement anticolonial mondial.  Une première conférence entre Asiatiques a lieu à New Delhi en 1947. En 1955, à Bandoeng, une rencontre afro-asiatique a lieu. Elle rassemble 29 États indépendants ou en passe de devenir indépendants. Ces États sont unis contre l’impérialisme occidental, mais sont en désaccord sur leurs choix politiques et économiques. De cette conférence, ressort la condamnation de tout impérialisme, mais aucune institution n’est créée. Toutefois, l’évènement est important, car en pleine Guerre froide (le bloc USA s’opposant au bloc URSS), on a un ensemble de pays du Sud qui s’expriment d’une seule voix sur la scène internationale. La conférence marque le début du  « non-alignement », c’est-à-dire le fait de ne pas choisir le camp des USA ou de l’URSS. Toutefois, ce « non-alignement » est plus théorique qu’effectif, car dans les faits les anciennes colonies s’allieront d’une façon ou d’une autre aux USA ou à l’URSS.

4 ¦ Les voies de la décolonisation de l’Afrique

La décolonisation ne s’est pas déroulée de la même manière dans les différentes régions d’Afrique. Elle est surtout le fait de femmes et d’hommes de ces régions, et n’est pas un cadeau fait par le colonisateur. Des luttes violentes ont dû être menées pour arracher l’indépendance. Jusqu’en 1945, et même au delà, aucun colonisateur n’envisage de donner l’indépendance à ses colonies. S’ils le font, c’est en garantissant un maximum leurs intérêts dans ces régions. Certains veulent voir dans la réussite ou non des pays africains actuels les traces d’une décolonisation réussie ou ratée à mettre au mérite des pays colonisateurs. Ainsi, jusqu’à nos jours, pour certains, il est inenvisageable de penser qu’un pays africain puisse bien fonctionner grâce aux qualités de sa population. Si le pays a une bonne santé économique, et des droits sociaux reconnus, c’est forcément grâce aux anciens colonisateurs. Or, des décolonisations « préparées » ont entrainé certains pays dans le chaos, alors que d’autres, moins organisées ont donné lieu à des pays stables et en bonne santé économiques. On remarque deux constantes dans l’histoire de la décolonisation (africaine) : la volonté du colonisateur de retarder l’inévitable, et son obsession à maintenir ses intérêts après l’indépendance.

5 ¦ La décolonisation de l’Afrique occidentale

L’Afrique occidentale est principalement colonisée par les Français (Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Togo, Bénin) et les Britanniques (Sierra Leone, Ghana, Nigéria) entrainant des conflits armés, des luttes, et d’âpres négociations.

L’Afrique occidentale a la particularité d’avoir vu naitre une classe intellectuelle très brillantebien avant la colonisation. En effet, une forte communauté européenne est présente dans la région depuis longtemps, et le métissage, ainsi que le rapatriement d’anciens esclaves d’Amérique contribuent à la propagation de l’enseignement «occidental ». Les missionnaires et leur enseignement sont favorablement accueillis dans la région. Au XIXe siècle, des écoles apparaissent ainsi que la presse, et l’édition d’ouvrages. Une classe d’Africains lettrés (pasteurs, médecins, enseignants) se constitue et certains se mettent au service des Britanniques au Nigéria et au Ghana actuel.

L’Afrique occidentale voit apparaitre une élite intellectuelle bien avant la colonisation.source: CEC-Bokundoli

5.1. Décolonisation britannique

5.2. Décolonisation française

6 ¦ La décolonisation de l’Afrique centrale

Dans cet espace, on retrouve le Congo belge, le Rwanda, le Burundi, l’Afrique-Équatoriale française (Gabon, Congo-Brazzaville, Oubangui-Chari (République centrafricaine)), le Cameroun, l’Angola, la Rhodésie du Nord (Zambie), et le Malawi.

L’Afrique centrale a particulièrement souffert de la colonisation, et des découpages territoriaux effectués par les Européens qui ne tiennent pas compte des structures politiques préexistantes. L’Afrique centrale est constituée de grands espaces vides d’hommes, mais riches en ressources. Les pays colonisateurs vont forcer de manière violente les populations à extraire les richesses pour leur profit. Cet espace a été particulièrement brutalisé et les violences ont été condamnées par les contemporains, notamment par E. Morel contre le Congo de Léopold II, René Maran contre l’Oubangui-Chari (République centrafricaine) ou encore André Gide contre le Congo-Brazzaville. Partout le travail forcé est imposé aux populations.

Dans cet espace, l’éveil politique est assez tardif et se concentre surtout après la Seconde Guerre mondiale pour plusieurs raisons : un régime particulièrement coercitif, une contestation qui s’opère surtout via des mouvements messianiques, ou encore une élite africaine peu développée.

L’Afrique centrale a connu une exploitation particulièrement violente durant la colonisation.source: CEC-Bokundoli

6.1. Décolonisation française

6.2. Décolonisation belge

6.3. Décolonisation britannique

7 ¦ La décolonisation de l’Afrique orientale

L’Afrique orientale possède deux caractéristiques majeures par rapport au reste de l’Afrique. D’une part, elle rassemble un important assemblage de peuples, et de cultures, qui ne se sont pas beaucoup mélangées. On retrouve des Africains, des Indonésiens, des Arabes, des Indiens et des Européens. La coexistence de ces peuples a entrainé des difficultés politiques, mais a donné naissance à une langue spécifique : le swahili, mélange d’arabe et de langues bantou. D’autre part,  sa situation géographique stratégique en a fait l’objet de convoitise internationale et un lieu de tensions permanentes entre les différents peuples, et entre les différentes puissances qui veulent dominer la région. Dans cet espace, on retrouve l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, et Madagascar.

L’Afrique orientale rassemble de nombreux peuples différents.source: CEC-Bokundoli

7.1. Décolonisation britannique

7.2. Décolonisation française

8 ¦ La décolonisation de la Corne de l’Afrique

La Corne de l’Afrique rassemble l’Éthiopie, la Somalie, l’Érythrée, et Djibouti. La région a été peu marquée par la colonisation.  L’Éthiopie est une des rares régions d’Afrique a avoir échappé à la colonisation européenne grâce à la victoire d’Adoua en 1896 des troupes de l’empereur Ménélik face aux Italiens. Elle ne connait qu’une occupation de 5 ans entre 1936 et 1941 par les troupes de Mussolini.  Toutefois, le pays, alors qu’il aurait pu suivre l’exemple du Japon et se moderniser, préfère se maintenir dans une structure archaïque et oppressive. Le Négus (empereur) se comporte en monarque absolu et bien que jouissant d’une bonne image à l’étranger, doit faire à des contestations et à une pauvreté très importante au sein de son pays. L’Érythrée ne va connaitre la domination italienne que de 1882 à 1947 avant d’être fédérée à l’Éthiopie puis d’être annexée en 1962. Une guerre d’indépendance va alors être entreprise et aboutira en 1993. Toutefois les pays resteront en guerre jusqu’en 2018.  La Somalie a été très négligée politiquement et économiquement par le colonisateur britannique et accède à l’indépendance en 1960. Seul Djibouti a connu une occupation plus importante de la part de la France et ne connaitra son indépendance qu’en 1977.

Dans la corne de l’Afrique, l’Éthiopie a pu maintenir son indépendance tout au long de la colonisation.source: CEC-Bokundoli

9 ¦ La décolonisation de l’Afrique australe

En Afrique australe, on retrouve l’Afrique du Sud, la Namibie, le Botswana, le Zimbabwe, le Mozambique, le Lesotho et le Swaziland. Dans la région, l’Afrique du Sud a beaucoup de mines de diamant et d’or et va chercher sa main-d’œuvre dans les territoires voisins, et y place ses capitaux. Le régime politique sud-africain de l’Apartheid (les communautés noires et blanches vivent de manière séparée, avec tous les avantages accordés aux Blancs) a tendance à se répandre dans les territoires voisins comme au Zimbabwe ou en Namibie.

La Namibie a été dominée par l’Allemagne jusqu’à la Première Guerre mondiale, puis est passée sous domination sud-africaine jusqu’à son indépendance en 1990. La domination sud-africaine sous un régime d’apartheid semblable à l’Afrique du Sud a entrainé une résistance armée de la part de la South West Africa People’s Organisation (SWAPO) soutenue par Cuba et les pays de l’Est. L’indépendance obtenue en 1990 est surtout politique, tant le pays dépend économiquement de l’Afrique du Sud.

Le Mozambique, colonisé par les Portugais, ne l’a été que superficiellement à cause du manque de moyens dont bénéficiait le Portugal pour entreprendre une telle entreprise.

La Rhodésie du Sud (Zimbabwe) est obtenue par la Grande-Bretagne en 1888 suite aux ruses de Cecil Rhodes et administrée par une firme commerciale (British South Africa Company) qui accapare la plupart des terres au détriment des Africains.

Le Botswana, le Swaziland et le Lesotho acceptent un protectorat britannique au XIXe siècle afin d’échapper aux Européens d’Afrique du Sud. Le Lesotho accède à l’indépendance en 1966, le Swaziland en 1968, demeurant toutefois dépendant de l’économie sud-africaine par leur position enclavée.

Au temps de l’apartheid, les êtres humains sont divisés selon leur couleur de peau. Ici, un stade à Bloemfontein.source: 1/May/1969. UN Photo/H Vassal. http://www.unmultimedia.org/photo/ (droits réservés).

En Afrique du Sud, les Boers, arrivés en 1652 s’opposent aux Anglais arrivés en 1795. Lors de la guerre des Boers (1899 -1902), les Anglais triomphent. L’Afrique du Sud devient un dominion britannique, c’est-à-dire une colonie qui possède énormément de droits, mais ces derniers sont exercés uniquement par la minorité blanche. Depuis 1948, la domination et la discrimination blanche ont été institutionnalisées. Le racisme qui sert de base à l’organisation politique de l’ Afrique du Sud se couple à la crainte de la minorité blanche de voir se développer une élite noire concurrente, et redoute la pression démographique noire. En 1923, l’ANC est créée et se radicalise en 1949, notamment avec l’arrivée de Nelson Mandela.

L’ANC est réprimée par la minorité blanche, et répond par des émeutes violentes qui vont contribuer à l’arrestation des dirigeants de l’ANC, dont Mandela en 1962. La minorité blanche s’accorde un répit, mais les indépendances de la Zambie, de l’Angola, et du Mozambique et le soutien apporté par ces derniers à l’ANC oblige l’Afrique du Sud à apporter quelques aménagements à l’apartheid. En 1985,  de nouveaux attentats de l’ANC entrainent de nouvelles répressions. La pression internationale est de plus en plus forte, et les sanctions économiques obligent Frederick De Klerk, Premier ministre sud-africain à plus d’ouverture que ses prédécesseurs. La Namibie, sous domination sud-africaine, obtient son indépendance en 1990, et Mandela est libéré la même année après 26 années de prison. La ségrégation raciale est abolie, et l’ANC abandonne la lutte armée. Les premières élections multiraciales portent au pouvoir Mandela en 1994.

En Afrique australe, l’Afrique du Sud joue un rôle central.

10 ¦ Résumé

Tout comme l’histoire de la colonisation, celle de la décolonisation est non seulement présente dans les archives et les documents édités, mais elle est également encore fraîche dans la mémoire de toutes les personnes qui l’ont vécue et qui en témoignent grâce aux sources orales. Cette décolonisation s’est inscrite dans un contexte historique favorable, après la Seconde Guerre mondiale, où les grandes puissances commencent à se faire la Guerre froide entre le Bloc capitaliste de l’Ouest et le Bloc socialiste de l’Est. La décolonisation de l’Afrique est donc intervenue au moment opportun même si certaines puissances coloniales trainent les pieds à accorder l’indépendance aux territoires sous leur domination.

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La colonisation du Congo

Par Benjamin Hennon,

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Démontrer que l’espace congolais n’a cessé de se structurer avant la colonisation.
  • Démontrer que les Européens ont dû s’appuyer sur les Africains pour parvenir à coloniser.
  • Critiquer et démonter l’idée d’une colonie belge modèle et positive pour les colonisés.
  • Décrire la violence et le racisme inhérents à la colonisation.
  • Démontrer la continuité des pratiques entre l’État Indépendant du Congo et le Congo belge.

2 ¦ Introduction

Avant la colonisation, l’Afrique centrale, et en particulier l’espace congolais connaissent une longue et riche histoire. L’espace congolais entretient des relations avec l’Europe et l’Asie depuis plusieurs siècles. Lorsque les Européens veulent coloniser l’Afrique, des résistances ont lieu de la part des « colonisés », et la domination européenne ne sera jamais totale. La colonisation du Congo comporte deux phases, la première est l’œuvre du roi des Belges Léopold II qui va régner à titre personnel sur le Congo de 1885 à 1908. Durant cette période, le Congo porte le nom d’État Indépendant du Congo. La violence du système va donner lieu à des luttes intérieures très importantes et à une campagne internationale contre Léopold II et son régime. Face aux critiques, la Belgique annexe le Congo en 1908, et ce jusqu’à l’indépendance de 1960. Le Congo s’appellera « Congo belge » pendant cette deuxième phase. La Belgique s’engage à mettre fin aux atrocités constatées. Toutefois, un certain nombre de pratiques du régime léopoldien perdureront jusqu’à l’indépendance.

3 ¦ L’espace congolais au XIXe siècle

L’espace congolais a été traversé par de nombreux royaumes et territoires. Au XIXe siècle, cela fait près de quatre siècles que l’espace congolais est en contact, grâce aux côtes, avec l’Europe. En effet, des échanges commerciaux se sont établis, et de nombreux articles comme l’ivoire, l’or, le fer, le cuivre, ou encore les esclaves sont vendus aux Européens. Certains États d’Afrique centrale vont tirer profit de ce commerce, ou au contraire, vont s’affaiblir à cause de celui-ci, et en particulier à cause de la traite négrière (XVe – XIXe siècle). Le prestigieux royaume Kongo, par exemple, va cesser d’exister. Toutefois, de nouvelles formations politiques voient également le jour au milieu du XIXe siècle, sous l’autorité de commerçants-guerriers comme Tippo-Tip ou encore MSiri qui s’installent dans l’est et le sud-est du Congo actuel, et qui font commerce avec le monde arabe.

Comme ailleurs en Afrique, l’espace congolais est en pleine mutation au XIXe siècle. On observe une densité de population plus importante dans certaines zones, grâce à une amélioration des rendements agricoles. Les échanges commerciaux s’intensifient. Comme dans le reste du continent, l’esclavage est toujours pratiqué au XIXe siècle, malgré l’abolition en Europe, que ce soit pour servir les royaumes locaux ou pour être exportés dans le monde arabe. L’économie africaine repose sur l’esclavage, car selon les mœurs africaines, un homme libre ne peut vendre sa force de travail. Dès lors, le besoin en main-d’œuvre contraint les organisations politiques africaines à pratiquer et à maintenir la pratique. Politiquement, les communautés d’Afrique centrale s’organisent collectivement, et pas avec une hiérarchisation aussi forte qu’en Europe, ce qui va donner parfois l’impression aux observateurs extérieurs que ce territoire n’est pas organisé politiquement, alors que le modèle est simplement différent de celui pratiqué en Europe.

4 ¦ L’Etat Indépendant du Congo (1885-1908)

4.1. Les prémices de l’appropriation (1876 – 1885)

A. Léopold II et son rêve de colonie

La colonisation du Congo est liée au nom d’un homme : Léopold II, roi des Belges. Devenu roi en 1865, il souhaite convaincre la Belgique de se lancer dans la course à la colonisation. Toutefois, seule une petite partie de l’élite belge trouve l’idée intéressante. Elle considère qu’acquérir une colonie pourrait être bénéfique à l’économie du pays, et lui permettrait de se faire une place parmi les grands empires européens. Certains, dont Léopold II, y voient également l’occasion de développer leurs ambitions personnelles. Pour légitimer les ambitions impérialistes, plus que pour les motiver, les Européens considèrent également qu’il est de leur devoir d’apporter la prétendue « civilisation » des Blancs aux autres peuples « moins évolués » de la planète.

Léopold II, roi des Belges, a dominé le Congo de 1885 à 1908.source: HO.2013.57.113, collection MRAC Tervuren ; photo MRAC Tervuren Kapenda. Visée du colonisateur. Droits réservés.

À la fin des années 1870, et au début des années 1880, Léopold II va mettre en place plusieurs associations internationales dont le motif officiel est d’explorer les régions du centre de l’Afrique et en particulier le bassin du Congo. Il a recruté l’explorateur Stanley qui connait bien la région. En réalité, les associations servent les intérêts politiques et impérialistes du monarque belge. L’Association internationale du Congo (AIC), fondée en 1879, sous couvert d’une activité scientifique, va établir plusieurs postes au Congo et va conclure des traités avec des chefs africains. Afin d’entreprendre leurs différentes expéditions, les Européens ont besoin des Africains qui leur servent de guides, ou leur fournissent des esclaves pour servir de porteurs.

B. La conférence de Berlin et la reconnaissance de l’État Indépendant du Congo

L’Afrique suscite la convoitise de plusieurs pays européens, et des conflits pourraient éclater en cas de désaccord. Dès lors, les Européens vont décider d’organiser une conférence, elle aura lieu à Berlin en 1884-1885. La conférence de Berlin veut établir un certain nombre de règles pour l’occupation de l’Afrique, et ainsi éviter des conflits entre États européens. Contrairement au mythe bien connu, l’Europe ne se partage pas l’Afrique, mais établit les règles à suivre pour revendiquer un territoire en Afrique. Aucun État africain n’est représenté lors de la conférence de Berlin. En effet, au cours du XIXe siècle, au nom de critères raciaux et civilisationnels, la plupart des pays non européens sont exclus du droit international. De plus, les États européens, bien qu’ils fassent du commerce avec les États africains, estiment que comme ces derniers possèdent des esclaves et en font commerce, ils ne peuvent être reconnus en droit international.

En marge de la conférence de Berlin, les représentants de Léopold II négocient avec les autres puissances européennes pour que l’on reconnaisse le territoire congolais, où sont présents les postes de l’AIC, comme un État sous l’autorité du monarque belge. Le roi déclare qu’il défendra le libre-échange dans cette région, et que, dès lors, n’importe quel pays pourra venir faire du commerce, et payera peu d’impôts. Il se présente également comme un philanthrope, et s’engage à mettre fin à l’esclavage toujours présent dans cette région de l’Afrique. Pour des motifs divers, les pays européens reconnaissent, en juin 1885, les territoires de l’actuel Congo comme un nouvel État : l’État Indépendant du Congo (EIC) sous l’autorité de Léopold II. Toutefois, ce nouvel « État » est indépendant de la Belgique. Refusant de prendre part à la colonisation, le gouvernement belge laisse son souverain dirigé, à titre personnel, le Congo. Bien que l’on retrouve beaucoup de Belges impliqués dans la colonisation du Congo, la majorité des agents du roi sont issus d’autres pays européens comme la Grande-Bretagne, la France, ou encore les pays scandinaves.

4.2. Résistances et appropriation des territoires congolais par l’EIC (1885 – 1908)

Comme d’autres colonisateurs européens, lorsque Léopold II et son entourage acquièrent, suite à des accords entre Européens, l’autorité sur ce qui est aujourd’hui le Congo, ils n’ont pas la moindre idée de ce que contient cette région et de comment s’organisent les peuples qui y vivent. L’entreprise va s’avérer  beaucoup plus compliquée qu’imaginée. Certaines zones sont peuplées de communautés qui s’organisent parfois depuis des siècles autour d’une économie et d’une culture propres comme les Chokwe au sud, les Arabo-Swahlis, et le Garanganze, à l’est, ou encore l’Égypte soudanaise au nord, et ces différentes structures politiques n’ont pas l’intention de se soumettre à des étrangers.

Groupe de prisonniers enchaînés et encadrés par deux soldats de la Force publique vers 1900.source: HP.1952.31.9, collection MRAC Tervuren ; photo H.A. Shanu, ca. 1900

Il y a très peu d’Européens sur place, et les expéditions entreprises pour reconnaitre et « occuper » le territoire doivent beaucoup aux Africains qui sont recrutés (souvent des esclaves achetés) et qui servent de soldats, de porteurs, et de guides. Le colonisateur a beaucoup de difficultés à évoluer dans un espace qu’il ne maitrise pas, sans voies de communication classique. Ces expéditions cartographient la région et installent des petits postes afin de signaler aux autres pays européens que la région fait partie de l’État Indépendant du Congo. Toutefois, en 1908, lorsque l’EIC deviendra le Congo belge, on ne compte qu’une centaine de postes occupés par quelques centaines d’Européens et quelques milliers de soldats africains. Impossible, dès lors de parler de véritable contrôle de l’immense Congo. Que ce soit au Congo, ou dans les autres régions d’Afrique, les Européens vont devoir s’appuyer sur les chefs africains qui régnaient déjà sur ces territoires bien avant leur arrivée.

Lumpungu, chef des Songye, s’est allié avec l’EIC, avant d’être pendu en 1919 par le pouvoir colonial.source: HO.2013.57.125, collection MRAC Tervuren ; photo MRAC Tervuren Kaz. La mort de chef coutumier Lumpungu. Droits réservés.

Certains chefs acceptent de traiter avec l’EIC afin d’obtenir différents avantages : nouveaux débouchés économiquesarmes européennes, alliance intéressante face aux rivaux locaux. Contrairement à l’idée reçue de chefs africains un peu naïfs qui signent des traités sans se rendre compte de ce qu’ils font, certains ont parfaitement conscience de leurs actions, et constatant la présence réduite des Blancs, ils espèrent continuer à régner avec une liberté plus ou moins totale sur leurs territoires. À certains endroits, des chefs refusent obstinément de plier face au colonisateur, ou malgré les traités signés continuent à se comporter en seuls maitres dans la région. Dans ces cas-là, la Force publique (armée coloniale) composée de quelques officiers européens et de milliers de soldats africains entreprend des expéditions particulièrement violentes afin de forcer les peuples à se soumettre à l’autorité de l’EIC. Malgré les réflexions autour du droit de la guerre, en Europe, notamment au niveau du statut des prisonniers de guerre, et l’invention de la Croix-Rouge en 1864, les armées coloniales ne respectent pas les nouvelles normes et n’hésitent pas à tuer prisonniers et civils.

