XVe – XIXe siècle
1 ¦ Objectifs de la leçon
A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
- Identifier les différents acteurs de la traite atlantique.
- Comprendre pourquoi la traite ne concerne que les Noirs.
- Expliquer les motivations des négriers et leurs modes de financement.
- Reconstituer la trajectoire d’un bateau négrier.
- Expliquer les raisons de la résistance des Noirs contre la servitude.
2 ¦ Introduction
La traite transatlantique (XVe – XIXe siècle) qui a engendré la déportation de 10 à 25 millions d’Africains vers l’Amérique fait suite à de grands bouleversements survenus au XVe siècle.
En 1453, les Ottomans prennent Constantinople, la capitale de l’Empire romain d’Orient. Cet évènement marque la fin de l’Empire romain d’Orient. Dorénavant, les Européens qui veulent accéder à l’Asie et à son marché par voie terrestre doivent traiter avec les musulmans qui imposent de lourdes taxes, ce qui rend difficile le ravitaillement en épices. L’Europe a un grand besoin d’or et d’épices et cherche de nouveaux marchés lointains, en Asie et en Afrique en passant par la voie maritime.
Dans ce contexte, en 1454, le pape Nicolas V autorise l’esclavage dans sa bulle papale ( document à travers lequel le pape pose un acte juridique important) intitulée «Romanus Pontifex».
Par cette bulle, le pape Nicolas V concède aux rois du Portugal toutes les conquêtes en Afrique subsaharienne. Il leur permet ainsi de réduire en servitude perpétuelle toutes les personnes, considérées comme infidèles et ennemies du Christ en s’appropriant tous leurs biens et royaumes.
De grands progrès sont réalisés en Europe dans le domaine de la navigation, et des expéditions maritimes de plus en plus ambitieuses voient le jour. Parmi ces expéditions, celle de Christophe Colomb en 1492, un Italien travaillant pour les Espagnols, va avoir une influence considérable sur le monde. Croyant être arrivé dans les Indes (c’est comme cela que l’on désigne l’Asie à l’époque), il est, en réalité, arrivé sur un nouveau continent, inconnu de l’Europe : l’Amérique.
Très vite, les Espagnols vont réduire en esclavage et s’approprier les terres des Indiens d’Amérique. La mortalité sera importante des suites des mauvais traitements, des maladies, etc. Certains en Espagne vont remettre en cause cet esclavage, dont Bartolomé de las Casas. En 1551, lors de la Controverse de Valladolid, il va être reconnu que les Indiens ont un statut égal à celui des Blancs et qu’on ne peut donc pas les réduire en esclavage. Ce qui n’est pas le cas des Noirs, dont la traite va alors se généraliser. En effet, les Européens ont un grand besoin de main-d’œuvre en Amérique.
L’Europe n’est pas la seule région du monde à intervenir en Amérique. Tout au long du XVIe siècle, après l’arrivée des Européens (Portugais, Espagnols, Hollandais), Arabes et Indiens s’affrontent sur la côte orientale de l’Amérique.
Si les échanges et les influences sont multiples et croisés, ce sont les hommes transportés, c’est-à-dire, les esclaves africains, qui en constituent du XVe au XIXe siècle la dynamique principale. La traite négrière est donc une réponse aux besoins humains et commerciaux des puissances maritimes européennes.
3 ¦ La traite transatlantique ou le « commerce triangulaire »
Le commerce triangulaire, c’est le nom de l’organisation commerciale qui se met en place à cette époque entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique.
- Au premier sommet du triangle se trouve un port négrier européen (Nantes et Liverpool sont les ports les plus importants) d’où partent des bateaux remplis de produits manufacturés en Europe : objets de pacotille, armes et poudre à canon, tissus, eau de vie, perles de verre (minsanga), céramiques, pipes, etc. en direction de la côte africaine.
- Au deuxième sommet se trouve un comptoir négrier sur la côte africaine où ces marchandises sont échangées contre des esclaves, et d’autres produits de luxe tels que le cuivre, l’or, l’ivoire et les bois précieux.
