1526 (Kongo)
Correspondance de Dom Afonso, roi du Manikongo à son frère Joâo III, roi de Portugal
Cette correspondance du 6 juillet 1526 du roi Dom Afonso du Kongo à son « frère » Dom Joâo III du Portugal explique dans quelle mesure l’influence extérieure introduite à la faveur du commerce est à la base de la destruction du royaume et des structures anciennes. Le roi marque son opposition à l’égard de la traite et de l’introduction des produits importés, tout en se plaignant du comportement du personnel européen.
« Votre Altesse, mon frère Dom Joao III, roi du Portugal,
(…) Seigneur, votre Altesse doit savoir que notre royaume va à sa perdition. De sorte qu’il nous faut apporter à cette situation le remède nécessaire. (…) Nous ne mesurons même pas toute l’importance de ce dommage. Votre Altesse, car le chef de votre factorie1, et vos officiers donnent à vos marchands, permission de s’installer dans le royaume, des marchands qui pratiquent des commerces interdits. Ils enlèvent chaque jour nos sujets, enfants de ce pays., fils de nos nobles vassaux2, même des gens de notre parenté. Les voleurs et hommes sans conscience les enlèvent dans le but de faire trafic de cette marchandise, ils les enlèvent et ils les vendent. Cette corruption et cette dépravation3 est si répandue que notre terre en est entièrement dépeuplée. Notre volonté que ce royaume ne soit ni un lieu de traite, ni de transit d’esclaves. Nous demandons à votre Altesse, de l’imposer ainsi, car nous ne pouvons pas, d’une autre manière, remédier à un dommage aussi manifeste. Que notre Seigneur, dans sa clémence, aie toujours votre Altesse en sa garde et vous permette de le servir. Je vous baise la main plusieurs fois. De notre ville de Congo, le 6 juillet 1526, Joao Teixeira l’écrivit Expéditeur : roi de Manicongo »
Jadin et M. Dicorato, Correspondance de Dom Afonso ; roi du Congo, 1506-1543, Académie royale des sciences d’outre-mer, Volume 41, Numéro 3, 1974, pp. 155, 156. |
Clés de compréhension du document
A. Approches possibles du document dans le cadre d’un cours d’histoire
- Le royaume Kongo et ses contacts avec le Portugal durant les Temps modernes.
- Les royaumes en Afrique centrale au Moyen-Âge et aux Temps modernes.
- L’autonomie et la résistance des royaumes africains face à la colonisation et l’esclavage.
- Les dimensions globales de l’histoire du royaume du Kongo.
- L’écriture en Afrique avant la colonisation européenne du XIXe siècle.
B. Contextes du document
1. Le royaume Kongo
Le royaume du Kongo, fondé au XIVe siècle, prospère grâce à une économie diversifiée basée sur le commerce, la cueillette du palmier à huile, la métallurgie du fer et l’utilisation du nzimbu comme monnaie. Intégré dans un vaste réseau commercial, il exerce une influence au-delà de ses frontières reconnues.
En 1482, les Portugais entrent en contact avec le royaume. En 1491, le roi Nzinga a Nkuwu se convertit au christianisme sous le nom de João Ier, marquant un tournant dans les relations diplomatiques. Cependant, vers la fin de son règne, une résistance au catholicisme émerge, et il revient aux pratiques traditionnelles.
Après sa mort en 1506, son fils Alfonso Ier monte sur le trône, soutenu par le Portugal. Il renforce le christianisme et envoie des jeunes Bakongo étudier en Europe, mais les relations avec les Portugais se détériorent. Ces derniers exigent de plus en plus d’esclaves pour leurs colonies, ce qui pousse Alfonso à capturer des populations voisines. Il meurt en 1543 après avoir échappé à un complot.
À partir de 1569, les révoltes des peuples voisins et la pression portugaise affaiblissent le royaume. Álvaro Ier accepte un acte de vassalité envers le Portugal, tandis que Garcia II tente en vain de diversifier les alliances. Après la défaite d’Ambuila en 1665, le royaume du Kongo s’affaiblit, fragmenté par des luttes internes et une influence étrangère croissante. Au XVIIIᵉ siècle, Kimpa Vita tente de réunifier le royaume en fondant un mouvement religieux syncrétique, mais elle sera exécutée en 1706. Bien que le royaume disparaisse comme entité politique au XIXᵉ siècle, son héritage reste vivant dans les traditions des Bakongo, aujourd’hui reconnu à travers des sites comme Mbanza Kongo et la mémoire de figures comme Kimpa Vita.
Pour aller plus loin sur le royaume Kongo :
Cartes disponibles sur Bokundoli :
C. Points d’attention
- Les accusations contre les marchands portugais : souligner la dénonciation par Dom Afonso de la traite des esclaves et des abus des marchands portugais.
- Le rôle du roi du Kongo : analyser le ton de la lettre et la position de Dom Afonso face aux injustices subies.
- Le contexte de 1526 : replacer cette correspondance dans l’histoire du royaume du Kongo, marquée par des relations conflictuelles avec le Portugal.
- La vision du roi du Kongo sur la dépopulation de son royaume : mettre en évidence les conséquences sociales et humaines de la traite sur le Kongo.
- La perception des Portugais comme responsables de la dépopulation : observer comment le roi évoque l’effondrement démographique de son royaume, vu comme une conséquence directe des actions portugaises.
- L’aspect de la souveraineté et de l’indépendance du royaume : explorer l’expression de l’impuissance du roi face aux abus des marchands portugais et l’impact sur la souveraineté du Kongo.
- La connaissance et l’utilisation de l’écriture en Afrique : remarquer la date de rédaction. L’écriture est connue au royaume Kongo et utilisée à des fins diplomatiques. Noter la mention « Joao Teixeira l’écrivit » qui montre la présence d’un secrétaire, ici portugais, au service du roi.
D. Biographies
E. Pour aller plus loin :
- Isidore Ndaywel, Histoire générale du Congo, Bruxelles, 1998.
- Jan Vansina, Le royaume du Kongo et ses voisins, dans Histoire générale de l’Afrique, V. : L’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle, 1999, p. 601 -642.
- Bruno Pinçon, et Dominique Ngoïe-Ngalla . L’unité culturelle Kongo à la fin du XIXe siècle. L’apport des études céramologiques. Dans: Cahiers d’études africaines, vol. 30, n°118, 1990. pp. 157-177.
- Pierre de Maret, Bernard-Olivier Clist, et Koen Bostoen. « Regards croisés sur le royaume Kongo. » dans: Une archéologie des provinces septentrionales du royaume Kongo. Archaeopress, 2018. 455-460.