La propagande coloniale va présenter les Arabo-swahilis comme des esclavagistes qu'il faut combattre. Or, la propagande passe sous silence les relations étroites entre esclavagistes et colonisateurs durant les premières années de la colonisation.source: HO.1953.70.19, collection MRAC Tervuren

L’un des exemples les plus marquants de l’hypocrisie coloniale est celui de Tippo-Tip. Marchand arabo-swahili régnant sur un immense territoire dans l’est du Congo, il fait du commerce de l’ivoire et d’esclaves depuis le milieu du XIXe siècle. Il accepte de traiter avec l’EIC pour les raisons évoquées plus haut, et fournit aux Européens des esclaves, de l’ivoire, etc. Il est nommé gouverneur de l’est du Congo. Toutefois, le colonisateur considère que Tippo Tip se comporte de façon trop indépendante vis-à-vis de l’autorité coloniale. Dès lors, de 1892 à 1894, une guerre éclate entre le colonisateur et Tippo-Tip et fera des milliers de victimes, dont beaucoup de civils. La propagande coloniale présentera cette guerre comme un moyen de mettre fin à l’esclavagisme pratiqué par les Arabo-Swahilis alors que non seulement les Européens ont utilisé de nombreux esclaves pour leurs expéditions, mais ont aussi collaboré étroitement avec les marchands arabes pendant des années.

4.3. Économie et violences coloniales dans l’EIC (1885 – 1908)

Une colonie pas si lucrative qu’espéré

Non seulement la réalité du terrain, et l’immensité du territoire congolais obligent le colonisateur à s’aider des structures et des chefs locaux, mais en plus la colonisation du Congo coute énormément d’argent. Léopold II, en tant que propriétaire de cet immense territoire, doit utiliser son immense fortune personnelle pour financer les expéditions, les infrastructures de base, les ports, les hommes sur place, etc. Mais très vite, sa fortune seule ne suffit plus à alimenter la machine coloniale. Il est au bord de la faillite, et le Congo n’est pas aussi rentable qu’il l’avait imaginé. Le commerce, dans les premières années, n’est pas très développé. Alors qu’il s’était engagé à ne rien demander à la Belgique, Léopold II finit par lui demander un prêt en 1889 qui sera accordé.

Afin de réduire les coûts, des territoires de l’EIC seront acquis en concession par des sociétés privées.source: Configuration de l'État indépendant du Congo vers 1903, dans Patricia Van Schuylenbergh, dir., Congo : colonisation/décolonisation. L'histoire par les documents, MRAC, 2012, p.42.

Pour que la colonie devienne lucrative, Léopold II et son entourage vont prendre plusieurs mesures. Toutes les terres « non cultivées » deviennent propriété de l’État, ce qui permet d’exercer un monopole sur toutes les richesses naturelles du Congo. Les populations locales sont soumises à un travail forcé, c’est-à-dire qu’elles doivent travailler gratuitement et obligatoirement pour l’État, et verser une « taxe » sous la forme de matières premières comme l’ivoire, puis le caoutchouc. Pour réduire les couts au maximum,  des entreprises privées acquièrent en concession certaines zones du Congo. Ces entreprises peuvent fixer les prix souhaités des marchandises, elles administrent le territoire, certaines vont avoir leur propre milice, et parfois leur propre monnaie. En échange, l’EIC perçoit un pourcentage sur les profits de ces entreprises. Désormais, des territoires immenses, parfois bien plus grands que la Belgique, sont soumis à la seule autorité d’une entreprise qui n’a qu’un seul objectif : faire le plus de profits possible. Suite à ces réformes, les profits augmentent pour l’État, mais les dépenses aussi. Dès lors, Léopold II demande une nouvelle fois en 1895 l’aide de la Belgique.

Le caoutchouc rouge

La situation des finances de Léopold II n’est pas bonne, et le nouveau crédit obtenu en 1895 aurait dû, en théorie, lui permettre de gagner seulement quelques années avant de devoir céder sa colonie. Toutefois, l’explosion du prix du caoutchouc sur le marché mondial va lui permettre de se refaire financièrement. L’industrie automobile, en plein essor, nécessite du caoutchouc pour fabriquer des pneus. Le Congo contient des forêts riches en caoutchouc, et « grâce » au système de taxes en ressources imposé aux populations ainsi qu’au système de concession, la colonie commence à réaliser d’énormes profits. Le roi refait rapidement sa fortune, rembourse ses dettes et commence à investir en Belgique dans plusieurs projets urbanistiques. La colonie apparait aux yeux des autres colonisateurs comme un modèle d’efficacité, la France va d’ailleurs l’imiter dans ses colonies d’Afrique centrale.

Afin de prouver que les balles ne sont pas utilisées pour braconner, les soldats de la Force publique doivent ramener les mains de leurs victimes. Cela donnera lieu à des mutilations sur des êtres vivants.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Victim_of_Congo_atrocities,_Congo,_ca._1890-1910_(IMP-CSCNWW33-OS10-19).jpg

Une telle « efficacité » se fait au détriment des populations locales, soumises à une violence extrême pour atteindre les quotas fixés par l’EIC et les entreprises concessionnaires. La récolte du caoutchouc est une tâche complexe. Les Congolais doivent se rendre en forêt pour trouver des lianes à caoutchouc, en extraire la substance et ramener le tout à des postes situés parfois à des dizaines de kilomètres. Pendant ce temps-là, ils ne peuvent cultiver, ou chasser pour leur propre compte. Dès lors, les populations locales ne se pressent pas pour exécuter ces tâches ingrates. Résultat, face au manque de moyen dont dispose le colonisateur et à cause de son impuissance à convaincre les populations locales de lui fournir le précieux caoutchouc, le pouvoir colonial va forcer les populations à travailler en commettant des exactions d’une rare violence : violsmutilationsincendie de villagemassacresprises d’otage, etc.

Les demandes en caoutchouc ne cessent d’augmenter, et les fonctionnaires, les officiers, et les agents d’entreprise reçoivent des bonus liés à l’augmentation de la production. Sous cette violence, se cache aussi un racisme latent. En effet, les Européens considèrent que les populations locales sont fainéantes et primitives et que la violence est inévitable pour leur faire comprendre ce qu’on leur demande.

Paradoxalement, on retrouve au sein des troupes de l’EIC ou parmi les hommes au service des entreprises privées d’anciens soldats, ou chefs de guerre qui utilisaient ces techniques violentes au service des Arabo-Swahilis afin de les fournir en esclaves et en ivoire. Dès lors, l’EIC use des mêmes méthodes que celles des esclavagistes arabes qu’elle a prétendu combattre.

Les conséquences de cette violence varient d’une région à l’autre. Certaines ont connu les pires horreurs, alors que d’autres ont été relativement épargnées. Toutefois, le régime de terreur règne sur l’ensemble du Congo. Des régions entières vont être dépeuplées suite aux massacres, à la famine, aux fuites, et aux maladies dues à la colonisation. Il est très difficile, voire quasiment impossible d’estimer le nombre d’individus morts à cause de la colonisation léopoldienne. Les études les plus récentes estiment que la population congolaise a pu diminuer de 1 à 5 millions d’habitants entre 1885 et 1930. Dans tous les cas, ce qui est certain, c’est que la violence a été extrême et a traumatisé des populations entières.

Propagande et zoos humains

Afin de défendre « son œuvre » et de susciter l’intérêt parmi la population belge, Léopold II et son entourage développent une propagande coloniale. C’est-à-dire qu’au travers d’expositions, de livres, d’images, etc., les colonisateurs vont imposer une image de la colonisation conforme à leurs intérêts. Ainsi, les colonisateurs belges sont présentés à la fois comme des sauveurs face à l’esclavagisme et à la barbarie supposée de l’Afrique, mais aussi comme des civilisateurs, dès lors comme des êtres supérieurs, apportant les bienfaits de la prétendue civilisation occidentale. Les Congolais sont présentés comme inférieurs, et sont même déshumanisés afin de convaincre les Belges de la nécessité de les coloniser. Les Arabo-Swahilis sont présentés comme des esclavagistes sanguinaires dont l’accoutrement n’est pas sans rappeler les croisades. Cette propagande a eu un impact très fort sur les mentalités, car pour la plupart des Belges de l’époque, c’est le seul contact qu’ils ont avec le Congo, et dès lors des images stéréotypées se forgent sur ces autres qu’on ne connait pas autrement qu’à travers cette propagande. Outre les affiches, les conférences, etc. les colonisateurs européens, et donc belges, n’hésiteront pas à exposer en Europe, dans ce que l’on appelle des zoos humains, des prétendus villages africains, avec ses villageois censés mimer leur vie de tous les jours. En 1897, lors de l’exposition internationale de Bruxelles, un prétendu village congolais est reconstitué pour divertir la foule. Sept Congolais décèderont des suites des mauvaises conditions.

En 1897, lors de l'exposition internationale de Bruxelles, un village congolais est reconstitué pour divertir la foule. Sept Congolais décèderont.source: HP.1946.1058.1-21, collection MRAC Tervuren; photo A. Gautier, 1897 © MRAC

En 1897, lors de l’exposition internationale de Bruxelles, un prétendu village congolais est reconstitué pour divertir la foule. Sept Congolais décèderont.

Critique et résistances

Face à une exploitation aussi intense et violente,  la production commence à décroitre vers 1904. Les réserves de caoutchouc sont épuisées, et il y a de moins en moins de personnes pour extraire la substance. Dans certaines régions, les populations sabotent les récoltes en détruisant les lianes, d’autres se révoltent et prennent les armes face au pouvoir colonial et aux entreprises privées.

La révolte et la résistance locale se couplent à des critiques qui viennent du monde occidental. En 1903, le consul britannique Roger Casement dénonce les violences dans un rapport qui va entrainer des débats importants en Grande-Bretagne, et en Belgique. En 1904, Casement et le journaliste Edmund Morel fondent la Congo Reform Association afin de dénoncer les actes barbares commis au Congo. Des campagnes intenses sont menées contre Léopold II et son régime de violence. Les écrivains Mark Twain et Conan Doyle dénoncent les abus de Léopold II. Des photos de mains coupées, symboles de la violence léopoldienne, circulent dans tout l’Occident. Au Congo, des individus dénoncent également la terreur qu’ils subissent.

La violence coloniale prend plusieurs formes, notamment les coups de chicotte.source: HP.1952.7.50, collection MRAC Tervuren ; photo C. Huet, 1896-1905

Devant la pression internationale, Léopold II envoie une commission d’enquête en 1904 dont il sélectionne lui-même les membres. Il va également corriger le rapport. Malgré cela, lors de sa promulgation en 1905, le rapport fait grand bruit en Belgique et va susciter de vifs débats entre les opposants, et les partisans du roi. Un juriste de l’ULB, Félicien Cattier réalise une étude sur la situation du Congo en se basant sur le rapport de la Commission d’enquête et demande l’annexion du Congo à la Belgique. Les hommes politiques belges Émile Vandervelde et Georges Lorand se montrent également très critiques quant à la gestion du Congo par le roi.

En 1906, la décision est prise : la Belgique va annexer le Congo et s’engage officiellement à mettre fin aux abus. Toutefois, Léopold II va tout mettre en œuvre pour faire durer les négociations et ne cédera sa colonie qu’en 1908.

5 ¦ Le Congo belge (1908 – 1960)

5.1. Rupture avec l’EIC ?

En 1908, le Congo devient officiellement une colonie belge et prend le nom de « Congo belge ». Lors de l’annexion, la Belgique s’engage à mettre fin aux dérives violentes du régime léopoldien. La pratique du  travail forcé c’est-à-dire l’obligation pour les populations de travailler pour l’État sans rémunération, dans des conditions épouvantables, est officiellement abolie dans les premiers mois d’existence du Congo belge. Toutefois, le colonisateur belge souhaite entreprendre plusieurs chantiers d’infrastructure, et il y a un manque de main-d’œuvre criant. Les Européensconvaincus par la supériorité de leur modèle économique, pensent, à tort, que les populations locales vont se laisser tenter par le salariat (c’est-à-dire le fait d’échanger sa force de travail contre un salaire). La majorité de la population congolaise préfère pratiquer une agriculture à petite échelle, et une économie de subsistance. De plus, les conditions dans les plantations, sur les chantiers de construction, et dans les mines ne sont pas enviables. Dès lors, le colonisateur belge va très vite réinstaurer la pratique du travail forcé, et ce dès 1909 pour la construction d’infrastructure et dans l’agriculture, en mettant en avant « l’intérêt public » d’une telle mesure. Les entreprises privées vont également toujours avoir recours à la pratique du travail forcé, parfois jusqu’à l’indépendance. Des révoltes auront lieu au sein de la population, mais elles seront toutes matées violemment.

Sentence au tribunal de Boma au début du XXe siècle. Les violences, le racisme, et le pouvoir arbitraire n'a pas changé avec l'annexion du Congo par la Belgique.
Sentence au tribunal de Boma au début du XXe siècle. Les violences, le racisme, et le pouvoir arbitraire n’a pas changé avec l’annexion du Congo par la Belgique.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:StoryoftheCongoFreeState_156.jpg

Il n’y a pas d’amélioration non plus au niveau des droitsAucun droit n’est reconnu aux colonisés (pas de liberté de la presse, pas de syndicat, pas de droit de grève) qui subissent répressions et châtiments arbitraires. Si les Congolais n’ont aucun droit, les coloniaux, eux, bénéficient d’une impunité quasi totale. En cas de conflit entre colonisé et coloniaux, ces derniers gagnent toujours. Le travail forcé, le racisme, et la violence n’ont dont pas cessé avec la reprise du Congo par la Belgique.

5.2. Organisation de la colonie

La trilogie coloniale belge

Déjà durant l’EIC, le régime colonial repose sur trois piliers : l’Église (les missions catholiques), l’administration, et les entreprises privées.

L’Église reçoit le monopole de l’éducation, et est chargée d’éduquer les colonisés tout en les évangélisant. On retrouve des missions religieuses déjà avant la création de l’EIC. Elles vont lutter contre les religions prétendument « primitives » des locaux. En formant les Congolais, l’Église permet la fourniture d’une main-d’œuvre « qualifiée » aux entreprises privées. En effet,  il s’agit surtout d’un enseignement technique limité essentiellement au niveau primaire.

L’administration de la colonie est dominée par un Gouverneur général qui applique les décisions prises par Léopold II pendant l’EIC et puis par un ministre des colonies pendant le Congo belge. Toutefois, vu la lenteur de la communication entre les deux pays, le Gouverneur possède une certaine autonomie. La colonie est divisée en districts, dirigés par des administrateurs. Devant la complexité des structures politiques existantes et à cause du peu de moyens dont dispose le colonisateur, les Européens doivent s’appuyer sur des chefs locaux. Ces derniers sont contraints d’appliquer les décisions venant des Européens, mais gardent quand même une forme de liberté dans les régions peu touchées par la présence des Blancs.

Les entreprises privées reçoivent, comme on l’a vu, des concessions pendant l’EIC, et exploitent sans scrupule, et avec une rare violence, les régions occupées. Pendant le Congo belge, certaines entreprises continuent à avoir recours au travail forcé. Elles ne versent qu’un salaire dérisoire et les conditions de travail sont assez déplorables pour la population jusque dans les années 1950. Le racisme qui sous-tend l’ensemble du système colonial contraint les Congolais à rester dans une position inférieure aux Blancs jusqu’à l’indépendance.

Sur cette image de propagande, un calendrier, se retrouvent exposés la trilogie coloniale par un symbolisée par un missionnaire (Eglise), un officier (administration), et un bateau (entreprises privées).source: Affiche-calendrier, Utig.Werk van de Heilige Paulus, 1908 (KADOC, Leuven)
Un apartheid à la belge ?

Comme dans d’autres colonies en Afrique, une ségrégation s’installe au Congo. Dans les villes construites par le colonisateur, on crée spécifiquement une « ville européenne » pour les Blancs, et « des cités indigènes » pour les Africains. Les deux parties de la ville sont séparées par une zone neutre. Ce n’est pas une conception propre au Congo. En 1931, s’organise à Paris un Congrès international de l’urbanisme des colonies où différents experts coloniaux s’expriment sur l’intérêt de la ségrégation pour des motifs essentiellement hygiénistes. Les Blancs craignent que les maladies « africaines » ne se répandent dans les habitations des Blancs. Cette ségrégation raciale perdure jusqu’à l’indépendance du Congo.

Toutefois, la volonté d’établir des zones nettement séparées pour les Blancs et les Noirs ne résistent pas toujours à la réalité des faits. À Léopoldville, par exemple, les quartiers se touchent parfois et les petits commerçants grecs, italiens, portugais et « asiatiques » non autorisés dans la ville blanche, se situent dans des zones intermédiaires où se mélangent plusieurs communautés.

5.3. Économie

Tout au long de son histoire, le Congo connaitra une pénurie de main-d’œuvre. Toutefois, ce qui entrainerait normalement une revalorisation salariale, n’est pas le cas au Congo (et dans les autres colonies) où les travailleurs continuent à être payés très faiblement. Le travail forcé, principale forme de travail dans l’EIC, est maintenu pour la construction d’infrastructure, dans l’agriculture, et dans certaines entreprises à l’époque du Congo belge.

Les entreprises, cibles des critiques durant l’EIC, continuent à pratiquer des mesures similaires au Congo belge. En 1911, l’entreprise britannique Lever (qui deviendra Unilever) qui produit du savon, utilise le travail forcé dans ses concessions congolaises afin de produire de l’huile de palme. Faisant face à un manque de main-d’œuvre, ils forcent les populations à travailler. L’entreprise compte sur l’aide de ses mercenaires africains et de l’administration coloniale afin de ratisser les villages pour trouver des travailleurs.

Le Congo belge est une des colonies les plus rentables du monde. Toutefois, ce qui bénéficie aux Belges ne bénéficie pas aux Congolais dont le niveau de vie jusqu’aux années 1950 reste très précaire.

La colonisation est un système de domination, fondé sur le racisme et la différence de statut entre les Blancs et les Noirs.source: HO.2013.57.794, collection MRAC Tervuren ; photo MRAC Tervuren Angali. Temps belge 1919. Droits réservés

5.4. Les Deux Guerres mondiales

La Première Guerre mondiale

Pendant la Première Guerre mondiale, la colonie belge prend part aux combats, mais le territoire congolais ne connait pas d’affrontements sur son sol. La Force publique (armée coloniale) va surtout combattre en Afrique orientale allemande (actuellement la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi). Elle va triompher et occuper le territoire. En 1917, la Force publique compte 25 000 Congolais dans ses rangs, dirigés par des officiers belges. Mais il faut y ajouter tous les porteurs, et les femmes qui accompagnent les troupes, ce qui porte le chiffre à 260 000 Congolais ayant participé au premier conflit mondial. Les Belges forcent la plupart de ces hommes à s’enrôler. Près de 27 000 d’entre-deux  trouveront la mort, sous les balles, ou surtout à cause de maladies.

Pendant le conflit, les Belges refusent d’employer les troupes congolaises en Europe contrairement à la France et à la Grande-Bretagne qui n’hésiteront pas à puiser des centaines de milliers de soldats non européens pour se battre. La Belgique refuse d’utiliser des soldats noirs pour ne pas dévoiler aux colonisés la réalité du quotidien en Belgique, et ne pas saper le prestige de l’homme blanc. À noter que 32 Congolais, présents en Belgique avant la Première Guerre s’engageront dans le conflit volontairement, au sein de l’armée belge. Parmi eux, on retrouve Paul Panda Farnana.

C’est surtout en tant que producteur de matières premières que le Congo va être utile à la Belgique et aux alliés. Le travail forcé, qui n’avait pas totalement disparu suite à la reprise du Congo par la Belgique en 1908, est amplifié dans certaines parties de la colonie. Les conditions de vie sont très dures pour les Congolais contraints de fournir toujours plus de ressources pour alimenter les armées qui combattent en Europe.

Grâce au Congo, la Belgique peut se vanter d’avoir remporté des batailles, en Afrique, lors de la guerre, alors qu’elle a perdu face à l’Allemagne en Europe. Elle recevra même, en récompense, un mandat sur le Rwanda et le Burundi, anciennement allemands. Toutefois, les Congolais ne verront aucune amélioration de leur sort pendant l’Entre-Deux-Guerres, et ce malgré les sacrifices de la population pour un conflit qui ne la regardait pas.

La Seconde Guerre mondiale

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les combats auront lieu encore plus loin que lors du premier conflit. La Force publique va combattre en Abyssinie, où elle battra les Italiens. Elle va également être envoyée en Égypte, au Nigéria et en Palestine, mais sans combattre. En 1942, on compte 34 000 hommes dans la Force publique. La mortalité est moins importante que lors de la Première Guerre mondiale. 700 hommes perdront la vie, principalement des suites de maladie. Comme lors du premier conflit, on n’utilise pas la Force publique en Europe.

La Force publique va combattre à différents endroits durant la Seconde Guerre mondiale.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Belgian_Congo_coastal_artillery.jpg

Grâce au Congo, la Belgique, envahie par l’Allemagne nazie en 1940, pourra prétendre continuer le combat au côté des Alliés, et son gouvernement en exil à Londres bénéficie d’un certain poids et d’une légitimité.

Comme pour la Première Guerre mondiale, le Congo va surtout être employé comme réservoir de matière première. Le travail forcé va être, une nouvelle fois, amplifié et les populations vont devoir fournir des quantités énormes de matière première. L’uranium qui va servir à réaliser les bombes atomiques américaines sera fourni par la Belgique grâce au travail des Congolais. En 1942, on impose 120 jours de travail obligatoire aux Congolais. Les prix des denrées augmentent, alors que les salaires restent faibles. Des revendications puis des mouvements de révolte éclatent, mais tous seront matés dans le sang.