- Le troisième sommet correspond à un port américain où les esclaves sont échangés contre du sucre, du coton, du café, de l’alcool, du cacao, du tabac, de l’indigo, de l’or, du riz, de la farine de manioc (venant du Brésil) des cauris (coquillages : nzimbu) qui sont alors ramenés en Europe.
À eux seuls, la Grande-Bretagne, le Portugal et la France ont organisé 89,9 % des expéditions. Alors que dans les pays arabes, les esclaves sont de couleurs de peaux différentes, ce n’est pas le cas pour la traite atlantique où tous les esclaves sont noirs. Bientôt le terme « nègre » deviendra synonyme d’esclave. Le Code que rédige Colbert sur la demande de Louis XIV et qui fixe le sort des esclaves sera bientôt appelé « Code noir », en référence à la peau des esclaves.
4 ¦ Les particularités de la traite transatlantique des esclaves
4.1. La capture des esclaves
À partir du XVe siècle, des contacts s’établissent entre Européens et royaumes africains. Par exemple, les Portugais créent des liens avec le royaume Kongo dès la fin du XVe siècle. Les relations, au départ, sont bonnes. Les royaumes du Portugal et du Kongo échangent même des ambassadeurs. Mais avec le besoin de plus en plus important d’esclaves pour le Nouveau Monde, les relations se détériorent et les Européens considèrent de plus en plus l’Afrique comme un réservoir d’esclaves. Des royaumes africains vont disparaître. D’autres royaumes africains, par contre, vont profiter de la traite négrière pour s’enrichir et se développer. Les esclaves peuvent être des prisonniers de guerre, ou des innocents capturés lors de razzias.
Après avoir quitté les points de capture, les esclaves sont enchaînés, au moyen de cordes, de troncs d’arbre ou de chaînes métalliques, avec parfois des pointes d’ivoire comme charges sur la tête. Ils entament alors une douloureuse marche à pied, en direction de la côte, sur des distances, variant de plusieurs centaines à quelques milliers de kilomètres, quelles que soient les intempéries. En cours de route, les malades sont abandonnés et les récalcitrants sont fouettés ou exécutés.
Arrivés sur la côte, ils sont enfermés dans des forts ou dans des baraquements (quibangas) construits par les charpentiers des navires négriers.
Au port d’embarquement, on les soigne quelque peu pour qu’ils soient aptes à supporter les supplices du voyage.
Toutefois, il faut noter que des révoltes et des résistances à cet esclavage ont eu lieu en Afrique. L’un des exemples les plus emblématiques est celui de Kimpa Vita (Dona Beatriz). En 1704, cette jeune femme du royaume Kongo résiste et lutte contre la réduction en esclavage des Noirs par les Portugais. Elle soulève ses compatriotes autour de son mouvement religieux des Antoniens. Mais, sous la pression des missionnaires blancs, le roi du Kongo fait arrêter et brûler Kimpa Vita en 1706.
4.2. Les conditions de traversée
Les conditions de transport des esclaves sont inhumaines. Certains navires portugais emportent jusqu’à 700 esclaves, alors que la moyenne est de 300 esclaves.
Certains esclaves sont plus appréciés que d’autres. Pour les Amériques, on cherche surtout des esclaves robustes, jeunes et sans défaut physique. Le terme « pièce d’Inde » était utilisé pour les désigner. Les esclaves qui ne présentent pas ces caractéristiques physiques comptent pour moins. L’esclave est considéré comme une marchandise que l’on mesure, inspecte, etc.
Les captifs sont entassés à l’étroit dans les cales et tenus sous une surveillance permanente. Sur le bateau, tout acte d’insubordination est réprimé violemment. Beaucoup d’esclaves meurent de maladie, de mauvais traitement, ou encore se suicident. En cas de révolte, les meneurs sont massacrés et jetés à la mer. Après le débarquement, les esclaves sont étroitement surveillés et conditionnés pour être vendus aux enchères au meilleur prix.
