Extrait de Amandine Lauro et Benoît Henriet, Carte blanche: «Dix idées reçues sur la colonisation belge», dans Le Soir, 2019.
Idée reçue : « Il ne faut pas confondre le Congo de Léopold II et le Congo belge. De plus, le roi n’est pas directement responsable des abus commis à l’époque de l’Etat Indépendant »
« Continuités et responsabilités restent bien souvent au cœur des débats sur le passé colonial. Beaucoup d’attention est portée à la question des responsabilités individuelles, particulièrement à la figure de Léopold II, au détriment de réflexions sur la manière dont la colonisation fait système. « Roi-bâtisseur » ou « dictateur sanguinaire » : quel que soit le « camp » du débat, l’ombre royale domine encore les mémoires.
Le régime d’exploitation mis en place par Léopold II à la fin du 19e siècle fut certes particulièrement violent. Cette violence était inscrite dans la conception même de ce régime. Que le Roi ait ou n’ait pas été au courant de tel ou tel massacre dans tel ou tel village n’atténue en rien sa responsabilité. Léopold n’était cependant qu’un acteur dans un processus global, celui de l’expansion de nations européennes sur d’autres continents. Une expansion justifiée par l’arrogante certitude en la supériorité des « Blancs », exercée par la force et soutenue par l’exploitation des ressources locales.
Ces dynamiques traversent les différents acteurs et les différents temps de la colonisation. Dans ce cadre, évaluer le caractère plus ou moins « légitime » du Congo belge en rapport au Congo léopoldien est peu pertinent. En se focalisant sur les « mains coupées » comme exemple d’un colonialisme du « pire », on atténue en comparaison la violence structurelle du colonialisme « en soi ». Enfin, il faut rappeler que tout ne change pas du jour au lendemain lors de la « reprise » (en 1908) du Congo par la Belgique. Un nouveau cadre légal voit le jour, mais ne modifie pas radicalement l’exercice du pouvoir. Par exemple, si le travail forcé est officiellement aboli au Congo belge, hommes, femmes et enfants sont encore enrôlés de force au service d’entreprises européennes. Ce type d’écart entre les principes et les pratiques est aussi un objet d’étude pour les historien.ne.s du temps colonial. »
Extrait de Amandine Lauro et Benoît Henriet, Carte blanche: «Dix idées reçues sur la colonisation belge», dans Le Soir, 2019.
La carte blanche analyse 10 idées reçues autour de la colonisation belge, et apporte des réponses à chacune d’entre elles.
Amandine Lauro est une historienne belge. Elle est chercheuse qualifiée FRS-FNRS à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
Benoît Henriet est un historien belge. Il est professeur assistant à la Vrije Universiteit Brussel (VUB).