À l’instar de ce qu’il se passe dans les autres colonies, la reconnaissance de l’effort fourni par les Congolais ne voit pas le jour. Très peu de Congolais reçoivent des avantages matériels, et dans les discours officiels de la métropole, on tait volontairement la contribution de la colonie à l’effort de guerre.

5.5. Les années 1950, un pas vers la modernité et la décolonisation ?

Le « Plan décennal »

Bien que la colonisation dans son ensemble, et la colonisation belge en particulier aient justifié la pratique coloniale comme le moyen d’apporter la soi-disant « civilisation » européenne aux peuples « primitifs », on constate que les conditions de vie de la majorité des Congolais sont toujours aussi médiocres après la Seconde Guerre mondiale. Le Gouverneur général Pierrre Ryckmans, lui-même, constate en 1946 que les populations vivent dans la misère et critique ainsi le colonialisme belge.

L’avènement des Nations unies en 1945, très critiques par rapport aux colonisateurs, et les réflexions d’après-guerre sur le développement et le sous-développement poussent les autorités belges à envisager des réformes pour améliorer les conditions de vie des Congolais. En 1949, le « Plan décennal pour le développement économique et social du Congo belge » est lancé, et doit durer dix ans. Les auteurs du plan constatent que l’économie du Congo est trop tournée vers l’exportation, que l’agriculture stagne, et qu’il n’y a pas de vraie industrie transformatrice, enfin le constat est clair quant aux problèmes de logement, d’hygiène et d’éducation.

On constate une amélioration du niveau de vie dans la colonie dans les années 1950. Les salaires augmentent un peu, et les Congolais bénéficient d’un meilleur pouvoir d’achat ce qui entraine une augmentation de la consommation intérieure. Toutefois, loin de la colonie modèle que défend la propagande belge, des problèmes évidents perdurent : le Congo reste toujours fortement dépendant de l’exportation de matière première, et les problèmes de l’agriculture ne sont pas résolus. Le Congo n’est pas en mesure de se nourrir de sa propre production, et doit importer des produits alimentaires, et ce jusqu’à l’indépendance et au-delà. Enfin, l’augmentation des conditions de vie et du pouvoir d’achat ne concernent que les habitants des villes, et non pas l’immense majorité des Congolais qui vivent en milieu rural. Dès lors, les gens rejoignent de plus en plus les villes, ce qui entraine une augmentation du chômage urbain.

La Belgique refuse de financer le plan décennal qui coute une fortune. C’est le budget du Congo qui doit subvenir aux dépenses. Dès lors, à la veille de l’indépendance, le futur pays indépendant possède une forte dette qui se chiffre en plusieurs milliards.

Les infrastructures médicales et l’enseignement

Dans les années 1950, l’infrastructure médicale au Congo est plus importante que dans les colonies françaises et britanniques. Toutefois, il existe une ségrégation entre hôpitaux pour Blancs bien équipés, et hôpitaux pour Noirs peu équipés. Quant au nombre de médecins par habitant, il est inférieur à celui des autres colonies. Les premiers médecins congolais ne seront diplômés qu’après l’indépendance.

Dans les années 1950, le Congo est le deuxième pays le plus alphabétisé du continent africain. Ce positionnement dont se vantera la Belgique doit être nuancé. En effet, le Congo belge bénéficie d’un enseignent primaire très développé, ce qui lui vaut  sa place dans ce classement, mais est à la traine en matière d’enseignement secondaire et encore plus au niveau de l’enseignement supérieur. En effet, l’objectif pour le colonisateur est de produire des ouvriers capables de lire, d’écrire et de compter. L’enseignement primaire suffit amplement. Les Belges craignent que l’accès à un enseignement secondaire et supérieur entraine l’apparition d’une élite revendicatrice et critique par rapport à la colonisation. En 1957, on ne compte que 5% d’élèves dans l’enseignement secondaire, l’immense majorité se trouve dans l’enseignement primaire. En 1960, on ne compte que 0.1% de la population scolaire congolaise dans l’enseignement supérieur, alors que la moyenne africaine est de 0.4 % et la moyenne mondiale est de 3%. La  Belgique a trop tardé à lancer des formations secondaires et supérieures, ce qui sera préjudiciable à la reprise correcte du pays par les Congolais lors de l’Indépendance.

Après-guerre, les industries dans un souci de profit et de rendement maximal, mise sur la mécanisation. Toutefois les travailleurs qualifiés européens coutent très cher, donc de plus en plus d’industries forment des Congolais qui exercent des postes plus importants qu’auparavant. Toutefois, même le plus qualifié des Congolais reste inférieur au moins qualifié des Européens dans la logique raciste coloniale.

Les Congolais s’organisent politiquement
Patrice Lumumba fonde le MNC en 1958.source: HO.2013.57.927, collection RMCA Tervuren; photo RMCA Tervuren Tshibumba Kanda Matulu. Discours de Lumumba MNC. Droits réservés.

Depuis le début de la colonisation, les Congolais ont résisté de différentes façons, parfois de façon violente à la présence étrangère sur leur sol. Mais toutes ces actions ne résultent pas de mouvements politiques organisés. Il faut attendre la seconde moitié des années 1950, pour que de vraies revendications politiques autonomistes voient le jour. L’élite congolaise, qu’on appelle « les évolués » ne voit pas d’amélioration de son sort. Malgré tous les efforts fournis pour obtenir le statut « d’évolué »,  ils sont toujours considérés comme inférieurs aux Blancs. En 1956, le « Manifeste » paru dans Conscience africaine puis le contre-manifeste du parti ABAKO  sont les premiers documents officiels où une revendication politique congolaise souhaite l’émancipation du Congo. En 1958, Patrice Lumumba cofonde le Mouvement national congolais (MNC) et revendique l’indépendance du Congo. De plus en plus de partis politiques réclamant l’indépendance sont créés.

Malgré des signaux évidents de la part des Congolais pour obtenir leur indépendance, le mouvement n’est pas suffisamment pris au sérieux par le colonisateur belge qui se berce d’illusions. Pour preuve, le roi Baudouin se rend au Congo en 1955 afin de faire la tournée de la colonie belge et rappeler les liens solides entre les deux pays. Ce n’est que vers la fin des années 1950 que le colonisateur belge se rend compte qu’il ne pourra plus maintenir très longtemps son pouvoir sur la colonie. Les autres pays colonisateurs ont ouvert la voie à l’indépendance, il ne peut plus se voiler la face. Une véritable panique s’installe quand les Belges prennent conscience qu’ils n’ont pas assez africanisé les cadres de la colonie. Avec une précipitation qui sera néfaste à la stabilité du Congo indépendant, les Belges organisent plusieurs réunions avec les représentants congolais.

Le 30 juin 1960, l’indépendance est proclamée avec Joseph Kasa-Vubu comme président, et Patrice Lumumba comme Premier ministre. La passation de pouvoir s’effectue dans la paix. Mais les lendemains de l’indépendance vont plonger le Congo dans la guerre civile, à cause de la mauvaise politique de passation de pouvoir de la Belgique, et la volonté de cette dernière (et des pays occidentaux) de maintenir leurs intérêts dans ce nouveau pays.

6 ¦ Résumé

  • Avant la colonisation de la fin du XIXe siècle, des structures politiques existent dans les territoires congolais. Elles sont bien organisées économiquement et culturellement. L’Europe souhaite mettre la main sur les richesses africaines, et entreprend la colonisation de l’Afrique. Léopold II, roi des Belges, veut une colonie pour son pays, mais devant l’indifférence générale, il va se lancer dans l’aventure entouré d’une partie de la bourgeoisie belge. En 1885, en marge de la conférence de Berlin, les États occidentaux reconnaissent les territoires congolais comme un État : l’État Indépendant du Congo (EIC), sous l’autorité du monarque belge.
  • La colonisation du Congo va être difficile, car les populations locales refusent de se laisser dominer par des étrangers, et résistent. La Force publique (armée coloniale) utilise une violence extrême pour soumettre le pays. Cette violence va également être particulièrement brutale dans la gestion économique de la colonie. Afin d’obliger les populations à fournir de grosses quantités de caoutchouc,  le colonisateur va user d’une cruauté rare : viols, incendies de village, massacres, etc. Une résistance locale couplée à une campagne internationale va obliger Léopold II à céder le Congo à la Belgique en 1908.
  • La Belgique s’engage à mettre fin aux atrocités, mais dans les faits, de nombreuses caractéristiques de l’EIC vont perdurer comme le travail forcé, les violences, ou encore le racisme. Pendant les guerres, le Congo va surtout fournir des matières premières, et permettra à la Belgique de justifier sa place parmi les Alliés. Une amélioration du sort des Congolais des villes est visible dans les années 1950. Mais loin de l’idée défendue d’une colonie modèle, la Belgique ne fait rien pour permettre une bonne transition du pouvoir au bénéfice des Congolais lors de l’indépendance. Le Congo est très rentable économiquement pour le colonisateur, mais les structures établies ne bénéficient que très peu aux Congolais

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La colonisation de l’Afrique

Par Benjamin Hennon,

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Expliquer les tentatives de réforme en Afrique au XIXe siècle.
  • Expliquer la façon dont les Européens se sont emparés de territoires en Afrique.
  • Expliquer le rôle du continent africain dans les deux guerres mondiales.
  • Expliquer la façon dont les colonies sont organisées.
  • Expliquer les facteurs qui précipitent la fin de la colonisation en Afrique.

2 ¦ Introduction

Tout au long du XIXe siècle, l’Afrique multiplie les efforts pour se remettre de quatre siècles de traite négrière transatlantique. Elle va tenter de se réformer et de se renforcer. Des structures politiques vont se déployer, tandis que d’autres s’affaiblissent. Contrairement à ce que l’on présente parfois, l’Afrique n’est pas un ensemble homogène. Les réalités et les processus politiques et sociaux en œuvre en Afrique occidentale ne sont pas les mêmes que dans l’Afrique centrale. Avant la colonisation, les différentes régions africaines connaissent des histoires différentes, ce sera le cas aussi durant la colonisation, même si un certain nombres de caractéristiques, comme la violence, le racisme, et le mode de gestion des colonies seront assez similaires à l’ensemble du continent.

En Europe, un système capitaliste impérialiste fondé sur l’industrialisation émerge. Les nouveaux moyens de production entraînent l’augmentation de la production. Un petit nombre de capitalistes et de groupes financiers possèdent les infrastructures industrielles, et recherchent très activement  des ressources pour faire fonctionner leurs  industries, et des marchés pour écouler leurs produits finis. C’est ainsi que l’avènement de l’âge industriel en Europe est indissociable de  l’avènement du colonialisme « moderne »  en Afrique, et dans le monde. L’Europe va tenter de dominer l’Afrique pour de multiples raisons : économiquepolitiquedémographique, voire idéologique. Le racisme, et le capitalisme sont à la base de la colonisation.

3 ¦ L’Afrique au XIXe siècle

Avant la colonisation de la fin du XIXe siècle, l’Afrique a connu quatre siècles de relations commerciales avec l’Europe. Des comptoirs européens, sous souveraineté africaine, sont situés le long de la côte atlantique de l’Afrique. Une énorme demande en esclaves pour les Amériques va entrainer une traite négrière du XVe siècle jusqu’au début du XIXe siècle. La traite atlantique va bouleverser les structures politiques en Afrique. En parallèle, une traite négrière s’opère via l’océan indien, et le Sahara du VIIe au XIXe siècle. Des royaumes puissants disparaissent comme le royaume Kongo, et d’autres, tirant profit du trafic, se renforcent comme le Dahomey. Avec l’abolition de la traite négrière, au début du XIXe siècle, les États africains ont tiré les leçons de cet épisode. Dans leur ensemble, ils essayent de renforcer leur puissance, et leurs moyens de défense.

3.1. Économie et politique

La demande européenne de produits comme le caoutchouc, l’huile de palme, ou encore l’ivoire va faire du commerce africain un facteur essentiel de la puissance des États africains. Un réseau intérieur de routes commerciales permet de répondre à la demande européenne, et permet aux Africains de se procurer armes à feu et richesses qui permettent de combattre les États rivaux, ou de permettre des rébellions et des sécessions.

Labotsibeni Mdluli (1859 - 1925), reine du Swaziland va promouvoir le système éducatif, et va résister aux Anglais et aux Boers.source: https://fr.unesco.org/womeninafrica/

Les Africains ont conscience que les armes européennes sont plus efficaces et tentent de s’en procurer, ce qui va bouleverser l’organisation militaire africaine. Des infanteries armées vont remplacer les cavaleries en tant que corps d’élite.  De nombreux États africains sont en guerre au cours du XIXe siècle. L’instabilité politique et les déplacements de population sont généralisés. Par exemple, le Mfecane (entre 1815 et 1840, guerres et migrations en Afrique australe et centrale autour de l’accession au pouvoir de Chaka, roi des Zoulous) bouleverse les structures politiques d’une partie du continent africain.

Les rivalités politiques sont fortes, et certains États, pour survivre, n’ont d’autres choix que de se réformer en centralisant le pouvoir, de créer une force armée permanente, et d’envahir les États voisins, au risque de disparaitre eux-mêmes. C’est le cas de l’Ashanti ou du Dahomey par exemple. Certains chefs africains, dans les États fanti de la Côte-de-l’Or, reçoivent une éducation occidentale, et essayent de réformer les structures traditionnelles. L’Éthiopie s’unifie et réforme ses institutions. Dans les années 1870, les États africains sont plus centralisés, plus forts et plus étendus.

La révolution industrielle, et les guerres permettent à l’Europe de développer un armement très efficace. Dès lors, à partir des années 1870, les rapports de force entre États africains et européens deviennent de plus en plus inégaux.

Au XIXe siècle, de nombreuses structures politiques existent sur le continent africain.

3.2. Transformation sociale et politique

Socialement, l’Afrique se transforme aussi. Outre l’apparition d’une classe de guerriers, et d’une classe de marchands, la demande croissante de main-d’œuvre, allant de pair avec l’augmentation de la demande pour certains produis africains, entraine une augmentation du nombre d’esclaves dans les sociétés africaines, et l’utilisation du travail forcé.

Les sociétés africaines se transforment grâce à des facteurs internes ou grâce à des contacts avec les missionnaires, et les négociants européens qui se trouvent sur les côtes africaines, puis à partir du milieu du XIXe siècle, de plus en plus profondément à l’intérieur du continent africain.

4 ¦ L’Europe et la montée du colonialisme moderne (XIXe siècle)

Lors du Congrès de Vienne en 1815, les puissances européennes se mettent d’accord pour abolir la traite négrière, même si elle perdurera illégalement jusqu’au milieu du siècle. L’abolition de la traite et de l’esclavage par les pays européens est surtout le résultat de l’essor du capitalisme industriel au XIXe siècle qui prône d’autres formes de travail que l’esclavage et qui considère qu’il est plus intéressant d’avoir des clients sur le sol africain.

4.1. Idéologie européenne

Au XIXe siècle, le racisme scientifique tente de démontrer une hiérarchisation des races.source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Racisme#/media/Fichier:Races_and_skulls.png

Dès le XVIIIe siècle, le racisme biologique se répand en Europe. De nombreux scientifiques vont tenter de démontrer, à travers de pseudosciences, qu’il existe une hiérarchisation des races, et que la race blanche est supérieure aux autres. Ces pseudosciences, bien que remise en cause par certains dès le XIXe siècle, entre autre par Anténor Firmin, servira de légitimation à la colonisation. Il est normal que la race supérieure domine la race inférieure afin de l’aider à se développer. Les Européens vont de plus en plus ressentir le besoin d’apporter la prétendue civilisation blanche aux peuples dits « inférieurs ». L’argument antiesclavagiste se développe également en Europe. L’esclavage sévit toujours en Afrique, que ce soit de la part des États africains eux-mêmes ou de la part des Arabes qui organisent une traite orientale. Les Européens considèrent, dès lors, qu’il est de leur devoir de mettre fin à ces pratiques, bien que leurs explorateurs, et marchands s’en servent dans leurs missions en Afrique.

4.2. Révolution industrielle

La révolution industrielle du XIXe siècle va faire exploser la recherche de débouchés pour les produits européens, et la demande en matières premières. L’Afrique, ainsi que d’autres régions extraeuropéennes, apparaissent de plus en plus comme des lieux attractifs avec lesquels il est intéressant de commercer. Des liens commencent à se créer, des négociants européens parcourent de plus en plus les royaumes africains. L’idée qu’il serait plus intéressant de dominer entièrement ces territoires plutôt que de commercer avec eux fait petit à petit son chemin. De plus, les évolutions technologiques vont permettre la colonisation, comme les avancées biomédicales en général, et en particulier la quinine, le développement du bateau à vapeur, ou encore l’invention du fusil automatique.

4.3. Guerres et rivalités européennes

L'armement se perfectionne en Europe à cause des nombreuses guerres, comme la guerre franco-prussienne de 1870.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:French_soldiers_in_the_Franco-Prussian_War_1870-71.jpg

En 1870, la révolution industrielle et les guerres, notamment la victoire de la Prusse sur la France en 1870-1871, entrainent une amélioration des armements et des techniques militaires en Europe. Les unifications allemande et italienne en 1870 poussent ces deux nouveaux États puissants à revendiquer une plus grande place dans l’obtention des ressources africaines jusque-là monopolisée principalement par la Grande-Bretagne et la France.  Les rivalités européennes sont très fortes au XIXe siècle. La défaite de la France face à la Prusse entraine sa volonté de se tailler un empire africain pour faire oublier l’humiliation et pour développer son économie. Elle s’appuie sur des missionnaires et des agents commerciaux déjà présents en Afrique. Les rivalités européennes vont s’installer en Afrique.

4.4. Évolution des rapports de force entre l’Europe et l’Afrique

Les perspectives économiques et politiques que représente l’Afrique pour les États européens bouleversent les rapports entre Européens et Africains. Dorénavant, certaines activités qui pouvaient apparaitre comme « désintéressées » comme les explorations, ou l’évangélisation des missionnaires commencent à être envisagées dans un intérêt stratégique pour les pays européens. Les missionnaires, et les marchands européens servent désormais les intérêts nationaux européens en recueillant des informations, et en tentant d’affaiblir les pouvoirs locaux.

5 ¦ Appropriation territoriale et résistance africaine (1880 – 1900)

Les Européens pour les motifs évoqués plus hauts (économiques, politiques, et « civilisateurs » principalement) vont élaborer plusieurs stratégies pour accaparer les territoires africains. Ils vont principalement utiliser la diplomatie, le droit international, et la guerre. Toutefois, les États africains ne se laisseront pas faire et résisteront, parfois pendant plusieurs décennies aux prétentions européennes.

5.1. Le droit international au service de la conquête

Contrairement à l'idée reçue, les Occidentaux ne sont pas partagé l'Afrique lors de la Conférence de Berlin en 1884/1855 mais ont établi les règles pour pouvoir occuper un territoire.source: Karikatur av Berlinkonferansen i 1884 [Internett]. Leverandør: akg-images, Leverandør: NTB scanpix. Henta frå: https://ndla.no/subject:1:e0a0faa8-cefd-481f-bf79-b45ad4d7c5e7/topic:3:182163/topic:3:164660/resource:1:165021

Les rivalités européennes qui se sont exportées en Afrique risquent de déclencher de nouveaux conflits en Europe, ce que les pays européens veulent éviter. Ainsi, la France et la Grande-Bretagne s’opposent dans le Haut et le Bas-Niger, quant aux Portugal et à la Grande-Bretagne, ils veulent éviter de s’affronter dans le bassin du Congo. La conférence de Berlin est alors organisée en 1884-1885 afin d’établir un certain nombre de règles pour l’occupation de l’Afrique et ainsi éviter des conflits entre États européens. Contrairement au mythe bien connu, l’Europe ne se partage pas l’Afrique, mais établit les règles à suivre pour revendiquer un territoire en Afrique. 

Aucun État africain n’est représenté lors de la conférence de Berlin. En effet, au cours du XIXe siècle, au nom de critères raciaux et civilisationnels, la plupart des pays non européens sont exclus du droit international. De plus, pour les États européens, bien qu’ils fassent du commerce avec les États africains, ils considèrent que comme ces derniers possèdent des esclaves et en font commerce, ils ne peuvent être reconnus en droit international. Dès lors, l’Afrique sera reconnue terra nullius (espace considéré comme pouvant être habité, mais ne relevant pas d’un État). L’Europe part, ici, avec un avantage sur l’Afrique, elle fait front commun, alors que les États africains sont divisés dès le départ.

En Afrique, les États européens s’allient avec certains États africains, en combattent d’autres, les montent les uns contre les autres, en Europe, à travers la conférence de Berlin (1885) et l’Acte de Bruxelles (1890), un front européen se dessine pour interdire, notamment, la fourniture d’armes à feu.  La stratégie est implacable et l’Afrique souffre d’un déficit diplomatique en politique internationale.