Texte 8: la traversée sur un bateau négrier extrait de « La traite des noirs de l’Afrique à l’Amérique » par Richard Château-Deg
5 ¦ Les conditions de vie dans les pays de déportation
Le gros des esclaves se retrouve dans le sud-est des actuels États-Unis, dans les îles des Caraïbes ou sur la façade atlantique de l’Amérique latine : du Brésil à l’Argentine, et sur la façade de l’Océan Pacifique : du Mexique au Chili.
Les conditions de vie, et le droit des esclaves sont réglementés. Ainsi, en France, la vie des esclaves des colonies françaises est régie par le Code Noir, code qui avait été écrit en 1685 par le ministre Colbert sous les ordres du roi Louis XIV. Ce Code Noir a été rédigé afin de régler tous les problèmes que pourrait engendrer l’esclavage. Toute la vie de l’esclave est régie par ce Code, de sa naissance à sa mort.
Après la vente, on marque les esclaves au fer rouge aux initiales de leur nouveau maître. On les transfère ensuite dans les plantations où ils sont soumis à un travail intensif et disproportionné sous une surveillance très étroite. Les maîtres, qui ont droit de vie et de mort sur leurs esclaves, se livrent à tous les abus, surtout sur les femmes qui ne peuvent protester en tant que propriété du maître.
L’esclave est considéré comme un objet au même titre que la canne à sucre, le cacao, le café ou le coton. On parle ainsi de chosification de l’homme noir. Cela signifie que l’homme noir s’apparente de plus en plus à une chose.
6 ¦ Les résistances à l’esclavage en terres américaines
Les Africains ont résisté à l’esclavage. En Afrique même, il y a des résistances comme celle de Kimpa Vita dans le royaume du Kongo. Lors de la traversée vers les Amériques, des révoltes ont également eu lieu. Une fois arrivés dans les Amériques, plusieurs esclaves vont également résister et se révolter. Ces résistances vont prendre différentes formes comme le marronnage ou la révolte pure et simple.
6.1. Le marronnage
Le marronage est l’une des premières expressions de résistance à l’esclavage dans les Antilles et en Amérique.
Le terme « marron » désigne l’esclave noir qui refuse sa condition d’esclave et qui, pour y échapper, s’enfuit loin du domaine de son maître pour se réfugier dans les montagnes ou la forêt.
Les esclaves qui osent fuir savent à quoi ils s’exposent, car, dès le début de la colonisation des Antilles, des mesures rigoureuses telles que la mise à mort sont prises contre les esclaves marrons.
6.2. Les révoltes
En plus des résistances individuelles à l’esclavage, il y a également eu de nombreuses révoltes violentes Il y a eu des révoltes d’esclaves à bord des navires négriers, mais aussi dans les plantations. Ces révoltes ont entrainé la mort de plusieurs colons et de leurs familles et bouleversé la production dans les plantations d’Amérique.
Parmi les révoltes célèbres, l’une d’entre elles a entrainé la mise sur pied de l’État de Palmarès au Brésil (Quilombo dos Palmares). Dans cet État, des anciens esclaves se sont organisés sous la direction de leur premier roi Nganga a Nzumbi, devenu héros national au Brésil pour la communauté afro-brésilienne, et ont vécu pendant presqu’un siècle (1605 – 1694) en résistant à la trentaine d’expéditions militaires européennes venues pour les réduire à nouveau en esclavage.
Une autre révolte célèbre est celle de Saint-Domingue. En 1791, les esclaves de Saint-Domingue (Haïti) se révoltent sous la direction, entre autres, de Toussaint Louverture, un ancien esclave noir affranchi. Très vite, les esclaves prennent possession de toute l’île et résistent aux attaques européennes. Malgré la capture de Toussaint Louverture en 1802 par les Français et sa mort en 1803, les Haïtiens vont résister et proclamer leur indépendance en 1804. La France reconnaîtra l’indépendance d’Haïti en 1825, mais en échange, la France demande des indemnités colossales qui ne seront remboursées qu’au milieu du XXe siècle.