5.2. L’appropriation par traité

Hendrik Witbooi (1830 - 1905) entretient une correspondance avec les officiers allemands afin de défendre sa conception égalitaire entre nations.source: https://snappygoat.com/

L’Europe n’a pas systématiquement dû faire des guerres pour s’approprier des territoires en Afrique. Certaines régions sont tombées sous domination européenne grâce à des négociations. De nombreux traités sont signés entre les États africains et les États européens. Dans ces traités, en échange de protection, les Africains acceptent la perte de leur souveraineté, mais dans la plupart des cas, les chefs d’État africains conservent leur autorité. Il est probable que pour les Africains, ces traités soient surtout apparus comme des actes d’alliance et pas d’allégeance. Toutefois, certains chefs d’État africain refusent complètement ces traités comme le roi du Dahomey qui déclare, dans une lettre envoyée au roi du Portugal en 1887 : « Il vaut mieux que chaque nation gouverne ses terres, les Blancs dans les leurs avec leurs Rois, et moi, Roi du Dahomey avec les miennes. »

Parfois, certains chefs d’États africains trouvent eux-mêmes intéressant d’établir des liens avec un pays européen pour des raisons diverses : acquérir des armes, se défendre face à un voisin expansionniste, ou encore garantir son pouvoir face à des rivaux. Certains chefs d’État sont, par ailleurs, habiles dans l’art de jouer avec les rivalités européennes. Dès lors, il faut relativiser l’idée commune qui voudrait que la plupart des chefs d’État africains aient signé des traités avec une croix sans savoir ce qu’ils faisaient. En 1894, Witbooi, par exemple, chef du Namaqualand entretient une correspondance avec les officiers allemands afin de défendre ses revendications, et sa conception égalitaire entre nations. Ce sont parfois les Européens eux-mêmes qui ne comprennent pas les stratégies que poursuivent leurs nouveaux alliés africains.

Samori Touré (1830 – 1900) va résister 17 ans face à l’envahisseur français.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Almamy_Samory_Touré.jpg

Une fois les traités d’allégeance signés, tout n’est pas gagné pour les Européens. En effet, il est possible que des guerres se déclarent si les États africains considèrent que la pression coloniale est trop forte. Les Sotho, par exemple, lancent la « guerre des fusils » (1879 – 1881) face aux Britanniques alors qu’un traité avait déjà été signé. Witboi se soulève face aux Allemands en 1904, 10 ans après avoir pourtant accepté de se soumettre. Parfois, signer un traité est une ruse pour les chefs d’État africain afin de gagner du temps, de se procurer des armes et de se soulever face aux pays européens. Ainsi, Samori Touré en Afrique de l’Ouest conclut plusieurs traités avec les Français entre 1886 et 1889 avant de se soulever en 1891.

5.3. L’appropriation par la guerre

Si les traités ou l’ingérence ne fonctionnent pas, les Européens utilisent la guerre pour s’approprier les territoires africains. Les Européens vendent, tout au long du XIXe siècle, des armes aux Africains afin d’obtenir des marchandises, ou des traités. Dès lors, l’infanterie africaine se développe. Toutefois, suite à la conférence de Berlin en 1885 et surtout à l’Acte de Bruxelles en 1890, il est décidé, qu’au nom de la campagne antiesclavagiste, il est interdit de vendre des armes aux États africains, affaiblissant ainsi ces derniers.

Nehanda Nyakasikana (1863 – 1898), cheffe spirituelle du Mashonaland (Zimbabwé) prend la tête de la résistance face aux Anglais avant d’être capturée et exécutée par ceux-ci.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Capture_Nehanda_Nyakasikana.jpg

On retrouve du côté africain, par exemple chez les Zoulous, au Dahomey ou encore à Zanzibar, de très bonnes armées disciplinées avec de très bons généraux qui possèdent, en plus, l’avantage de mieux connaitre le terrain que les Européens. Les Européens ne vont pas directement envoyer des troupes entières en Afrique. L’émancipation des esclaves sert les intérêts européens. Cela leur permet d’affaiblir l’économie africaine basée sur ce système, et surtout d’enrôler dans leurs armées des esclaves émancipés qui se montreront loyaux envers leurs « libérateurs ». Mais il arrive que les troupes africaines, au service des Européens, se mutinent également, comme en 1897 dans l’État Indépendant du Congo où la Force publique (armée coloniale) se révolte. Les Européens se font également des alliés parmi les États africains grâce au travail de renseignements, des missionnaires et des marchands sur place.

Les Européens ne gagnent pas toutes leurs guerres d’occupation. En Éthiopie, lors de la bataille d’Adoua en 1896, Ménélik, empereur d’Éthiopie écrase l’armée italienne et parvient à maintenir l’indépendance de son pays. En 1879, les Britanniques sont battus par les Zoulous, même s’ils finiront par l’emporter. Malgré les défaites que peuvent subir les Européens, ils ont confiance dans la supériorité quantitative et qualitative de leur armement qui finira par faire la différence.

L’Éthiopie remporte une importante bataille à Adoua face aux Italiens en 1896.source: Battle of Adwa, 1910, E261845-0, Department of Anthropology, Smithsonian Institution.

La conquête militaire de l’Afrique n’est pas si simple que cela pour les Européens. Ils ont eu recours à une violence extrême pour parvenir à leurs fins. Comme les populations locales ravitaillent et soutiennent les armées autochtones, les officiers européens, à de nombreuses reprises et à différents endroits n’hésitent pas à ordonner de brûler les villages et à exécuter les prisonniers. Afin de soumettre les populations à la nouvelle autorité coloniale, les Européens n’hésiteront pas à brûler les récoltes, afin d’affamer les populations pour qu’elles se soumettent. C’est notamment une stratégie que la France pratique en Algérie. Ces pratiques sont d’autant plus choquantes qu’elles sont contraires au droit de la guerre en vigueur à cette époque et qui protège les prisonniers de guerre notamment.

Entre 1904 et 1908, les Allemands vont exterminer Hereros et Namas lors d'un des tout premiers génocides reconnus.source: Coll. J-B. Gewald / Courtesy of Vereinigte Evangelische Mission Archiv, Wuppertal.DR.

La violence coloniale, poussée à son paroxysme, a entrainé l’un des premiers génocides reconnus envers les Hereros et les Namas. Les Allemands vont exterminer entre 70 et 80% des Hereros, et près de 50% des Namas entre 1904 et 1908.

5.4. Conclusion

Les États africains ont probablement cru qu’étant loin de leurs pays, les Européens ne pourraient jamais être une menace significative, le nombre jouant pour l’Afrique. De plus, les États ont préféré jouer la carte individuelle alors qu’une solidarité panafricaine aurait certainement entrainé d’autres conséquences. Fin du XIXe –début du XXe siècle, les frontières coloniales sont tracées, mais des résistances à l’occupation vont perdurer jusqu’aux indépendances. Les Européens n’ont pas la maitrise absolue de l’ensemble des territoires,  certaines régions restent relativement autonomes contrairement à ce que pourraient faire penser les cartes des colonies africaines.

6 ¦ L’État colonial, entre lutte et consolidation (+- 1885 – +- 1960)

6.1. L’organisation des colonies

A. Statuts différents

Les territoires africains colonisés par les Européens n’ont pas tous le même statut. On peut distinguer la colonie, totalement dominée par la Métropole, et dirigée à tous les étages par des Européens et le protectorat où les élites locales restent en place tout en étant, bien sûr, soumises à l’autorité coloniale. Certaines régions passent d’un statut à l’autre pendant la période coloniale. Toutefois, on observe que les États européens ont de plus en plus tendance à se servir des élites locales pour gérer leurs territoires au cours de la période coloniale. Cela est moins couteux et plus efficace pour les Européens qui sont présents de manière très minoritaire en Afrique. Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de véritable méthode coloniale propre à chaque pays européen. Les différences de gestion au sein d’un même empire colonial sont parfois plus importantes qu’entre les différents empires eux-mêmes. La gestion des territoires dépend surtout de la structure politique, sociale et culturelle de l’espace colonisé, plus que de la vision  du colonisateur. De plus, les puissances coloniales tentent de s’inspirer de ce qui semble le mieux fonctionner chez les autres. Dès lors, on peut véritablement parler de colonisation européenne au sens large, et non pas de colonisation britannique, française ou belge en particulier.

A la veille de 1914, toute l’Afrique est dominée par l’Europe, à l’exception du Libéria et de l’Éthiopiesource: CEC-Bokundoli
B. Le mythe de l’administration directe

Les colonisations belge ou française sont parfois présentées comme les représentants d’une administration directe, c’est-à-dire  que les colonisateurs organisent et maitrisent tout ce qui se passe dans la colonie alors que la Grande-Bretagne est présentée comme l’incarnation même de l’administration indirecte (Indirect rule), c’est-à-dire une administration qui s’appuie sur les élites locales. En réalité, il y a trop peu d’Européens présents dans les colonies, et les territoires sont si gigantesques qu’on ne retrouve pas des Européens sur l’ensemble des espaces colonisés. Dès lors, les colonisateurs n’ont d’autres choix que de s’appuyer sur les élites locales pour administrer leurs colonies. Les colonisateurs vont destituer des élites, en nommer d’autres, plus conciliantes, à leur place, mais ne peuvent se passer des élites locales.

C. Infrastructures

Une fois la main mise sur les territoires africains, les Européens vont tenter de développer les infrastructures en Afrique afin d’exploiter plus facilement les territoires colonisés, et de permettre une meilleure circulation des marchandises, des troupes, et des informations. Pour réaliser les travaux, comme l’installation de rails, ou de télégraphe, les Européens se servent de la main-d’œuvre locale contrainte de travailler dans des conditions abominables.

Ces infrastructures sont présentées comme un apport de la civilisation occidentale au bénéfice des colonisés. Or, elles permettent surtout d’asseoir la domination coloniale, et d’exploiter plus efficacement les territoires colonisés. Il convient aussi de relativiser l’apport d’infrastructure en Afrique, en 1914, le continent ne possède que 5% des voies de chemin de fer mondiales, et de nombreuses régions africaines restent dépourvues d’infrastructure, et ce parfois jusqu’aux indépendances. Les réseaux locaux, telle la marchele portage, ou encore la pirogue restent bien souvent importants dans les colonies.

Les Européens vont développer des infrastructures en Afrique dans leur seul intérêt et en exploitant la main d’œuvre africaine.source: HO.2013.57.143, collection RMCA Tervuren ; photo MRAC Tervuren

6.2. Violence et racisme

La répression est extrême. Des colonisateurs français posent avec une tête coupée africaine dans les années 1900.source: EN COURS

L’histoire entière de la colonisation repose sur la violence et le racisme. Le colonisateur fait usage de violence de la conquête jusqu’aux indépendances, que ce soit lors de combats pour assurer sa domination, de répressions face aux insurrections, ou encore lors de châtiments corporels pour divers motifs. Le racisme est le fondement même du droit dans les colonies. Les colonisés n’ont aucun droit, et la justice coloniale donne constamment raison à l’Européen en cas de litige.

Les châtiments corporels sont récurrents durant la colonisation.source: HP.1960.5.1308, collection MRAC Tervuren ; photo Delhaye, s.d.

Pour effectuer de grands travaux d’infrastructure, pour travailler dans les champs, les plantations, ou encore les mines, le colonisateur a besoin d’énormément de main d’œuvre. Il la puise dans les populations locales en les y contraignant, le plus souvent par la force. La pratique du travail forcé est régulièrement utilisée, des gens sont contraints de travailler, le plus souvent sans rémunération, et dans des conditions épouvantables pour le compte de la métropole.

Tous les colonisateurs vont recourir à un moment ou à un autre au travail forcé dans leurs colonies, pour des travaux publics ou privés. Dans les colonies françaises, par exemple, le travail forcé ne sera aboli officiellement qu’en 1946.

6.3. Les deux guerres mondiales

A. La Première Guerre mondiale

La tension extrême entre impérialismes européens va conduire au premier conflit mondial entre 1914 et 1918. La guerre va se dérouler principalement en Europe, mais aussi dans quelques colonies. Des centaines de milliers de soldats issus des colonies vont combattre en Europe, mais aussi en Afrique et en Asie pour le compte des métropoles européennes.

Les colonies britanniques, françaises et belges vont attaquer les colonies allemandes en Afrique. Le Togo et le Cameroun allemands vont tomber en 1916, tandis que l’Afrique-Orientale allemande ne se rend qu’en 1918. L’idée d’utiliser des forces coloniales pour faire la guerre en Europe n’est pas partagée par tous les Européens. Les Britanniques sont réticents, mais vont quand même les utiliser, les Belges ne vont pas y recourir en Europe, tandis que les Français sont plus favorables à cette utilisation. Dès 1911, certains officiers français insistent pour l’utilisation, en cas de guerre, de la « force noire ». Dans les pays colonisés, les élites africaines vont soutenir cette utilisation des troupes locales en espérant recevoir en retour des droits politiques. C’est le cas, notamment de Blaise Diagne, seul représentant africain au parlement français durant la guerre, qui soutient l’envoi de tirailleurs sénégalais. Toutefois, la mobilisation des forces colonisées ne va pas être une tâche facile. Certains vont fuir afin d’échapper à l’enrôlement.

En plus des troupes utilisées, de nombreux colonisés vont travailler dans des usines européennes, en France principalement. Les impôts vont augmenter dans les colonies afin de soutenir l’effort de guerre, le travail forcé va être utilisé à peu près dans toutes les colonies. Le mécontentement va augmenter dans les colonies, et des révoltes vont avoir lieu. Des promesses de réforme en faveur des colonisés vont être faites, mais aucune ne sera tenue par les colonisateurs à la sortie de la guerre, et ce malgré les sacrifices importants des populations colonisées. La fin de la Première Guerre mondiale va marquer la chute de certains empires coloniaux comme l’empire allemand. Après-guerre, les colonies allemandes vont être réparties entre les vainqueurs européens à savoir la Grande-Bretagne, la Belgique et la France.

Les Africains vont prendre part aux deux conflits mondiaux. Un officier britannique passe en revue les troupes nigérianes.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nigerian_recruits.jpg
B. La Seconde Guerre mondiale

Comme lors du premier conflit mondial, les colonies vont être mises à rude contribution lors de la Seconde Guerre mondiale. Pendant cette guerre, l’Afrique est l’un des centres où se déroulent les conflits.  En 1936, soit 40 ans après la défaite cuisante de l’Italie face à l’Éthiopie, l’Italie de Mussolini parvient à battre l’Éthiopie, restée indépendante jusque-là, et va l’occuper jusqu’en 1941.

Les pays colonisateurs vont s’appuyer sur leurs colonies qui vont servir de réserves d’hommes, de matière première et de produits alimentaires. Les Belges, dont le pays est complètement dominé par l’Allemagne nazie, conservent leur place parmi les Alliés grâce à leurs colonies africaines qui participent activement à l’effort de guerre. Les colonies sont stratégiques aussi pour les Français, divisés entre Pétain qui voit dans les colonies un moyen de garantir son pouvoir, et De Gaulle qui y voit le moyen de libérer le pays.

La mobilisation du côté des colonisés va être très importante,  et ils vont connaitre de lourdes pertes, notamment chez les tirailleurs sénégalais engagés au côté des Français. Des dizaines de milliers de colonisés vont être prisonniers dans les camps en Allemagne. Et de nombreuses troupes de soldats colonisés vont participer aux débarquements en Italie ou dans le sud de la France.

En plus des hommes envoyés au combat face aux nazis allemands et aux fascistes italiens, les colonies vont également servir de réserves de matières premières. On voit, à nouveau, la continuation du travail forcé, que ce soit dans les champs ou dans les mines des colonies africaines, cette fois au service de l’effort de guerre. Les conditions de vie sont très difficiles pour les populations dans les colonies, du fait de l’énorme pression qui est demandée aux populations afin de soutenir l’effort de guerre. Des pénuries, et des famines vont parfois voir le jour. Des révoltes vont avoir lieu dans de nombreuses colonies. Elles seront violemment réprimées par les colonisateurs.

Comme lors du premier conflit mondial, des promesses sont faites aux populations colonisées, mais elles ne sont pas tenues, une nouvelle fois, par les colonisateurs. Toutefois, les défaites des Belges, des Britanniques, des Français, et des Néerlandais face à l’Allemagne nazie vont montrer aux populations colonisées que les colonisateurs ne sont pas si forts et qu’ils peuvent être vaincus.

Après les Première et Deuxième guerres mondiales, les dominations en Afrique vont changer.source: CEC-Bokundoli

6.4. La marche vers la décolonisation

Encore plus qu’après le Premier conflit mondial, les peuples colonisés aspirent à voir leurs droits respectés, voire leur indépendance reconnue. En Asie, des mouvements de libération s’enclenchent, notamment en Indonésie (indépendance proclamée en 1945), ou en Indochine (proclamation d’indépendance du Vietnam en 1945). En Afrique, les populations espèrent que les nouveaux sacrifices consentis pour les Européens leur permettront d’acquérir davantage de liberté, ce qui ne sera pas le cas. Les mouvements réclamant l’indépendance vont prendre de l’ampleur.

L'ONU va jouer un rôle dans la décolonisation.source: https://www.un.org/

La Charte des Nations unies de 1945 condamne le colonialisme. Dès lors, les pays colonisateurs sont de plus en plus isolés sur la scène internationale. Les États-Unis qui se déclarent ouvertement anticolonialistes, mais aussi  l’URSS qui pour des raisons différentes condamne également le colonialisme.

De nombreux pays colonisés accèdent à l’indépendance, le plus souvent par la force, entre 1945 et 1965. Certains pays colonisateurs comme la Belgique font de timides réformes dans les années 1950 pour préparer les colonies à l’indépendance, d’autres comme la Grande-Bretagne déploient de plus grands efforts, en tentant toutefois de garantir le plus possible leurs intérêts dans leurs colonies.

7 ¦ L’impact de la colonisation en Afrique

7.1. Politique

Sur le plan politique, la colonisation a profondément bouleversé les structures politiques, en créant  de nouvelles constructions politiques qui échappent au contrôle des Africains. Le pouvoir de chefs traditionnels est fortement diminué. Alors qu’avant la colonisation, les décisions politiques sont prises de manière collective, sous l’autorité d’un chef, dorénavant, le chef sert à appliquer les décisions prises par une autorité étrangère. Le principe de « diviser pour régner » est appliqué pour mieux dominer, en opposant les groupes ethniques les uns aux autres.  Les mouvements politiques, qui sont créés à la veille des indépendances, font la promotion du nationalisme naissant, et du panafricanisme, et servent d’instrument de lutte pour l’indépendance. Ils sont le fait d’une élite africaine qui se développe dans les grandes villes du continent, et en Europe.

7.2. Économique

Sur le plan économique, l’économie coloniale entraîne la construction et le développement d’infrastructures routières, de voies ferrées, de l’installation du télégraphe et du téléphone, de la construction des ports et des aéroports qui sont créés dans le seul but de pouvoir mieux exploiter les territoires et les dominer. On constate, par ailleurs, que certaines régions considérées comme peu intéressantes pour les Européens ne bénéficient pas d’infrastructure, et ce jusqu’aux indépendances. La plupart de ces chantiers vont être menés par des populations contraintes de travailler et violentées par le colonisateur. Les cultures d’exportation sont développées, et remplacent par endroit  les économies de subsistance qui vont être transformées dans le seul but de fournir des matières premières destinées à l’exportation.

7.3. Social

Sur le plan des  répercussions sociales de la domination coloniale, on constate une chute démographique provoquée par la première phase de la colonisation. Les massacres, et  surtout les maladies vont faire chuter la démographie africaine. Par la suite, une fois les colonies établies, l’introduction, le plus souvent de manière contraignante, des systèmes de santé européens va entrainer un accroissement démographique et l’amélioration de la qualité de la vie. On constate également l’émergence de nouvelles structures sociales comme le mariage qui viennent se superposer aux structures sociales préexistantes.  Suite à la scolarisation, de nouvelles élites naissent dans tous les domaines et veulent être considérées comme égaux aux Européens, ce que ces derniers ne permettront jamais du fait de la vision raciste de la société.

8 ¦ Résumé

  • Les sociétés africaines du XIXe siècle entreprennent des réformes grâce à des facteurs internes et externes. La présence de missionnaires, et de commerçants européens, au lieu de profiter aux réformes, va souvent les saboter. En Europe, la révolution industrielle, et les guerres permettent à l’Europe de développer un armement très efficace. Dès lors, à partir des années 1870, les rapports de force entre États africains et européens deviennent de plus en plus inégaux.
  • Les Européens souhaitent mettre la main sur les territoires africains et entreprennent leur conquête, grâce au droit international, aux traités et à la guerre. Toutefois, loin des clichés habituels, les autorités africaines profitent parfois de ces traités pour leurs propres intérêts, et résistent longtemps à la conquête militaire. L’Éthiopie, par exemple, maintiendra son indépendance face à l’impérialisme européen.
  • Durant toute l’époque de la colonisation, les Européens vont faire face à des résistances. Ils vont développer quelques infrastructures pour leurs propres intérêts économiques et politiques, mais contrairement aux idées reçues, ces infrastructures ne seront pas aussi étendues que cela. Devant le peu d’Européens présents sur place, les colonisateurs n’auront d’autres choix que de s’appuyer sur les élites locales pour administrer les territoires, et les politiques coloniales vont surtout se décider grâce aux structures sociales et politiques présentes sur place, plus que sur une théorisation coloniale venant d’Europe.
  • Les deux guerres mondiales vont avoir un impact sur l’Afrique. Les colonies africaines vont participer, soit via des combats en Afrique et en Europe, soit comme réserve de matière première. Des promesses faites par les colonisateurs pendant les guerres ne sont jamais tenues une fois le conflit terminé.
  • Après la Deuxième Guerre mondiale, les critiques du colonialisme sont de plus en plus importantes. Les colonisateurs vont entreprendre de timides réformes pour tenter de maintenir leur domination, mais ne pourront pas lutter contre la volonté d’indépendance des territoires africains, présente dès les premiers jours de la colonisation.

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Comprendre la colonisation

Par Renaud Juste,

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Définir les concepts de colonisation, de colonialisme, et d’impérialisme.
  • Citer et expliquer les différentes motivations qui poussent les Européens à entreprendre la colonisation de l’Afrique.
  • Savoir que des critiques et des résistances ont eu lieu contre la colonisation, en Afrique, et en Europe.

2 ¦ Introduction générale

  1. L’Afrique au XIXe siècle

La fin de la traite négrière transatlantique et l’abolition de l’esclavage au cours du XIXe siècle vont entrainer une nouvelle dynamique en Afrique. Les souverains africains, dans de nombreuses régions du continent, vont essayer de réformer leur société, en renforçant leur puissance et la défense de leur territoire, mais ces efforts vont souvent être contrés par l’intervention extérieure des commerçants, et des missionnaires européens. De vastes et puissants États se situent partout en Afrique, certains, comme le royaume Ashanti, sont redoutés par les Européens. L’Afrique, au XIXe siècle, n’est donc pas un territoire vide de structures politiques comme on a pu longtemps le croire.

  1. L’Europe au XIXe siècle

L’avènement, à la fin du XVIIIe siècle, de la révolution industrielle en Europe, entraine l’accélération de la mondialisation. Les États européens, désireux de se procurer des ressources, et des débouchés pour leurs industries, vont manifester des visées expansionnistes en allant chercher en Amérique, en Asie, en Océanie et en Afrique les moyens de leur politique. L’Europe va se ruer vers de nouveaux territoires pour des raisons complexes mêlant peuplementexploitation économiqueexpansion politique, ou encore idéologie.

Au XIXe siècle, de nombreuses structures politiques existent sur le continent africain.

3 ¦ Quelques définitions

Les colonisateurs européens vont théoriser la colonisation, a posteriori, et tenter de justifier leur domination. Toutefois, les théories sont souvent éloignées des réalités du terrain.

  • La colonisation est une politique d’occupation, d’exploitation et de domination d’une région et de ses communautés humaines par une puissance étrangère (métropole). La colonisation repose sur la croyance en l’infériorité biologique et culturelle des colonisés face au colonisateur (racisme), et s’accompagne de violences multiples. La colonie et est liée économiquement, politiquement et culturellement à la métropole. Les colonisateurs (personnes qui colonisent) ont des droits étendus et peu de devoirs, tandis que les colonisés ont de nombreux devoirs et très peu de droits.
  • Le colonialisme est une doctrine qui a pour but de justifier la colonisation. Parmi les justifications, on retrouve l’économie (besoin d’accès protégé à des ressources et à des marchés), la politique (domination pour affirmer sa puissance en tant qu’État et civilisation), et l’humanitaire (lutte contre l’esclavage et apport de la soi-disant « civilisation »).
  • L’impérialisme est une doctrine d’expansion nationale au moyen de la force ou de l’influence et qui vise à dominer d’autres espaces et communautés. La colonisation est une forme d’impérialisme.

4 ¦ Les motivations européennes à la colonisation

Plusieurs motivations inséparables poussent les Européens à vouloir entreprendre la colonisation d’autres territoires extraeuropéens.

Au XIXe siècle, en Europe, on développe l’idée de races. La prétendue race blanche est considérée comme supérieure aux autres prétendues races.source: G. Bruno, Le tour di monde par deux enfants, 1877 (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:G._Bruno_-_Le_Tour_de_la_France_par_deux_enfants_p188.jpg)
  • la motivation économique : la métropole cherche à obtenir un réservoir de matières premières pour ses industries (par exemple le cuivre, l’or, le coton, ou encore le café) et de nouveaux débouchés pour ses marchandises. Jules Ferry, un homme politique français du XIXe siècle a déclaré : « La création d’une colonie, c’est la création d’un débouché…La politique coloniale est fille de la politique industrielle.» Une fois la colonie établie, la métropole contrôle la production, l’exportation, l’importation et le commerce dans ses colonies.
  • La motivation idéologique : la métropole souhaite imposer à d’autres populations son idéologie (religieuse, culturelle, etc.) qu’elle considère comme supérieure. Une fois la colonie établie, elle l’impose (s’il le faut par la force) aux populations colonisées, et tente de leur faire croire qu’elles sont inférieures culturellement.
  • La motivation démographique : dans certains cas, la métropole souhaite envoyer ses ressortissants dans d’autres régions du monde, afin qu’ils s’y établissent définitivement (c’est le cas des colonies de peuplement comme l’Australie, l’Algérie, et l’Afrique du Sud par exemple).
  • La motivation politique : la métropole veut accroitre sa puissance politique en occupant un ou plusieurs autres territoires.

5 ¦ Critique de la colonisation

Face à ces motivations coloniales, une résistance intellectuelle et effective s’installe dans les espaces colonisés comme l’Afrique, mais aussi en Europe. En Afrique, les populations vont résister violemment, et de vastes campagnes militaires vont se dérouler pendant des années. Jusqu’aux indépendances, les États européens vont devoir lutter contre des révoltes et des résistances permanentes de la part des colonisés, mais aussi contre le refus des colonisés de s’accepter comme « inférieurs », ou de répondre aux demandes des acteurs coloniaux (travail forcé, taxation). Les peuples colonisés, dans leur majorité, ne vont jamais accepter la domination européenne et vont constamment lutter contre l’envahisseur occidental.

En Europe, tout le monde ne soutient pas la politique coloniale. Par exemple, le socialisme européen, y compris sa branche communiste, s’oppose à la colonisation, en y voyant une des formes du capitalisme. En 1927, un congrès contre le colonialisme et l’impérialisme va se tenir à Bruxelles à l’initiative des communistes européens. Il rassemblera des intellectuels européens, mais aussi des représentants des peuples colonisés.

6 ¦ Résumé

La colonisation est un processus qui permit aux peuples européens de dominer et d’exploiter d’autres peuples du monde tandis que le colonialisme est une doctrine qui justifie pareille entreprise d’aliénation des pays étrangers à l’Europe et leur exploitation par les puissances d’occupation. Tout au long de la colonisation, les peuples colonisés résistent et se révoltent face contre la domination étrangère.

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Esclavage et traites négrières dans l’espace congolais

Par Benjamin Hennon,

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Comprendre pourquoi et comment certaines pratiques esclavagistes sont nées et quels sont leurs prolongements et leurs effets aujourd’hui.
  • Comprendre pourquoi il est nécessaire de bien connaître cette histoire des traites et de l’esclavage qui a fortement marqué la perception des Africains sur eux-mêmes ainsi que le regard des autres sur les Africains.

2 ¦ Introduction

De nombreuses routes d’esclave vont parcourir l’espace congolais.source: B. ALLAN OGOT, dir., Histoire générale de l'Afrique, t. V : L'Afrique du XVIe au XVIIIe siècle XIXe siècle, Paris, UNESCO, 1996, p. 633 (droits réservés).

L’espace congolais, de par sa position centrale en Afrique, a longtemps servi de plaque tournante de l’esclavage. Avant la traite négrière orientale (VIIe siècle, leçon 2), et la traite négrière transatlantique (XVe siècle, leçon 3), l’espace congolais et l’Afrique ont connu un esclavage interne, comme dans toutes les sociétés du monde.

Toutefois, l’intensité des traites négrières, et en particulier la traite transatlantique, va avoir des conséquences importantes sur l’espace congolais. Au XVe siècle, la traite négrière sera un obstacle au progrès sociopolitique du Royaume du Kongo. Elle bouleversera l’ordre social et toutes les structures culturelles traditionnelles. Des royaumes ancestraux vont s’effondrer, d’autres vont apparaitre. De nombreuses routes des esclaves vont parcourir l’espace congolais. Ces itinéraires sont les témoins silencieux des horreurs quotidiennes qui caractérisent le trafic d’esclaves.

3 ¦ Les formes anciennes d’esclavage au Congo

La plupart des sociétés humaines ont, à un moment de leur histoire, subi ou pratiqué l’esclavage. Avant même les traites négrières, les sociétés congolaises ont connu plusieurs formes d’esclavage telles que :

  • l’esclavage au niveau familial, clanique ou lignager

Une personne devient esclave pour plusieurs raisons : par hérédité, par insolvabilité (non-paiement d’une dette personnelle ou de la dette d’un parent), à cause d’une accusation de sorcellerie, pour des motifs d’inceste, d’homicide, de mauvaise conduite, etc.

  • l’esclavage au niveau de l’État

Les raisons de mise en esclavage sont plus diversifiées : esclaves royaux, esclaves gardiens des membres de la famille royale, esclaves des dignitaires de l’État, esclaves des élites marchandes ou religieuses, etc.

Les esclaves peuvent servir de butins de guerre ou de paiement de tribut. Il arrive parfois que des esclaves vivants soient choisis pour être ensevelis avec le roi en vue de le servir dans l’autre monde. L’esclavage peut s’inscrire également dans des circuits commerciaux plus étendus liés à l’exportation de personnes réduites en esclavage dans le cas de guerres entre lignages, de guerres entre États et autres formes de violence collective. Il est possible pour les esclaves de retrouver leur liberté le plus souvent après une ou plusieurs générations, soit suite au mariage avec une personne libre, soit par un des multiples procédés de rachat variables selon les lieux et selon les époques.

4 ¦ Les formes de traites négrières au Congo

On y distingue trois types de traite : la traite nilo-soudanaise, la traite orientale, la traite occidentale ou transatlantique.

4.1. La traite nilo-soudanaise

Depuis l’Antiquité, la traite se pratique le long du Nil. Les esclaves provenant de l’Afrique centrale et plus particulièrement du nord de la Province Orientale du Congo, du Soudan, de l’Ethiopie et de l’Egypte sont vendus sur  les marchés au même titre que les épices. Sur ces marchés, on retrouve des esclaves de différentes origines, en plus des Noirs, on peut y retrouver des Blancs, des Asiatiques, etc.

4.2. La traite orientale (VIIe – XIXe siècle)

Des trafiquants musulmans s’installent et font du commerce d’esclave sur la côte orientale de l’Afrique dès le VIIIe siècle. Ils  s’appuient sur les chefs locaux : les Arabo-Swahilis (souvent issus d’une union entre un Arabe et une Africaine). Les Arabo-Swahilis sont fortement influencés par la langue et la civilisation arabe. Ils ont à leur service des Africains noirs bien organisés, bien armés et généralement conduits par des esclaves africains émancipés. Par opposition aux esclaves (watumwa), les hommes libres, c’est-à-dire, les Arabo-Swahilis sont appelés « wangwana » et leur langue « kingwana » langue des hommes libres.

C’est vers 1875 que l’est du Congo (à partir du Maniema) est touché par l’expansion de la civilisation musulmane dont le berceau se situe sur le littoral de l’océan Indien et sur les îles qui lui font face (Zanzibar, Pemba, Mafia, Malinda).

Quelques marchands vont créer de véritables royaumes basés sur le commerce des esclaves et de l’ivoire.

À la tête de ces bandes armées, on trouve des sultans plus ou moins indépendants ainsi que des personnages hors du commun par leur fortune (fondée sur le commerce des esclaves, des minerais, des épices et de l’ivoire) ou leur culture (métisse, swahili, arabe et indienne) qui s’imposent par la force.

Le plus connu et le plus prospère de ces Arabo-Swahilis dans l’espace congolais est Tippo-Tip. Né à Zanzibar de l’union d’un Arabe venu à Zanzibar et d’une Africaine de la côte, il devient rapidement, l’homme le plus puissant de tout l’est du Congo au XIXe siècle. Son autorité s’exerce sur une zone s’étendant de la région des Grands Lacs à l’est et du cours supérieur du Congo à 300 km à l’ouest.

Tippo-Tip règne sur un territoire immense sur l'espace congolais.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Tippu_Tip#/media/File:TipputipPortrait.jpg

Le pouvoir de Tippo-Tip ne repose pas seulement sur son sens exceptionnel des affaires, mais aussi sur la force. Au début il obtient ses marchandises de luxe : esclaves et ivoire, en tissant des liens d’amitié avec les chefs locaux. Mais dès que les demandes en esclaves et en ivoire augmentent, Tippo Tip devient encore plus riche et plus puissant surtout à partir du moment où il réalise qu’il est plus rentable de piller et de brûler des villages entiers plutôt que d’acheter quelques défenses d’éléphant ou quelques esclaves.

Le chef Mwenda M’Siri Ngelengwa Shitambi, aussi appelé Msiri est un commerçant, originaire de la côte est de l’Afrique absorbe l’ancien royaume Lunda qui est fragilisé à cause des traites. De 1856 à 1891, il domine en souverain cette région riche en cuivre et contrôle les voies commerciales vers l’est. Bunkeya, la capitale de son royaume le Garanganze, sera l’un des principaux centres économiques de l’Afrique centrale durant son règne.

M'Siri va régner au XIXe siècle sur un royaume prospère situé au niveau de l'actuel Katanga.source: CAPELLO & IVENS (H. - R.) — Livre " DE ANGOLA Á CONTRA-COSTA." (1886)

En plus de ces deux noms, il y avait d’autres chefs africains ou arabo-swahilis directement en lien avec le commerce d’esclaves comme Rachid aux Stanley-Falls, Kibonge à Kirundu, Mserera à Riba-Riba (l’actuel Lokandu), Mwinyi Mohara, de son vrai nom Mtagamoyo Ben Sultan Wakasire à Nyangwe, Sefu à Kasongo, Bwana N’zige à Kabambare et Rumaliza à Ujiji, d’où il contrôlait la région à l’ouest du lac Tanganyika.

Au début de l’État Indépendant du Congo (1885 – 1908), les Européens se serviront de certains de ces chefs de guerre en les nommant par exemple gouverneurs ou commissaires de district avant de s’en débarrasser quand ils n’en auront plus l’utilité.

4.3. La traite transatlantique (XVe – XIXe siècle)

Avec l’arrivée des Européens sur les côtes d’Afrique centrale au XVe siècle et la création d’un marché atlantique, un réseau commercial de longues distances s’est développé dans le centre de l’Afrique, du fait du commerce des esclaves, et de l’ivoire notamment. La traite des esclaves de l’Ouest de l’Afrique centrale vers l’Amérique du Nord était essentiellement conduite par des marchands britanniques et américains.

Tous les États de l’espace congolais ont participé d’une façon ou d’une autre à ce commerce dans lequel les Européens et leurs agents ont joué un rôle central. La traite négrière transatlantique commence dès la fin du XVe siècle pour le royaume Kongo qui doit fournir aux Portugais des esclaves à destination du Brésil.

Plusieurs structures politiques s’établissent en Afrique centrale bien avant l’arrivée des Européens.

Le royaume du Loango, au nord du royaume du Kongo, va fournir des esclaves vers l’Amérique du Nord, surtout au XVIIIe siècle. Durant le XVIIIe siècle, le commerce vers l’Amérique du Nord est concentré dans trois ports de la Côte du Loango, à savoir : Cabinda, Malemba et la Baie du Loango.

Ce sont les marchands arabo-swahilis, spécialisés dans le commerce à longue distance du cuivre et de l’ivoire, qui ont fourni des esclaves, provenant de plusieurs sources : du Nord du Gabon moderne, du Pool Malebo (Kinshasa) dans l’Est, du Royaume Kongo, et de l’Angola. Des révoltes et des résistances face à cette réduction en esclavage et cet impérialisme européen ont lieu partout en Afrique, et aussi dans l’espace congolais. Ainsi, au XVIIe siècle, Kimpa Vita va lancer une révolte dans le royaume Kongo.

Ces réseaux commerciaux ont eu une influence importante sur les structures socialeséconomiquesculturelles et politiques des peuples de ces régions donnant naissance, dans la zone comprise entre le Sud de la RDC et le Nord de l’Angola, à une zone d’hybridité culturelle appelée « zone luso-africaine » dans laquelle les langues, les noms individuels, les noms des lieux, la politique (émergence de nouvelles élites politiques), la culture matérielle (objets domestiques et d’habillement, nouvelles pratiques alimentaires,  objets de parure), les hiérarchies sociales (urbanisation et émergence de nouvelles professions comme celle d’interprètes) et les relations économiques (nouveaux produits d’échanges et biens de prestige) se sont influencées mutuellement.

La traite négrière entraine des révoltes et des résistances de la part des esclaves.source: https://commons.wikimedia.org

Durant la dernière décennie du XVIIIe siècle, le fleuve Congo devient la voie principale de commerce des esclaves vers l’Amérique du Nord et l’embouchure du fleuve Congo devient presque la place la plus importante d’embarcation pour les navires britanniques et américains. Environ 22.000 esclaves sont transportés vers le Sud des Etats-Unis lorsque Boma devient l’entrepôt principal d’embarquement des esclaves.

Une fois l’abolition de la traite reconnue au niveau européen (1815), une phase illégale de traite commence. En effet, bien que la traite soit abolie, l’esclavage demeure légal, et certains continuent à pratiquer illégalement la traite négrière vers les Amériques. Quelques esclavagistes américains commencent à utiliser le fleuve Congo comme refuge pour échapper aux navires britanniques antiesclavagistes.

En 1860, soit 45 ans après son abolition par le Congrès de Vienne, la traite illégale est toujours pratiquée. Ainsi un capitaine anglais constate à son arrivée à l’embouchure du Congo, en 1860, la présence de huit navires négriers appartenant à diverses nations, qui attendent d’embarquer leurs cargaisons d’esclaves. Toutefois, la fin des années 1860 marque la fin effective de la traite négrière transatlantique.

5 ¦ Les survivances des pratiques esclavagistes au Congo

Alors que les nations européennes abolissent les unes après les autres l’esclavage à la fin du XIXe siècle, il n’en est pas de même pour les musulmans et certains Africains qui continuent à exploiter des esclaves.

L’Europe y trouve donc un prétexte pour coloniser l’Afrique afin de la libérer de l’esclavage. En 1885, Léopold II obtient le droit de régner sur l’actuel Congo en promettant, entre autres, de mettre fin à l’esclavage. Il apparait alors en Europe comme un roi philanthrope et va régner sur l’État Indépendant du Congo de 1885 à 1908. En 1889-1890, il convoque à Bruxelles la Conférence antiesclavagiste qui débouchera sur un traité signé par les puissances occidentales de l’époque qui s’engagent à mettre fin à l’esclavage.

Les agents de l’État Indépendant du Congo vont effectivement finir par mettre fin à l’esclavage dans l’espace congolais. Toutefois, bien qu’ils mettent fin à cette pratique en luttant contre les Arabo-Swahilis, notamment, ils vont mettre en place un système qui ressemble à l’esclavage. Les Congolais ne sont officiellement plus esclaves, mais restent soumis et dominés dans un système qui n’est pas plus enviable que l’esclavage.

Par exemple, dans les prisons coloniales, les prisonniers devaient porter la « cravate », c’est-à-dire, une chaîne les reliant les uns aux autres pendant la corvée, chaine chargée de les empêcher de s’enfuir.

Prisonniers démolissant une termitière à Vankerkhovenville (Congo) en 1903.source: AP.0.0.2059-2, collection MRAC Tervuren ; photo [Le K.], 1903.

6 ¦ La mémoire de l’esclavage au Congo

La mémoire de l’esclavage au Congo, comme dans d’autres pays d’Afrique, va se confondre avec la mémoire de la colonisation. En effet, les deux phénomènes se mêlent dans une même violence à l’égard des populations locales.

En 1994, l'UNESCO met en place le projet "la route de l'esclave".source: http://www.unesco.org

En 1994, l’UNESCO met en place au Congo, comme dans d’autres pays africains, le projet « La route de l’esclave » afin de briser les tabous autour de la traite négrière, et aider à mieux comprendre les bouleversements qu’ont entrainés ces traites négrières. En 2005, à Kinshasa, la première édition du Festival de la route de l’esclave du continent africain a eu lieu.

L’UNESCO en RDC a également rédigé un manuel « La traite négrière, l’esclavage et les violences coloniales en République démocratique du Congo » en 2011.

L’esclavage a profondément marqué le Congo comme l’Afrique, et certains comme Simon Kimbangu ou Patrice Lumumba associent l’esclavage des traites négrières avec les violences coloniales.

Franco Luambo Makiadi aborde l'esclavage dans ses chansons.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Statue_of_Franco_Luambo_Makiadi_unveiled_in_Kinshasa.jpg

Plusieurs chansons rappellent non seulement le temps de la traite des esclaves, le temps colonial, mais aussi les souffrances au temps historique :

  • Des chansons posent même la question de l’origine des Noirs qui ont perdu le sens et l’essence de leur dignité humaine : « Oh nakomitunaka, Nzambe nakomitunaka, poso moindo nde ewuta wapi ? » (Je me demande, Dieu, je me demande d’où vient la peau noire).
  • Une chanson de marche militaire met en relation la corvée (le travail sans intérêt = le pasantela) avec la traite des esclaves :« Salongo ee salongo alinga mosala. Biso tokomi bawumbu ya pete… salongo alinga mosala, Pete abandi konyokola biso… Salongo alinga mosala » (Le travail, il faut aimer le travail…Nous sommes devenus des esclaves à force de chercher le grade…Le grade commence à nous faire souffrir…).
  • Le musicien Luambo Makiadi Franco a même chanté le temps de Tippo Tippo et de la traite arabe vers le marché de Zanzibar dans sa chanson « Zando ya Tipo-Tipo».

7 ¦ Résumé

Depuis l’Antiquité, l’Afrique centrale et plus particulièrement le Congo ont connu plusieurs formes d’esclavage et de traites négrières.

Cette lourde histoire de l’esclavage, sur laquelle les Congolais se sont construits, qui a conduit à une sorte de déshumanisation et à la construction d’une image négative, mérite d’occuper une place importante dans la mémoire des Congolais.

La construction de «  routes d’esclaves » à l’ouest comme à l’est du Congo pourra contribuer à entretenir durablement la mémoire du temps de l’esclavage.

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La fin officielle de la traite négrière et ses conséquences

Par Benjamin Hennon,

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Identifier les divers secteurs où l’impact de la déportation et de l’esclavage des Noirs dans le monde d’aujourd’hui est visible.
  • Montrer la contribution des Africains aux civilisations du monde musulman.
  • Expliquer les survivances et la vitalité des cultures africaines dans les sociétés issues de l’esclavage aux Amériques.

2 ¦ Introduction

Les traites négrières arabe (VIIe au XIXe s., leçon 2) et transatlantique (XVe au XIXe s., leçon 3) ont couvert, ensemble, une période de presque douze siècles (VIIe – XIXe s.) et ont fortement marqué le continent africain. De nombreux Africains se sont révoltés face à l’esclavage et à la traite négrière. D’autres formes de résistance notamment via la musique ont également existées. 