7 ¦ Les conséquences de la traite transatlantique
La traite atlantique a eu des conséquences démographiques, économiques, sociales et culturelles.
7.1. Sur le plan démographique
Les historiens estiment qu’il y a eu entre 10 et 25 millions d’Africains victimes de la traite transatlantique entre le XVe et le XIXe siècle. En plus des 10 millions approximativement d’esclaves débarqués en Amérique, il faut comptabiliser toutes les victimes lors des razzias, des transports vers la cote, du transport sur les négriers, des suicides, etc. C’est une véritable catastrophe démographique pour l’Afrique. Il ne faut pas oublier, en plus, les victimes de la traite arabe et de la traite intra-africaine.
7.2. Sur le plan économique
La traite négrière a eu des conséquences économiques tant en Amérique, qu’en Europe et même en Afrique.
Elle a rapporté beaucoup d’argent aux hommes et aux États qui l’ont pratiquée.
Dans les Amériques et en Europe, toute une économie se développe autour de la traite négrière. Les villes portuaires européennes s’enrichissent. Certaines familles font fortune grâce à la traite, et par répercussion, tout un pan de l’économie tire profit de l’esclavage.
La traite des esclaves crée de nouveaux circuits commerciaux qui ont pour conséquence de faire circuler de nouvelles monnaies, d’induire de nouveaux taux de change et de stimuler une économie florissante sur les côtes africaines.
Par ailleurs, les principales cultures de traite américaines, telles que la canne à sucre, le coton, le tabac, le café, le cacao, ont pu se développer grâce à la main-d’œuvre africaine et donc procurer des bénéfices aux pays négriers.
Mais la traite a permis également d’importer de nouvelles cultures en Afrique comme la culture du manioc importée au 16e siècle, tandis que l’élevage et l’agriculture, pratiqués en Afrique, connaissent un essor lié au commerce des esclaves.
7.3. Sur le plan social, culturel et politique
Dans les Amériques, la traite négrière va avoir des conséquences culturelles importantes. Ainsi, les principaux courants musicaux de notre époque comme le blues, le rock, le jazz, voire même le rap trouvent leur origine chez les esclaves des plantations américaines et leurs descendants. Les différents chants de travail, cris et appels dans les plantations se transforment petit à petit pour devenir de véritables courants musicaux. Les esclaves afro-américains vont également marquer d’autres formes culturelles comme la danse, ou encore la cuisine. Tous ces arts vont être utilisés pour protester contre la servitude et pour exprimer la dignité humaine de l’esclave.
Sur le plan politique, l’esclavage en Amérique va entraîner des révoltes et est même un des motifs de la guerre de Sécession (1861 – 1865) entre États nordistes abolitionnistes et États sudistes esclavagistes. En Afrique, l’esclavage va entrainer le déclin de certains royaumes comme le royaume du Kongo, mais va également contribuer à la prospérité d’États comme le royaume Ashanti, situé sur le golfe de Guinée, ou le Dahomey, à l’est du royaume Ashanti qui, tous deux pratiquent, entre autres, le commerce des esclaves.
8 ¦ Résumé
- La traite atlantique constitue le plus grand commerce d’êtres humains, originaires d’Afrique noire dans le monde. Entre 10 et 25 millions d’Africains ont été victimes de cette traite.
- La traite a eu des conséquences au niveau culturel, avec l’apparition de genres musicaux toujours en vogue aujourd’hui, au niveau politique tant en Amérique qu’en Afrique et au niveau économique avec l’enrichissement de certains États en Europe. En Afrique, la traite a conduit à la fin de certains royaumes, mais certains en ont profité.
- La traite ne s’est pas déroulée sans résistance et révolte de la part des Africains. Des révoltes ont eu lieu constamment de l’Afrique à l’Amérique. Des États d’anciens esclaves comme l’État de Palmares ou d’Haïti ont vu le jour.