Toutes ces révoltes, l’évolution des idées, ou encore le contexte économique et industriel mèneront, officiellement, à l’abolition de l’esclavage et à la fin de la traite négrière au XIXe siècle. L’esclavage et son abolition ont marqué durablement l’histoire de l’Afrique et du Monde et continuent à avoir un impact sur le présent.  

La traite et l’esclavage des Noirs ont été des catastrophes humaines indéniables, et ont également contribué à l’émergence d’un racisme anti-noir qui perdure jusqu’à aujourd’hui. 

3 ¦ Le processus d’abolition de la traite et de l’esclavage

3.1. L’abolition de la traite et de l’esclavage

Le processus d’abolition de la traite et de l’esclavage a été très long. Plusieurs voix se sont élevées dans le monde pour contester ces pratiques, aussi bien des Noirs que des Blancs, des révoltes ont eu lieu, mais il faut attendre la fin du XVIIIe siècle, et le XIXe siècle pour que les choses bougent enfin officiellement. 

En Afrique, dès le XIIIe siècle, Soundjata Keita, fondateur de l’Empire du Mali, aurait proclamé la charte du Manden, considérée comme l’une des premières déclarations des droits de l’homme, ouvertement antiesclavagiste. D’autres combats ont eu lieu en Afrique ou chez les esclaves africains pour conquérir leur liberté et mettre fin à l’esclavage. Ainsi, au IXe siècle, dans l’actuel Irak, des esclaves noirs, les Zandj, se révoltent et créent leur propre État ; dans le royaume du Kongo au XVIIe siècle, Kimpa Vita mène la révolte ; au Brésil, des esclaves créent au XVIIe siècle, l’État de Palmarès ; et les esclaves de Saint-Domingue (l’actuel Haïti) se révoltent en 1791 contre les Français, ce qui conduira à l’indépendance et la proclamation de la toute première république noire libre.

En Europe également, certains s’opposent à l’esclavage et à la traite comme les prêtres espagnols Épiphane de Moirans et Francisco José de Jaca au XVIIe siècle. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que des mesures officielles soient prises. Les révolutionnaires français, suite à l’insurrection de Saint-Domingue et au combat de Toussaint Louverture, abolissent l’esclavage en 1794, mais Napoléon le rétablira en 1802. Le Danemark est le premier pays d’Europe à abolir définitivement la traite en 1802, mais c’est surtout  son abolition par la Grande-Bretagne en 1807 qui va avoir des conséquences significatives. 

Lors du Congrès de Vienne en 1815, les puissances européennes se mettent d’accord pour abolir la traite négrière. Toutefois, la traite de contrebande se poursuit jusqu’à l’abolition définitive de l’esclavage en 1833 pour la Grande-Bretagne, en 1848 pour la France, en 1865 pour les États-Unis et jusqu’en 1888 pour le Brésil

L’abolition de la traite et de l’esclavage par les pays européens est le résultat d’une part de la montée du mouvement « philanthropique » apparu au Siècle des Lumières, et qui tend à considérer que tous les êtres humains sont égaux, et d’autre part de l’essor du capitalisme industriel au XIXe siècle qui prône d’autres formes de travail que l’esclavage et qui considère qu’il est plus intéressant d’avoir des clients sur le sol africain que de déporter ces individus vers les Amériques. 

Paradoxalement, c’est au moment de l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle que nait le racisme biologique en Europe, qui tente de démontrer l’inégalité des races et déclare que le Noir est la race inférieure. Cette pseudoscience aura des conséquences néfastes pour les Noirs, elle légitimera, entre autres, la colonisation, et perdurera jusqu’au milieu du XXe siècle.

Du côté musulman, en 1840, le sultan d’Oman décide de déplacer la capitale de son royaume à Zanzibar. Cela renforce la prospérité de la ville qui s’impose alors comme la plaque tournante mondiale de l’ivoire et des esclaves. 

Selon le traité de Moresby  signé en 1822 par le sultan et le gouverneur britannique, la vente d’esclaves par des colons chrétiens y est interdite. Mais cet accord n’est pas respecté, et la traite clandestine menée par les Européens, souvent maquillée sous la forme de contrat de travail libre, y continue jusqu’aux années 1880-1890. Dans certains pays arabes, l’esclavage va perdurer jusqu’au XXe siècle.

3.2. Les États-Unis et la fin de l’esclavage

L’arrêt de la « traite légale » ne signifie donc pas la fin du besoin d’esclaves dans les Amériques ni la fin de l’esclavage. Cette traite illégale a encore permis d’acheminer des esclaves vers le sud des Etats-Unis, Cuba et le Brésil jusqu’à 1888 et l’abolition totale de l’esclavage au Brésil. Toutefois la fin de l’esclavage n’entraine pas une amélioration du sort des Noirs. La colonisation, et le racisme scientifique vont maintenir l’Africain dans une position d’infériorité alors que le travail forcé, et les mauvais traitements lors de la colonisation vont entraîner de nouvelles souffrances chez les Africains.  

L’abolition de l’esclavage a entrainé de nombreux débats et a même mené à des guerres civiles, comme aux États-Unis, lors de la Guerre de Sécession (1861 – 1865) où les États du Sud (esclavagistes du fait des nombreuses plantations qui s’y trouvent) s’opposent aux États du nord (abolitionnistes, car plus industrialisés). Lors de cette guerre, près de 200 000 anciens esclaves noirs prennent part au combat dans le camp du nord. Leur contribution entrainera la victoire des États du nord. Le président Lincoln, suite à un long combat mené par les mouvements antiesclavagistes, édicte en 1863 une  proclamation d’émancipation qui va aboutir à l’abolition de l’esclavage sur tout le territoire des Etats-Unis et l’obtention “théorique” des droits civiques par les Noirs.

Près de 200 000 anciens esclaves noirs combattent au côté du Nord lors de la Guerre de Sécession (1861 – 1865).source: https://pixabay.com/fr/photos/guerre-civile-virginie-1864-black-62990/

3.3. La ségrégation raciale aux Etats-Unis

La proclamation d’émancipation ne met pas fin aux discriminations et aux mauvaises conditions de vie des anciens esclaves. On libère les esclaves tout en ne leur donnant ni terre ni moyen de subsistance. On voit fleurir aux États-Unis des black codes qui ramènent les Noirs à un statut plus ou moins similaire à celui d’esclaves et autres lois ségrégationnistes qui ont pour but de régir la vie quotidienne des Noirs, de leur interdire l’accès aux écoles et aux autres lieux publics et de régenter strictement les relations acceptables entre les Blancs et les Noirs. La ségrégation raciale est légalement instaurée en 1896. Les Afro-Américains ne sont officiellement plus des esclaves, mais ils ne sont toujours pas égaux aux Blancs, et ne bénéficient ni des mêmes droits ni des mêmes moyens de subsistance.   

En 1960, des manifestants noirs et blancs militent pour l'obtention des droits civiques pour les Noirs.source: Image by © Bettmann/CORBIS

La lutte pour l’égalité va entrainer des émeutes, des manifestations, etc. C’est dans ce contexte ségrégationniste que Martin Luther King (1929 – 1968), un pasteur baptiste afro-américain, militant non violent pour le mouvement des droits civiques des Noirs américains organise et dirige des actions pour défendre le droit de vote, la déségrégation et l’emploi des minorités ethniques. Il prononce un discours célèbre le 28 août 1963, un siècle après le discours de Lincoln, intitulé  « I have a dream » où il rêve d’une société égalitaire.  Il reçoit en 1964 le prix Nobel de la paix, mais est assassiné en 1968.

Il faut attendre le 3 juillet 1964 pour que le président américain Lyndon Johnson, édicte une loi appelée : le Civil Right Act par laquelle il déclare illégale toute discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. C’est donc, en théorie, la fin de la ségrégation, mais jusqu’à aujourd’hui, tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant, et des émeutes éclatent régulièrement. 

4 ¦ Traite négrière comme crime contre l’humanité & la question des réparations

La qualification de la traitre négrière et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité alimente les débats, surtout depuis la fin du XXe siècle. 

Avant cette période, on retrouve déjà des condamnations de ces pratiques. On a évoqué la charte du Manden, antiesclavagiste, qui est proclamée dans l’Empire du Mali dès le XIIIe siècle. Au XVIIe siècle, deux prêtres espagnols Francisco José de Jaca et Epiphane de Moirans posent la question des réparations. S’il faut, selon eux, interdire la traite et l’esclavage qui sont contraires au christianisme et au droit naturel, il faut faire en sorte que les victimes de ces crimes reçoivent une juste réparation pour le préjudice subi et pour leur travail. Leur combat contre l’esclavage n’aboutira cependant pas. En 1781, le philosophe Condorcet déclare que « réduire un homme à l’esclavage, l’acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, ce sont de véritables crimes (…). »

Dans plusieurs parties du monde, dès la fin du XXe siècle, des associations ont engagé des actions contre des sociétés ou des États afin de faire valoir le droit à des réparations financières pour les descendants d’esclaves. Lors de l’abolition de l’esclavage, dans certains pays, des propriétaires d’esclaves ont été indemnisés pour la perte de leurs « biens ». 

Le mouvement "Black Lives Matter" a pris de l'ampleur depuis la mort de George Floyd en 2020.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Black_Lives_Matter.jpg

Dans ce contexte, en 2013, la CARICOM (association qui regroupe plusieurs États des Caraïbes) a défini un plan en dix points pour une réconciliation et une justice réparatrices. Parmi ces points, on retrouve une demande d’excuses officielles, et pas seulement des déclarations de regrets de la part des anciens pays esclavagistes ; une annulation de la dette pour ces pays des Caraïbes ; une demande d’instruction concernant l’Afrique afin d’informer les Afrodescendants de leur passé. Toutefois, en 2021, ce plan n’a pas encore entrainé d’actions concrètes. 

Certaines initiatives ont eu lieu en Europe et dans le monde par rapport à cette question de l’esclavage. Ainsi, en 2001, la « Conférence mondiale de Durban (Afrique du Sud) contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance » a, entre autres, confirmé à l’échelle mondiale, la condamnation de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. La même année, en France, la Loi Taubira  est adoptée et reconnait la traite et  l’esclavage comme « crimes contre l’humanité ». 

En 2007, Ken Livingstone, maire de Londres s’excuse publiquement pour le rôle de Londres dans la traite des esclaves. Suite au mouvement « Black Lives Matter » créé en 2013, mais qui prendra de l’importance suite à la mort de George Floyd en 2020, le parlement européen adopte une résolution en 2020 qui considère que la traite des esclaves est « un crime contre l’humanité ». 

Toutefois, la question des réparations et des excuses suscite toujours des débats et des controverses. 

5 ¦ Les conséquences contemporaines de la traite négrière

La traite négrière et l’esclavage des Noirs ont transformé tous les peuples qui ont participé à ce trafic humain en Europe, en Afrique, en Asie et aux Amériques.

Ce trafic a eu à la fois des conséquences économiquesgéographiquesdémographiquessocialespolitiques et culturelles.

5.1. Les conséquences économiques

L’accumulation des capitaux issus de la traite et de l’exploitation des esclaves dans les colonies, entre le XVe et le XIXsiècle, a favorisé la constitution de monopoles économiques nationaux et la croissance économique de la Grande-Bretagne, de la France, du Portugal, de l’Espagne, des Pays-Bas et des Amériques.

Suite à l’abolition de la traite négrière au XIXe siècle, le commerce européen s’intéresse aux produits africains qui pourraient se substituer au commerce des esclaves, notamment l’huile de palme, les noix palmistes et l’arachide. Vers 1850, l’huile de palme utilisée en Europe et en Amérique pour l’éclairage, la fabrication du savon, la cuisson des aliments et la lubrification des machines devient le produit phare de l’exportation africaine. 

Par ailleurs, plusieurs espèces de plantes sont importées vers le continent africain comme le bambou, le riz, la canne à sucre, ou encore le manioc.

Les économies de l’Afrique, l’Europe, l’Asie, et l’Amérique vont être impactées par les traites.

5.2. Les conséquences psychosociales dans les Amériques

En 1885, les théories raciales sont contestées par l'intellectuel haïtien Anténor Firmin dans son livre "De l'égalité des races humaines".source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ant%C3%A9nor_Firmin,_De_l%27%C3%A9galit%C3%A9_des_races_humaines-anthropologie_positive_(frontispice_et_page_de_titre).jpg?uselang=fr

La fin de la traite négrière et l’abolition de l’esclavage, au XIXe siècle, n’ont pas pour autant amélioré les conditions de vie ou même l’image des anciens esclaves. Dans le monde musulman, dès le VIIIe siècle, le Noir est associé à des caractéristiques négatives, et cette image négative va également se répandre en Europe à partir du Moyen-Âge, et surtout au XIXe siècle, via la religion chrétienne et certains commentateurs, qui associent l’Africain noir à la descendance maudite de Cham

Au XIXe siècle, le racisme scientifique tente de démontrer une hiérarchisation des races.source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Racisme#/media/Fichier:Races_and_skulls.png

La fin de l’esclavage ne met pas fin à l’image négative associée au Noir. Au contraire, au XIXe siècle, se généralise en Occident le racisme scientifique. Sur la base de pseudo-expériences, des scientifiques vont tenter de démontrer qu’il existe une hiérarchisation entre les êtres humains. Ils vont jusqu’à parler de races, et considérer le Noir comme la race inférieure. Bien que des voix contestent, à juste titre, ces expériences, notamment celles d’Anténor Firmin, ces théories vont se répandre en Europe. On retrouve ces théories raciales jusqu’au début du XXe siècle. Elles sont à l’origine d’un racisme anti-noir qui sévit encore de nos jours. Ce racisme scientifique servira, entre autres, de prétexte à la colonisation. En effet, l’homme blanc considère, à l’époque, qu’il est de son devoir d’élever, entre autres,  son frère noir moins évolué. 

Au XXIe siècle encore, les Afro-Américains et les Européens d’origine africaine, notamment, souffrent de ces stéréotypes négatifs, et de conditions de vie moins bonnes que les autres. Ils ont un accès plus limité à l’éducation, à la santé, subissent des discriminations à l’emploi et au logement. Les stéréotypes nés à l’époque de la traite négrière et de la colonisation sont encore trop ancrés de nos jours. Une égalité de droit a été obtenue pour les Afrodescendants, mais une égalité de droit ne signifie pas forcément une égalité de fait.  

5.3. Les conséquences politiques en Afrique

La traite négrière et l’esclavage ont eu des conséquences néfastes et tragiques pour l’Afrique tant au point de vue démographique, économique, culturel que religieux. 

Au niveau démographique, les conséquences vont être marquantes. Les chefs ou les rois africains ne vendent pas leurs propres sujets, mais organisent des expéditions pour vendre des prisonniers de guerre. Cela va déséquilibrer tout le continent. Par exemple, le Gabon ou les côtes du Nigéria, très peuplées à l’origine, vont se vider de leur population, alors que le Rwanda, qui sert de refuge aux populations émigrées va être surpeuplé.  

Sources d’approvisionnement de la traite transatlantique aux XVIIIe et XIXe siècle.source: B. ALLAN OGOT, dir., Histoire générale de l'Afrique, t. V : L'Afrique du XVIe au XVIIIe siècle XIXe siècle, Paris, UNESCO, 1996, p. 130 (droits réservés).

Au niveau politique, depuis le XVIIe siècle, en Afrique occidentale, de nouveaux États, ayant à leur tête des aristocraties militaires alliées aux marchands d’esclaves, ont pris la place des sociétés lignagères. Ils ont érigé des entités politiques et commerciales qui ont opéré des razzias à l’intérieur du continent et y ont semé la dévastation, spécialement au Soudan central et oriental à partir de Khartoum et dans la Région des Grands Lacs. 

La fin de la traite et de l’esclavage, au XIXe siècle, va entrainer une augmentation d’esclaves sur le continent africain. En effet, les esclaves qui ne sont plus vendus aux Européens sont utilisés désormais en Afrique. Paradoxalement, fin du XIXe siècle, l’Europe va justifier la colonisation de l’Afrique par la lutte contre l’esclavage qu’elle a elle-même contribué à développer par la traite puis par son abolition. Le bouleversement des structures politiques en Afrique due à la traite négrière va contribuer à affaiblir le continent qui ne pourra pas résister aux conquêtes coloniales.

Au XIXe siècle, de nombreuses structures politiques existent sur le continent africain.

Pour les États africains esclavagistes, l’abolition de la traite signifie donc un manque à gagner, du fait de l’impossibilité de vendre les esclaves captifs. Cette situation provoque la chute de ces États puissants, ouvrant la porte aux entreprises coloniales.

Par ailleurs, sur la côte de l’Afrique orientale, qui est déjà fragilisée depuis le XVIe siècle par l’affrontement entre Portugais et musulmans, l’intérieur est moins structuré. Quand en 1840, le Sultan d’Oman installe sa capitale à Zanzibar, cela bouleverse l’équilibre géopolitique et social de toute la région.

L’Afrique doit également gérer le fait que beaucoup de Noirs affranchis décident de retourner en Afrique. C’est ainsi que les Afro-brésiliens retournent plutôt sur la « Côte des esclaves » (Togo, Ghana, Dahomey, Nigeria), tandis que d’autres, tels Sheppard et Georges Washington William s’installent en Afrique du Sud ou dans l’Etat Indépendant du Congo.

6 ¦ Présence et vitalité des cultures africaines en Amérique

La présence des cultures africaines dans les Amériques est caractérisée par une  vitalité remarquable dans plusieurs domaines de la culture américaine actuelle  :

La musique 

Jimmy Hendrix et de nombreux artistes afro-américains ont marqué la musique mondiale.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jimi_Hendrix_%26_Noel_Redding.png?uselang=fr

Les principaux courants musicaux qui ont fait la gloire des États-Unis comme le blues, le rock, le jazz, voire même le rap trouvent leur origine chez les esclaves des plantations américaines et leurs descendants. Les différents chants de travail, et chants religieux se transforment petit à petit pour devenir de véritables courants musicaux. Ces courants créés par des Noirs, qualifiés dans les années 20 de race music, ne sont à l’origine écoutés que par des Noirs. Petit à petit, quand des Blancs comme Elvis Presley vont se saisir de ces styles, le succès mondial sera au rendez-vous, et des Noirs américains deviendront des stars reconnues comme Duke EllingtonChuck Berry, Little RichardLouis ArmstrongJoséphine Baker ou encore Billie Holiday. De nos jours, de nombreux artistes afro-américains comme BeyoncéJay-Z, ou encore Kendrick Lamar continuent d’influencer la musique mondiale. 

La religion 

Dès l’arrivée des premiers esclaves sur le sol américain, la religion est un moyen d’échapper au quotidien et aux conditions de vie inhumaines. C’est une façon aussi de retrouver sa dignité humaine. Parmi les différents courants religieux qu’on retrouve en Amérique, il y a le vaudou, directement importé d’Afrique. Cette croyance africaine va se transformer en Amérique, mais garde les mêmes divinités, capables d’intervenir dans les corps des adeptes par la transe et la possession. Cette croyance va être diabolisée par les chrétiens qui y voient de la sorcellerie. 

La première femme écrivaine américaine est une ancienne esclave : Phyllis Wheatley (1753 – 1784).source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Phillis_Wheatley_frontispiece.jpg

La littérature 

Les Afro-Américains sont également à l’origine d’une littérature dont les des principaux thèmes sont l’égalité et la liberté. Dès le XVIIIe siècle, on retrouve une poétesse, Phillis Wheatley (1753 – 1784), esclave qui sera affranchie, elle est considérée comme la première femme américaine écrivaine. L’écrivain afro-américain le plus célèbre du XIXe siècle, reste Frederick Douglass (1818 – 1895), un esclave qui s’est enfui et qui rédige une autobiographie antiesclavagiste au succès retentissant. Suite à l’abolition de l’esclavage, d’autres auteurs afro-américains connaitront un succès conséquent comme Richard Wright, Ralph Ellison, Maya Angelou ou évidemment Toni Morrison (1931 – 2019) qui obtiendra le prix Nobel de littérature en 1993.

Dans le cinéma, le sport ou encore la science, de nombreux Afro-américains se sont illustrés et continuent à marquer leur époque.

7 ¦ Les formes actuelles de l’esclavage

Malgré l’abolition de l’esclavage, il est paradoxal de constater que la pratique persiste encore dans diverses parties du monde, tantôt sous des formes déguisées, tantôt de manière bien visible

Les situations de conflits armés, en particulier en Afrique, la misère malheureusement toujours présente et le rêve, trop souvent illusoire, d’un ailleurs meilleur que chez soi, provoquent des migrations massives, comme celles des Africains qui traversent le Sahara ou la mer méditerranée, devenant les proies de groupes djihadistes, de bandes mafieuses, voire même d’agents peu scrupuleux des États qu’ils traversent. 

Au XXIe siècle, l’esclavage est toujours présent dans le Monde.source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Esclavage_contemporain#/media/Fichier:Modern_incidence_of_slavery.png

8 ¦ Le devoir de mémoire

Sur l'île de Gorée (Sénégal), une statue commémore l'esclavage.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gor%C3%A9e-MaisonEsclaves1.jpg?uselang=fr

La mémoire est un concept que l’on emploie souvent de nos jours, mais qui n’est pas forcément bien compris. L’histoire, c’est l’étude du passé au départ des traces qu’il nous en reste. La mémoire, c’est le regard porté par un groupe ou une société sur des faits du passé. Elle permet de se construire une identité, de mettre en valeur certains évènements ou figures du passé, elle relève d’un choix

Les manifestations commémoratives des événements historiques aident à garder la mémoire d’un groupe humain. Il existe un lien fondamental entre mémoire et identité, mémoire et société. 

Depuis la fin du XXe siècle, plusieurs initiatives ont vu le jour pour exprimer cette mémoire de l’esclavage et de la traite négrièreEn 1994, l’UNESCO (l’Organisation des Nations pour l’Education, la Science et la Culture) lance à Ouidah au Benin le projet intitulé « La Route de l’esclave : résistance, liberté, héritage ». 

Ce projet a pour objectif, non seulement, de contribuer à une meilleure compréhension des causes et des modalités d’opération de l’esclavage et de la traite négrière, mais souhaite aussi mieux appréhender les enjeux et les conséquences de l’esclavage dans le monde.

Il vise également à mettre en lumière les transformations globales et les interactions culturelles issues de cette histoire en favorisant le pluralisme culturel, le dialogue interculturel et la construction des nouvelles identités et citoyennetés, afin de contribuer à une culture de la paix.

Le 23 août est devenu « la journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition », la date rappelle l’insurrection de Saint-Domingue contre la France en 1791. Certaines initiatives visent également à débaptiser des rues portant le nom d’esclavagiste.  

En ce qui concerne la traite négrière, les monuments, musées et mémoriaux contribuent à la volonté de faire connaître l’histoire de l’esclavagisme au plus large public. 

Le défi auquel il convient de répondre est celui de savoir :

  • Comment représenter correctement ce commerce d’êtres humains dans un musée ? 
  • Quel type de monument national faut-il ériger qui puisse bien rendre compte de la  mémoire des esclaves ?
  • comment faire connaître aux générations actuelles et futures la complexité de  l’histoire de la traite atlantique ?

Le souvenir de la traite négrière ne doit être occulté ni par les historiens, ni par les politiciens, ni encore par les médias. 

Car l’être humain refuse d’admettre l’oubli. Il a besoin de lieux de mémoire pour se recueillir et surtout de connaître les pages glorieuses et les pages sombres de son histoire.

9 ¦ Résumé

  • L’insurrection de Saint-Domingue en 1791 et le début du XIXe siècle marquent le début de la remise en question des divers pays face à la traite négrière et à l’esclavagisme. Le Brésil n’abolira l’esclavage qu’en 1888.
  • Aux Etats-Unis, la question de l’esclavage va entrainer la guerre de Sécession qui voit s’opposer les États du Nord aux États du Sud. Suite à la victoire du Nord, Abraham Lincoln déclare l’abolition de l’esclavage sur tout le territoire des Etats-Unis, mais l’abolition ne signifie pas que les conditions de vie des Afro-américains vont être meilleures. 
  • En 1994, l’UNESCO lance un projet intitulé La Route de l’esclave : résistance, liberté, héritage. 
  • En 2001, la « Conférence mondiale de Durban (Afrique du Sud) contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance » a confirmé à l’échelle mondiale, la condamnation de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.
  • Si les conséquences économiques, politiques, psychosociales furent nombreuses et dommageables pour le peuple noir, elles n’ont pu entamer la vitalité de la culture afro-américaine.
  • Le souvenir de la traite négrière doit être gardé en mémoire, car l’être humain a besoin de lieux pour se recueillir et surtout de connaître les pages glorieuses et les pages sombres de son histoire.

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La traite orientale

Par Benjamin Hennon,

VIIe – XIXe siècle

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Expliquer les raisons de la traite arabe ainsi que le rôle qu’y a joué l’islam.
  • Expliquer que l’esclavage ne dépend pas de la couleur de la peau, mais de la religion.
  • Repérer sur une carte les différents itinéraires et les différentes régions de destination des esclaves africains lors de la traite arabe

2 ¦ Introduction

Le mot « Islam » correspond à la fois à la religion monothéiste fondée sur le Dieu appelé Allah et à la civilisation née en Arabie (région d’Asie) qui s’étend de l’espace méditerranéen au continent asiatique et de l’Afrique saharienne et soudanaise à l’océan Indien. La constitution de cette civilisation dès le VIIe siècle a entraîné une augmentation considérable des besoins en main-d’œuvre servile. La traite négrière pratiquée par les musulmans commence au VIIe siècle pour s’achever officiellement au XIXe siècle.

3 ¦ La création et l’expansion de la civilisation arabo-musulmane

Jusqu’au Ve siècle, les habitants de l’Arabie, pays en grande partie désertique, vivent essentiellement du commerce caravanier et sont animistes c’est-à-dire qu’ils considèrent que les objets et les éléments naturels possèdent un esprit. C’est vers 570 que naît Mohammed. Ayant de plus en plus d’adeptes, il sera à l’origine d’une nouvelle religion, l‘Islam. Cet événement est appelé la Révélation. À partir de ce moment, Mohammed prêche à La Mecque puis en 622, il quitte cette ville pour Yatrib où les habitants sont prêts à l’accueillir et à se convertir à la nouvelle religion. Ce déplacement du prophète est appelé l’Hégire. En 630, Mohamed décide de retourner à La Mecque et de prendre, avec ses compagnons, le contrôle de la ville à laquelle il donne le statut de capitale de l’Islam. 

L’un des premiers  compagnons de Mohammed s’appelle Bilal. C’est un ancien esclave noir affranchi par un proche du prophète. Les conversions à la nouvelle religion deviennent massives. À la mort de Mohammed en 632, l’Arabie est devenue majoritairement musulmane et les compagnons du prophète partent dans le monde pour répandre l’Islam, et unifier les tribus arabes afin d’en faire un grand empire capable de contrôler les voies caravanières et de dominer le commerce. Mohammed ayant interdit de réduire en esclavage des musulmans, ils vont réduire en esclavage les croyants d’autres religions, peu importe la couleur de leur peau.

Ces conquêtes arabes aboutissent à la création d’un vaste empire qui s’étend de l’océan Atlantique à l’Inde et du Maghreb à la mer Noire. L’empire donne naissance à une brillante civilisation caractérisée par une économie prospère. Les échanges s’y font tant sur terre par les pistes caravanières que sur mer où les navires chargés vont de port en port, reliant l’Asie, l’Afrique et l’Europe.

L’expansion de l’empire musulman va avoir un impact sur l’Afrique, l’Asie et l’Europe.

Dans l’industrie comme dans l’artisanat, les Arabes ont une avance considérable par rapport aux pays européens. Plusieurs villes qui se sont développées jouent un rôle important tant au niveau économique, politique que culturel. Les dirigeants et les riches marchands y montrent leur puissance et développent leur commerce en ayant toujours plus de personnes, dont des esclaves, à leur service.

4 ¦ Le BAQT

La traite systématique des Noirs par les musulmans arabes remonte au Baqt, quand le conquérant arabe Abdallah Ben Saïd, gouverneur d’Égypte, impose en 652 (l’an 31 du calendrier musulman) à la Nubie (territoire au sud de l’Egypte et de la Libye actuelles) de lui fournir un tribut de 360 esclaves par an. Cette coutume se maintient jusqu’ à l’arrivée, au XIIIe siècle, des Mameluks, une milice d’esclaves affranchis. 

Par ailleurs, les empires soudanais occidentaux (fondés par des Soninké, des Malinké, des Bambara et des Songhaï) qui entretiennent des relations commerciales importantes avec le monde arabe se convertissent dès le XIe siècle à un Islam fortement teinté d’animisme. Au XIVe siècle, Mansa Moussa, empereur du Mali, développe la ville de Tombouctou, et au XVe siècle, sur ce territoire, alors aux mains de l’Empire Songhai, la mosquée de Sankoré devient l’une des universités islamiques les plus renommées du monde musulman.

Longtemps négligeable, le trafic des esclaves s’accélère après la conquête de l’empire Songhai par le Maroc à la fin du XVIe siècle

Du côté ouest-africain, on raconte que les Berbères du désert, habitant les pays du Maghreb et la Libye, pratiquent systématiquement l’esclavage. 

5 ¦ Les particularités de la traite arabe

Miguel De Cervantes a été réduit en esclavage par les Musulmans.source: Encyclopédie Encarta Junior 2009, Archivo Fotographico Oronoz

Les conquêtes musulmanes, du VIIe au VIIIe siècle, sont brutales et d’une ampleur tel que le monde méditerranéen n’en avait jamais connu. Les courtiers vont acheter leurs esclaves, essentiellement des Blancs, dans des pays lointains. C’est ainsi que sur les premiers grands marchés d’esclaves au IXe et Xe siècle, sont vendus et achetés bon nombre de chrétiens européens parmi lesquels se trouve Miguel de Cervantes (1547-1616), écrivain chrétien espagnol (auteur des « aventures de Don Quichotte»). Les marchands sont juifs, chrétiens, russes ou bulgares.  

De Byzance à l’Empire ottoman, de l’Europe chrétienne aux terres d’Islam, la couleur des esclaves importe peu. C’est donc pour des raisons religieuses, politiques et économiques que les Noirs africains vont être asservis comme bon nombre d’esclaves blancs. 

Tous les peuples africains ne tombent pas dans l’esclavage sans résister. Ainsi les Zandj, en Irak, se révoltent plusieurs fois entre le 7e et le 19e siècle et vont même dominer une partie de l’IrakSoundiata Keita, fondateur de l’Empire du Mali, aurait proclamé dès 1222, la charte du Manden, ouvertement antiesclavagiste et considérée comme l’une des premières Déclarations des droits de l’homme

5.1. Les types d’esclaves

Une servante noire, et un eunuque posent avec l’enfant de leur maitre en Inde orientale au XIXe siècle.source: C. Snouck Hurgronje, Mekka in the latter part of the 19th century, 1931. (Droits réservés)

Dans les pays musulmans, les esclaves noirs occupent quatre fonctions : domestiques, militaires, travailleurs agricoles et eunuques.

Depuis le 9e siècle, l’esclavage agricole est fort répandu. On utilise déjà des esclaves dans les plantations de canne à sucre et dans les cultures du coton en Haute-Égypte et à Zanzibar.

Le commerce des eunuques noirs à destination du Maghreb, du Caire, d’Alexandrie et de Constantinople connait, au 10e siècle, une grande période de prospérité. On les importe en même temps que l’ivoire, l’ébène et la poussière d’or du Soudan. Pour répondre à la demande croissante d’eunuques, 100 à 200 garçons sont castrés chaque année à Abotig, sur la route des caravanes reliant le Soudan à l’Egypte. Cela signifie qu’on les ampute complètement de leurs organes sexuels masculins. Très tôt, l’Ethiopie devient le plus grand fournisseur d’eunuques. Ceux-ci sont souvent placés dans des postes de l’administration, et dans les palais royaux. D’autres sont gardiens des femmes du harem ou serviteurs et gardiens dans les mosquées comme celle de Médine. 

5.2. Les marchands d’esclaves

Des marchands arabes s’installent en Afrique noire pour faire du commerce, et notamment au nord du lac Malawi.source: Johnston Harry, British central Africa, New-York, 1897,p.93.

Dans les grandes villes des États esclavagistes, les hommes des riches familles et des clans puissants ont plusieurs activités et font ainsi fortune grâce au commerce de l’or, des esclaves, mais également des épices et des soieries. Ces hommes d’Arabie, de Hedjaz, du Yémen, d’Oman, de Bassora et de Bagdad, ne se lancent pas eux-mêmes dans la chasse aux esclaves. Ils font appel à des courtiers et des chasseurs d’esclaves chargés d’attraper puis de transporter les captifs sur les nombreuses pistes caravanières vers leurs comptoirs et leurs entrepôts.

Par ailleurs, les populations au sud du Sahara s’affrontent souvent entre États, tribus ou ethnies et demandent à leurs guerriers d’attaquer et de razzier les villages voisins afin d’emporter du butin et du bétail humain. Une partie des esclaves est vendue à l’étranger, mais un grand nombre d’esclaves razziés dans les villages ne quittent pas les pays d’exportation où les souverains les gardent pour leurs services de la cour, pour leurs armées ou pour les travaux des champs.

Les régions d’Afrique orientale  font face à l’arrivée de vagues de premiers immigrants, fugitifs ou exilés, venus de plusieurs pays du monde musulman qui s’établissent sur les côtes africaines avec des connexions vers l’arrière-pays, notamment vers le bassin du Congo. 

5.3. Le prix des esclaves

Les marchands se servent rarement de monnaies métalliques pour payer les esclaves, ils recourent plutôt au troc. Chaque esclave, homme, femme ou enfant est évalué selon son âge, son aspect et ses qualités supposées. Il est ensuite proposé à la vente contre un poids plus ou moins élevé de produits ou un certain nombre d’objets (perles, poudre d’or, cauris, etc.). 

Les Africains qui font la chasse aux esclaves pour le compte des marchés musulmans recherchent surtout des jeunes filles et des jeunes femmes qui atteignent de plus hauts prix que les hommes. Entre 1760 et 1769, le prix des esclaves de sexe féminin dépasse de 174% celui des hommes

6 ¦ Les routes des caravanes

De nombreux esclaves africains seront envoyés vers le monde asiatique.

Les esclaves étaient déportés vers : 

  • l’Europe à travers le Sahara, 
  • le Proche Orient à travers la mer Rouge et 
  • l’Asie centrale et l’Inde à travers l’océan Indien. 

Un réseau très complexe de pistes, qui partent de territoires plus ou moins éloignés, mène les esclaves vers les comptoirs. Le voyage dure deux à trois mois et constitue une épreuve terrible. On estime que pour un esclave qui arrive à destination, cinq à dix esclaves succombent sur la route à cause de la brûlure du soleil, du froid glacial de la nuit, des tortures, de la soif, de la faim, des maladies et de l’épuisement physique dû aux marches épuisantes qui leur sont imposées.

7 ¦ Les conséquences de la traite dans le monde musulman et en Afrique

7.1. Sur le plan économique

La traite négrière constitue un enjeu économique dans lequel les vendeurs, les courtiers et les acheteurs gagnent beaucoup d’argent.

Les marchands d’esclaves musulmans qui s’aventurent à l’intérieur du continent prennent de grands risques en ramenant des esclaves qu’ils négocient à prix d’or. On assiste ainsi au développement de plusieurs villes spécialisées dans les marchés d’esclaves aussi bien sur les routes des caravanes que dans les régions de déportation comme Zanzibar (définition).

Il n’est pas rare de voir des Noirs, habitant l’arrière-pays immédiat, venir vendre, en même temps que leurs récoltes, leurs propres esclaves aux trafiquants des comptoirs. 

7.2. Sur le plan démographique

On estime que le nombre d’esclaves africains acheminés par les routes transsahariennes, la route de la Mer et les routes de l’Océan Indien tourne autour de :

4.820.000 esclaves entre les années 650 et 1000 et
2.400.000 esclaves dans la période allant de 800 à 1600,
soit environ 7.220.000 esclaves.

Par ailleurs, l’Arabie, la Perse et l’Inde importent :
25.000 esclaves entre 1800 et 1829,
35.000 esclaves entre 1830 et 1839,
40.000 esclaves entre 1840 et 1849
65.000 esclaves entre 1850 et 1859.

Si l’on considère le taux de mortalité de 9%, l’addition de ces derniers chiffres passe de 390.200 esclaves à 424.000 esclaves.

7.3. Sur le plan politique et social

Aussi bien dans les régions de départ que dans les régions de destination, la traite a eu un impact sur les structures politiques. De nouvelles cités ont été créées comme celle de Tahert (près de l’actuelle Tiaret en Algérie). 

La traite a également fragilisé et bouleversé certaines structures étatiques anciennes et créé de nouveaux états et de nouvelles hiérarchies politiques et sociales, se présentant comme contre-pouvoir issu de la violence militaire et du commerce des esclaves.

Des États africains se sont servis de l'esclavage pour se renforcer et se développer.

Certains Africains ont profité du commerce des esclaves pour ériger des entités politiques fortes. C’est le cas des sultans esclavagistes du Soudan central et oriental qui pénètrent à l’intérieur du continent, en y semant la dévastation comme Mirambo (1840-1884)  le grand chef de guerre Nyamwezi près du Lac Victoria  au Kenya, rayonnant à partir de Khartoum, Msiri (1830 – 1888) au Katanga et Tippo Tip (1837 – 1905) dans la Province Orientale du Congo.

D’autres Africains, par contre, comme Ahmed Baba (1556- 1627) au Mali, s’oppose à l’esclavage et à la déshumanisation de l’esclave.  

Enfin, la traite en bouleversant les structures africaines a ouvert la voie à une conquête facile de l’Afrique au XIXe siècle. 

8 ¦ Résumé

Au cours de cette leçon, nous avons appris que :

  • Le trafic des esclaves noirs d’Afrique vers les régions conquises par l’expansion de l’empire musulman, du 7e au 19e siècle, est fondé, non pas sur des motifs raciaux, mais plutôt sur des motivations économiques. Les musulmans ont besoin de plus en plus de main d’œuvre au fur et à mesure que leur empire augmente, et ils n’ont pas le droit de réduire en esclavage des musulmans. Donc, ils se servent dans les territoires limitrophes, principalement en Afrique, mais aussi en Europe. 
  • Les esclaves sont utilisés comme domestiques, mais aussi comme soldats, travailleurs agricoles ou eunuques. Les femmes sont souvent exploitées sexuellement.Les esclaves noirs sont déportés vers l’Europe à travers le Sahara, vers le Proche Orient à travers la mer Rouge et vers l’Asie centrale et l’Inde à travers l’océan Indien. 
  • Les conséquences de cette traite sont nombreuses pour l’Afrique : dépeuplement des régions de capture, bouleversements des structures politiques et sociales et instauration d’une terreur permanente.

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La traite transatlantique

Par Benjamin Hennon,

XVe – XIXe siècle

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
  • Identifier les différents acteurs de la traite atlantique.
  • Comprendre pourquoi la traite ne concerne que les Noirs.
  • Expliquer les motivations des négriers et leurs modes de financement.
  • Reconstituer la trajectoire d’un bateau négrier.
  • Expliquer les raisons de la résistance des Noirs contre la servitude.

2 ¦ Introduction

La traite transatlantique (XVe – XIXe siècle) qui a engendré la déportation de 10 à 25 millions d’Africains vers l’Amérique fait suite à de grands bouleversements survenus au XVe siècle. 

Le pape Nicolas V autorise la réduction en esclavage des "ennemis du Christ"source: Arquivo Nacional da Torre do Tombo (Lisboa, Portugal) 

En 1453, les Ottomans prennent Constantinople, la capitale de l’Empire romain d’Orient. Cet évènement marque la fin de l’Empire romain d’Orient. Dorénavant, les Européens qui veulent accéder à l’Asie et à son marché par voie terrestre doivent traiter avec les musulmans qui imposent de lourdes taxes, ce qui rend difficile le ravitaillement en épices. L’Europe a un grand besoin d’or et d’épices et cherche de nouveaux marchés lointains, en Asie et en Afrique en passant par la voie maritime.

Dans ce contexte, en 1454, le pape Nicolas V autorise l’esclavage dans sa bulle papale ( document à travers lequel le pape pose un acte juridique important) intitulée  «Romanus Pontifex».

Par cette bulle, le pape Nicolas V concède aux rois du Portugal toutes les conquêtes en Afrique subsaharienne. Il leur permet ainsi de réduire en servitude perpétuelle toutes les personnes, considérées comme infidèles et ennemies du Christ en s’appropriant tous leurs biens et royaumes. 

De grands progrès sont réalisés en Europe dans le domaine de la navigation, et des expéditions maritimes de plus en plus ambitieuses voient le jour. Parmi ces expéditions, celle de Christophe Colomb en 1492, un Italien travaillant pour les Espagnols, va avoir une influence considérable sur le monde. Croyant être arrivé dans les Indes (c’est comme cela que l’on désigne l’Asie à l’époque), il est, en réalité, arrivé sur un nouveau continent, inconnu de l’Europe : l’Amérique.

Las Casas va militer pour mettre fin à l'esclavage des Indiens, mais pas des Noirs.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bartolome-defenseur-indiens.jpg

Très vite, les Espagnols vont réduire en esclavage et s’approprier les terres des Indiens d’Amérique. La mortalité sera importante des suites des mauvais traitements, des maladies, etc. Certains en Espagne vont remettre en cause cet esclavage, dont Bartolomé de las Casas. En 1551, lors de la Controverse de Valladolid, il va être reconnu que les Indiens ont un statut égal à celui des Blancs et qu’on ne peut donc pas les réduire en esclavage. Ce qui n’est pas le cas des Noirs, dont la traite va alors se généraliser. En effet, les Européens ont un grand besoin de main-d’œuvre en Amérique.

L’Europe n’est pas la seule région du monde à intervenir en Amérique. Tout au long du  XVIe siècle, après l’arrivée des Européens (Portugais, Espagnols, Hollandais), Arabes et Indiens s’affrontent sur la côte orientale de l’Amérique

Si les échanges et les influences sont multiples et croisés, ce sont les hommes transportés, c’est-à-dire, les esclaves africains, qui en constituent du XVe au XIXe siècle la  dynamique principale. La traite négrière est donc une réponse aux besoins humains et  commerciaux des puissances maritimes européennes. 

3 ¦ La traite transatlantique ou le « commerce triangulaire »

Le commerce triangulaire, c’est le nom de l’organisation commerciale qui se met en place à cette époque entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique.

  • Au premier sommet du triangle se trouve un port négrier européen (Nantes et Liverpool sont les ports les plus importants) d’où partent des bateaux remplis de produits manufacturés en Europe : objets de pacotille, armes et poudre à canon, tissus, eau de vie, perles de verre (minsanga), céramiques, pipes, etc. en direction de la côte africaine.
  • Au deuxième sommet se trouve un comptoir négrier sur la côte africaine où ces marchandises sont échangées contre des esclaves, et d’autres produits de luxe tels que le cuivre, l’or, l’ivoire et les bois précieux
  • Le troisième sommet correspond à un port américain où les esclaves sont échangés contre du sucre, du coton, du café, de l’alcool, du cacao, du tabac, de l’indigo, de l’or, du riz, de la farine de manioc (venant du Brésil) des cauris (coquillages : nzimbu)  qui sont alors ramenés en Europe. 

À eux seuls, la Grande-Bretagne, le Portugal et la France ont organisé 89,9 % des expéditions. Alors que dans les pays arabes, les esclaves sont de couleurs de peaux différentes, ce n’est pas le cas pour la traite atlantique où tous les esclaves sont noirs. Bientôt le terme « nègre » deviendra synonyme d’esclave. Le Code que rédige Colbert sur la demande de Louis XIV et qui fixe le sort des esclaves sera bientôt appelé « Code noir », en référence à la peau des esclaves. 

Le commerce triangulaire se met en place au XVIe siècle entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique

4 ¦ Les particularités de la traite transatlantique des esclaves

4.1. La capture des esclaves

À partir du XVe siècle, des contacts s’établissent entre Européens et royaumes africains. Par exemple, les Portugais créent des liens avec le royaume Kongo dès la fin du XVe siècle. Les relations, au départ, sont bonnes. Les royaumes du Portugal et du Kongo échangent même des ambassadeurs. Mais avec le besoin de plus en plus important d’esclaves pour le Nouveau Monde, les relations se détériorent et les Européens considèrent de plus en plus l’Afrique comme un réservoir d’esclaves. Des royaumes africains vont disparaître. D’autres royaumes africains, par contre, vont profiter de la traite négrière pour s’enrichir et se développer. Les esclaves peuvent être des prisonniers de guerre, ou des innocents capturés lors de razzias.

Après avoir quitté les points de capture, les esclaves sont enchaînés, au moyen de cordes, de troncs d’arbre ou de chaînes métalliques, avec parfois des pointes d’ivoire comme charges sur la tête. Ils entament alors une douloureuse marche à pied, en direction de la côte, sur des distances, variant de plusieurs centaines à quelques milliers de kilomètres, quelles que soient les intempéries. En cours de route, les malades sont abandonnés et les récalcitrants sont fouettés ou exécutés. 

Arrivés sur la côte, ils sont enfermés dans des forts ou dans des baraquements (quibangas) construits par les charpentiers des navires négriers.

Au port d’embarquement, on les soigne quelque peu pour qu’ils soient aptes à supporter les supplices du voyage.

Sources d’approvisionnement de la traite transatlantique aux XVIIIe et XIXe siècle.source: B. ALLAN OGOT, dir., Histoire générale de l'Afrique, t. V : L'Afrique du XVIe au XVIIIe siècle XIXe siècle, Paris, UNESCO, 1996, p. 130 (droits réservés).

Kimpa Vita incarne la révolte face à l'esclavage et à l'impérialisme européen.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kimpa_Vita_%C2%B4s_statue_in_Angola.jpg

Toutefois, il faut noter que des révoltes et des résistances à cet esclavage ont eu lieu en Afrique. L’un des exemples les plus emblématiques est celui de Kimpa Vita (Dona Beatriz). En 1704, cette jeune femme du royaume Kongo résiste et lutte contre la réduction en esclavage des Noirs par les Portugais. Elle soulève ses compatriotes autour de son mouvement religieux des Antoniens. Mais, sous la pression des missionnaires blancs, le roi du Kongo fait arrêter et brûler Kimpa Vita en 1706

4.2. Les conditions de traversée

Les conditions de transport des esclaves sont inhumaines. Certains navires portugais emportent jusqu’à 700 esclaves, alors que la moyenne est de 300 esclaves. 

Certains esclaves sont plus appréciés que d’autres. Pour les Amériques, on cherche surtout des esclaves robustes, jeunes et sans défaut physique. Le terme « pièce d’Inde » était utilisé pour les désigner. Les esclaves qui ne présentent pas ces caractéristiques physiques comptent pour moins. L’esclave est  considéré comme une marchandise que l’on mesure, inspecte, etc.

Les captifs sont entassés à l’étroit dans les cales  et tenus sous une surveillance permanente. Sur le bateau, tout acte d’insubordination est réprimé violemment. Beaucoup d’esclaves meurent de maladie, de mauvais traitement, ou encore se suicident. En cas de révolte, les meneurs sont massacrés et jetés à la mer. Après le débarquement, les esclaves sont étroitement surveillés et conditionnés pour être vendus aux enchères au meilleur prix.

Texte 8: la traversée sur un bateau négrier extrait de « La traite des  noirs de l’Afrique à l’Amérique » par Richard Château-Deg

Description d'un négrier
Un navire négrier emporte en moyenne 300 esclaves, mais certains entassent les esclaves pour en emporter 700.source: Description d’un négrier, 1789, Hull City Museum and Art Gallery, Royaume-Uni

5 ¦ Les conditions de vie dans les pays de déportation

Le gros des esclaves se retrouve dans le sud-est des actuels États-Unis, dans les îles des Caraïbes ou sur la façade atlantique de l’Amérique latine : du Brésil à l’Argentine, et sur la façade de l’Océan Pacifique : du Mexique au Chili

Les conditions de vie, et le droit des esclaves sont réglementés. Ainsi, en France, la vie des esclaves des colonies françaises est régie par le Code Noir,  code qui avait été écrit en 1685 par le ministre Colbert sous les ordres du roi Louis XIV. Ce Code Noir a été rédigé afin de régler tous les problèmes que pourrait engendrer l’esclavage. Toute la vie de l’esclave est régie par ce Code, de sa naissance à sa mort.

La déportation de 15 à 20 millions d’esclaves issus de l’Afrique va entrainer de profonds bouleversements pour le continent.

Après la vente, on marque les esclaves au fer rouge aux initiales de leur nouveau maître. On les transfère ensuite dans les plantations où ils sont soumis à un travail intensif et disproportionné sous une surveillance très étroite. Les maîtres, qui ont droit de vie et de mort sur leurs esclaves, se livrent à tous les abus, surtout sur les femmes qui ne peuvent protester en tant que propriété du maître. 

L’esclave est considéré comme un objet au même titre que la canne à sucre, le cacao, le café ou le coton. On parle ainsi de chosification de l’homme noir. Cela signifie que l’homme noir s’apparente de plus en plus à une chose. 

6 ¦ Les résistances à l’esclavage en terres américaines

Les Africains ont résisté à l’esclavage. En Afrique même, il y a des résistances comme celle de Kimpa Vita dans le royaume du Kongo. Lors de la traversée vers les Amériques, des révoltes ont également eu lieu. Une fois arrivés dans les Amériques, plusieurs esclaves vont également résister et se révolter. Ces résistances vont prendre différentes formes comme le marronnage ou la révolte pure et simple.  

6.1. Le marronnage

Le marronage est l’une des premières expressions de résistance à l’esclavage dans les Antilles et en Amérique. 

Le dos martyrisé par la chicotte de l’esclave Gordon, fugitif de la plantation Lyon, Louisiane, en 1863 sera largement utilisée par les anti-esclavagistes dans leur lutte pour l’abolition.source: Scourged back by McPherson & Oliver, 1863 (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Scourged_back_by_McPherson_%26_Oliver,_1863,_retouched.jpg).

Le terme « marron » désigne  l’esclave noir qui refuse sa condition d’esclave et qui, pour y échapper, s’enfuit loin du domaine de son maître pour se réfugier dans les montagnes ou la forêt.

Les esclaves qui osent fuir savent à quoi ils s’exposent, car, dès le début de la colonisation des Antilles, des mesures rigoureuses telles que la mise à mort sont prises contre les esclaves marrons. 

6.2. Les révoltes

Zumba est le premier chef d'un État d'anciens esclaves qui a vécu pendant le 17e siècle.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Zumbidospalmares.jpg

En plus des résistances individuelles à l’esclavage, il y a également eu de nombreuses révoltes violentes Il y a eu des révoltes d’esclaves à bord des navires négriers, mais aussi dans les plantations. Ces révoltes ont entrainé la mort de plusieurs colons et de leurs familles et bouleversé la production dans les plantations d’Amérique.

Parmi les révoltes célèbres, l’une d’entre elles a entrainé la mise sur pied de l’État de Palmarès au Brésil (Quilombo dos Palmares). Dans cet État, des anciens esclaves se sont organisés sous la direction de leur premier roi Nganga a Nzumbi, devenu héros national au Brésil pour la communauté afro-brésilienne, et ont vécu pendant presqu’un siècle (1605 – 1694) en résistant à la trentaine d’expéditions militaires européennes venues pour les réduire à nouveau en esclavage.

Une autre révolte célèbre est celle de Saint-Domingue. En 1791, les esclaves de Saint-Domingue (Haïti) se révoltent sous la direction, entre autres, de Toussaint Louverture, un ancien esclave noir affranchi. Très vite, les esclaves prennent possession de toute l’île et résistent aux attaques européennes. Malgré la capture de Toussaint Louverture en 1802 par les Français et sa mort en 1803, les Haïtiens vont résister et proclamer leur indépendance en 1804. La France reconnaîtra l’indépendance d’Haïti en 1825, mais en échange, la France demande des indemnités colossales qui ne seront remboursées qu’au milieu du XXe siècle. 

7 ¦ Les conséquences de la traite transatlantique

La traite atlantique a eu des conséquences démographiques, économiques, sociales et culturelles. 

7.1. Sur le plan démographique

Les historiens estiment qu’il y a eu entre 10 et 25 millions d’Africains victimes de la traite transatlantique entre le XVe et le XIXe siècle. En plus des 10 millions approximativement d’esclaves débarqués en Amérique, il faut comptabiliser toutes les victimes lors des razzias, des transports vers la cote, du transport sur les négriers, des suicides, etc. C’est une véritable catastrophe démographique pour l’Afrique. Il ne faut pas oublier, en plus, les victimes de la traite arabe et de la traite intra-africaine.

7.2. Sur le plan économique

La traite négrière a eu des conséquences économiques tant en Amérique, qu’en Europe et même en Afrique. 

Elle a rapporté beaucoup d’argent aux hommes et aux États qui l’ont pratiquée. 

Dans les Amériques et en Europe, toute une économie se développe autour de la traite négrière. Les villes portuaires européennes s’enrichissent. Certaines familles font fortune grâce à la traite, et par répercussion, tout un pan de l’économie tire profit de l’esclavage. 

La traite des esclaves crée de nouveaux circuits commerciaux qui ont pour conséquence de faire circuler de nouvelles monnaies, d’induire de nouveaux taux de change et de stimuler une économie florissante sur les côtes africaines. 

Par ailleurs, les principales cultures de traite américaines, telles que la canne à sucre, le coton, le tabac, le café, le cacao, ont pu se développer grâce à la main-d’œuvre africaine et donc procurer des bénéfices aux pays négriers.

Mais la traite a permis également d’importer de nouvelles cultures en Afrique comme la culture du manioc importée au 16e siècle, tandis que l’élevage et l’agriculture, pratiqués en Afrique, connaissent un essor lié au commerce des esclaves. 

7.3. Sur le plan social, culturel et politique

Dans les Amériques, la traite négrière va avoir des conséquences culturelles importantes. Ainsi, les principaux courants musicaux de notre époque comme le blues, le rock, le jazz, voire même le rap trouvent leur origine chez les esclaves des plantations américaines et leurs descendants. Les différents chants de travail, cris et appels dans les plantations se transforment petit à petit pour devenir de véritables courants musicaux. Les esclaves afro-américains vont également marquer d’autres formes culturelles comme la danse, ou encore la cuisine. Tous ces arts vont être utilisés pour protester contre la servitude et pour exprimer la dignité humaine de l’esclave.

La légende du jazz, Louis Armstrong (1901 – 1971) est un descendant d’esclave.source: https://pixabay.com/fr/photos/jazz-musicien-trompette-63212/source: https://pixabay.com/fr/photos/jazz-musicien-trompette-63212/

Sur le plan politique, l’esclavage en Amérique va entraîner des révoltes et est même un des motifs de la guerre de Sécession (1861 – 1865) entre États nordistes abolitionnistes et États sudistes esclavagistes. En Afrique, l’esclavage va entrainer le déclin de certains royaumes comme le royaume du Kongo, mais va également contribuer à la prospérité d’États comme le royaume Ashanti, situé sur le golfe de Guinée, ou le Dahomey, à l’est du royaume Ashanti qui, tous deux pratiquent, entre autres, le commerce des esclaves.

Des États africains vont profiter de la traite pour s’enrichir et se renforcer.

8 ¦ Résumé

  • La traite atlantique constitue le plus grand commerce d’êtres humains,  originaires d’Afrique noire dans le monde. Entre 10 et 25 millions d’Africains ont été victimes de cette traite. 
  • La traite a eu des conséquences au niveau culturel, avec l’apparition de genres musicaux toujours en vogue aujourd’hui, au niveau politique tant en Amérique qu’en Afrique et au niveau économique avec l’enrichissement de certains États en Europe. En Afrique, la traite a conduit à la fin de certains royaumes, mais certains en ont profité.
  • La traite ne s’est pas déroulée sans résistance et révolte de la part des Africains. Des révoltes ont eu lieu constamment de l’Afrique à l’Amérique. Des États d’anciens esclaves comme l’État de Palmares ou d’Haïti ont vu le jour. 

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Esclavages et traites négrières

Par Benjamin Hennon,

3500 av.J.C. – XIXe siècle

1 ¦ Objectifs de la leçon

A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :

  • définir correctement le concept d’esclavage
  • définir et différencer les traites négrières
  • situer dans le temps et dans l’espace le concept d’esclavage

2 ¦ Introduction

L’histoire de l’esclavage et des traites négrières a fait couler beaucoup d’encre. L’esclavage est une pratique très ancienne que l’on retrouve dans toutes les civilisations du monde, et pas seulement en Afrique. Quant aux traites négrières, elles ont constitué un motif de souffrance et de chosification de l’homme noir qui est alors considéré comme une marchandise vendue et achetée sur le marché international du VIIe au XIXe siècle.

2.1. Qui sont les esclaves ?

Les esclaves sont de simples objets que l’on peut acheter.

Les esclaves sont des hommes, des femmes ou des enfants privés de liberté par une institution, par un pouvoir ou par un autre homme qui les achète ou les vend comme s’ils lui appartenaient, et qui les considère comme ses propres choses. L’esclavage est une pratique commune à l’ensemble des sociétés humaines. 

Les esclaves, en général, sont d’origines diverses : des prisonniers de guerre, des bandits ou des criminels, ils peuvent également être capturés ou accusés de crimes divers.

L’esclave travaille pour le maître sans rémunération. Il doit obéir à son maître sous peine de condamnation ou de violences. Ainsi, il est commun que les esclaves africaines, entre autres, soient exploitées sexuellement. De nombreuses femmes africaines ont été réduites en esclavage pour cette exploitation. Les besognes les plus méprisées et les plus pénibles sont réservées aux femmes dépourvues d’attraits tandis que celles qui sont jolies et ont la peau claire sont affectées à la disposition du maître et de la maîtresse de la maison. 

2.2. Qui sont les personnes impliquées dans le trafic d’esclaves en Afrique ?

Représentation occidentale du XIXe siècle d’un chasseur d’esclaves.source: Johnston, Harry, British central Africa, New-York, 1897, p. 421.

Les chasseurs d’esclaves se chargent d’attraper des hommes ou des femmes en organisant des razzias, généralement dans les villages, juste avant l’aube, ou en achetant des prisonniers de guerre à un chef de village. Lors des razzias, il n’est pas rare que la plupart des hommes et des femmes âgés soient tués.

Les courtiers qui sont eux-mêmes chasseurs d’esclaves ou qui s’arrangent avec les chasseurs d’esclaves, n’ont plus qu’à amener les jeunes femmes et les jeunes hommes au point de départ du long chemin qui les conduit jusqu’au marché d’esclaves où ils les présentent et les vendent. Les courtiers se chargent éventuellement de transporter les esclaves vers les maîtres qui vont les acheter comme ils achèteraient un objet. Les esclaves sont sévèrement gardés. Ils souffrent beaucoup des fers et des chaînes qui servent à les attacher les uns aux autres afin qu’ils ne puissent pas s’échapper.

Les maitres ont le droit d’infliger à leurs esclaves des traitements corporels dégradants ou pénibles. Ils peuvent ainsi les fouetter, les marquer au fer rouge, les emprisonner. Ils ont le droit de vie ou de mort sur eux. On peut mesurer l’importance et le pouvoir d’un maitre en observant le nombre et la qualité de ses esclaves. Ceux-ci travaillent gratuitement pour lui en tant qu’esclave domestique, travailleur agricole, ou en tant que militaire. 

Les esclavagistes sont les personnes qui sont favorables ou impliquées dans l’esclavage.

3 ¦ La pratique de l’esclavage de l’antiquité à nos jours

3.1. L’esclavage dans les civilisations méditérranéennes antiques (±3500 av.J.C-476)

Le bassin méditerranéen a longtemps été au centre du développement des différentes formations politiques qui s’y sont succédé. Les hommes au pouvoir se procurent la plupart de leurs esclaves en faisant la guerre ou en les achetant sur les marchés d’esclaves en Afrique, dans le Caucase ( région qui comprend entre autres la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan), dans le bassin méditerranéen et dans les pays slaves (le mot « slave » est d’ailleurs à l’origine du mot « esclave », Croatie, Serbie, Slovénie, Bulgarie et Macédoine du Nord). L’esclave a constitué un facteur déterminant de l’organisation et du développement de ces États.

Les systèmes d’esclavage présents en Égypte, dans les cités grecques, dans l’empire romain et de Carthage étaient semblables.

Le bassin méditerranéen est un des centres les plus importants de l’Antiquité.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Carte_Mediterranee_02.jpg

3.2. Le trafic des esclaves en Europe et au Moyen-Âge (VIe-XVe siècle)

L’esclavage est pratiqué durant tout le Moyen-Âge en Europe occidentale et dans l’ensemble du bassin méditerranéen. En Europe, la pratique de l’esclavage, au sens strict, diminue au profit d’une autre forme, très proche de l’esclavage : le servage. Par la coutume, ou la loi, un individu doit travailler et vivre sur la terre d’un autre et doit lui fournir des services déterminés, sans pouvoir changer sa condition. L’immense majorité des serfs en Europe sont des Blancs. Une partie des esclaves proviennent d’Afrique, et sont envoyés, via le Sahara, en Europe occidentale. Ces Africains servent notamment de chiourme (définition: rameurs d’une galère).

3.3. L’esclavage dans les civilisations asiatiques

L’Afrique de l’Est est le plus grand  fournisseur de captifs destinés à l’Asie, en particulier la Turquie, l’Arabie, la Perse, l’Inde, l’Indonésie et la Chine. L’invasion arabe en Afrique du Nord et le développement de l’empire musulman qui a suivi ont provoqué une forte croissance du trafic des esclaves (voir leçon 2), à travers le Sahara, vers l’Empire ottoman, et l’Europe de l’Est jusqu’en Russie.

3.4. L’esclavage dans les civilisations africaines

Dans les sociétés africaines anciennes, les pratiques de l’esclavage ont varié d’une région à l’autre et ont évolué avec le temps. 

En général, les esclaves sont esclaves du fait de leur naissance, de kidnappings, d’accusations de sorcellerie. C’étaient, soit des victimes de guerres ou de razzias, soit des criminels ou des personnes condamnées pour dettes ou des personnes données par leurs familles dans le cadre du remboursement d’une dette ou du paiement d’une dot. Ils peuvent également être des personnes choisies pour être sacrifiées à l’occasion de l’intronisation ou la mort d’un chef ou d’un roi. Après une ou deux générations, les esclaves peuvent généralement recouvrer leur liberté selon des procédures de rachat bien établies. 

De nombreuses sources orales nous renseignent non seulement sur le mode de pensées, les discours et les représentations propres aux Africains concernant la traite des esclaves, mais aussi sur les modes de capture, les razzias, les complicités, la cruauté et les changements de pratiques de ces institutions.

4 ¦ La diversité des traites négrières

La traite négrière, c’est le système économique basé sur la capture, le transport et la vente des esclaves noirs. C’est un système mis en place par les musulmans dès le VIIe siècle et ensuite par les Européens dès le XVIe siècle pour aller capturer des Africains et les déporter dans de nouveaux territoires afin de les faire travailler comme esclave. Ce système prit officiellement fin au XIXe siècle.

On estime qu’entre 10 et 25 millions d’esclaves d’origine africaine auraient été victimes de la traite en direction de l’Amérique. Et si l’on tient compte des razzias, des captures, du transport, etc., on peut estimer à 200 millions le nombre de victimes africaines de cette traite négrière. En effet, la mortalité est telle, que les esclaves qui arrivent en Amérique ne représentent que 10 à 15% des survivants. Concernant la traite en direction des pays musulmans, on estime que plus de 10 millions d’esclaves noirs ont été importés dans ces pays entre le VIIe et le XIXe siècle, dont près de 4 000 000 pour le seul XIXe siècle.

Les traites négrières ont eu des impacts sociaux, politiques et économiques très importants en Afrique. Selon les époques, l’origine des marchands, les itinéraires et les espaces couverts par le trafic des esclaves, on distingue plusieurs types de traites négrières

Suivant les itinéraires :

  • la traite transsaharienne ( via le Sahara)
  • la traite via l’Océan Indien
  • la traite via l’Océan Atlantique

Suivant l’origine des marchands :

  • la traite arabe (orientale)
  • la traite transatlantique.
Parmi les différentes traites, la traite transatlantique est responsable de la déportation de 15 à 20 millions d’esclaves.

5 ¦ Résumé


Au cours de cette leçon, nous avons appris que :

  • L’esclave est un individu, dépouillé de sa dignité humaine, qui est transformé en objet que l’on peut vendre, acheter et même maltraiter. 
  • L’esclavage a été pratiqué dans toutes les sociétés humaines, de l’Antiquité à nos jours, que ce soit dans les civilisations africaines, asiatiques ou européennes. 
  • Les Européens et les Arabes sont à l’origine des traites négrières qui ont conduit à un trafic mondial des Africains déportés dans de nombreuses régions du monde et principalement vers les Amériques. Entre 10 et 25 millions d’esclaves arrivés en Amérique proviennent d’Afrique.

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