1 ¦ Objectifs de la leçon
A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
- Comprendre pourquoi et comment certaines pratiques esclavagistes sont nées et quels sont leurs prolongements et leurs effets aujourd’hui.
- Comprendre pourquoi il est nécessaire de bien connaître cette histoire des traites et de l’esclavage qui a fortement marqué la perception des Africains sur eux-mêmes ainsi que le regard des autres sur les Africains.
2 ¦ Introduction
L’espace congolais, de par sa position centrale en Afrique, a longtemps servi de plaque tournante de l’esclavage. Avant la traite négrière orientale (VIIe siècle, leçon 2), et la traite négrière transatlantique (XVe siècle, leçon 3), l’espace congolais et l’Afrique ont connu un esclavage interne, comme dans toutes les sociétés du monde.
Toutefois, l’intensité des traites négrières, et en particulier la traite transatlantique, va avoir des conséquences importantes sur l’espace congolais. Au XVe siècle, la traite négrière sera un obstacle au progrès sociopolitique du Royaume du Kongo. Elle bouleversera l’ordre social et toutes les structures culturelles traditionnelles. Des royaumes ancestraux vont s’effondrer, d’autres vont apparaitre. De nombreuses routes des esclaves vont parcourir l’espace congolais. Ces itinéraires sont les témoins silencieux des horreurs quotidiennes qui caractérisent le trafic d’esclaves.
3 ¦ Les formes anciennes d’esclavage au Congo
La plupart des sociétés humaines ont, à un moment de leur histoire, subi ou pratiqué l’esclavage. Avant même les traites négrières, les sociétés congolaises ont connu plusieurs formes d’esclavage telles que :
- l’esclavage au niveau familial, clanique ou lignager
Une personne devient esclave pour plusieurs raisons : par hérédité, par insolvabilité (non-paiement d’une dette personnelle ou de la dette d’un parent), à cause d’une accusation de sorcellerie, pour des motifs d’inceste, d’homicide, de mauvaise conduite, etc.
- l’esclavage au niveau de l’État
Les raisons de mise en esclavage sont plus diversifiées : esclaves royaux, esclaves gardiens des membres de la famille royale, esclaves des dignitaires de l’État, esclaves des élites marchandes ou religieuses, etc.
Les esclaves peuvent servir de butins de guerre ou de paiement de tribut. Il arrive parfois que des esclaves vivants soient choisis pour être ensevelis avec le roi en vue de le servir dans l’autre monde. L’esclavage peut s’inscrire également dans des circuits commerciaux plus étendus liés à l’exportation de personnes réduites en esclavage dans le cas de guerres entre lignages, de guerres entre États et autres formes de violence collective. Il est possible pour les esclaves de retrouver leur liberté le plus souvent après une ou plusieurs générations, soit suite au mariage avec une personne libre, soit par un des multiples procédés de rachat variables selon les lieux et selon les époques.
4 ¦ Les formes de traites négrières au Congo
On y distingue trois types de traite : la traite nilo-soudanaise, la traite orientale, la traite occidentale ou transatlantique.
4.1. La traite nilo-soudanaise
Depuis l’Antiquité, la traite se pratique le long du Nil. Les esclaves provenant de l’Afrique centrale et plus particulièrement du nord de la Province Orientale du Congo, du Soudan, de l’Ethiopie et de l’Egypte sont vendus sur les marchés au même titre que les épices. Sur ces marchés, on retrouve des esclaves de différentes origines, en plus des Noirs, on peut y retrouver des Blancs, des Asiatiques, etc.
4.2. La traite orientale (VIIe – XIXe siècle)
Des trafiquants musulmans s’installent et font du commerce d’esclave sur la côte orientale de l’Afrique dès le VIIIe siècle. Ils s’appuient sur les chefs locaux : les Arabo-Swahilis (souvent issus d’une union entre un Arabe et une Africaine). Les Arabo-Swahilis sont fortement influencés par la langue et la civilisation arabe. Ils ont à leur service des Africains noirs bien organisés, bien armés et généralement conduits par des esclaves africains émancipés. Par opposition aux esclaves (watumwa), les hommes libres, c’est-à-dire, les Arabo-Swahilis sont appelés « wangwana » et leur langue « kingwana » langue des hommes libres.
C’est vers 1875 que l’est du Congo (à partir du Maniema) est touché par l’expansion de la civilisation musulmane dont le berceau se situe sur le littoral de l’océan Indien et sur les îles qui lui font face (Zanzibar, Pemba, Mafia, Malinda).
À la tête de ces bandes armées, on trouve des sultans plus ou moins indépendants ainsi que des personnages hors du commun par leur fortune (fondée sur le commerce des esclaves, des minerais, des épices et de l’ivoire) ou leur culture (métisse, swahili, arabe et indienne) qui s’imposent par la force.
Le plus connu et le plus prospère de ces Arabo-Swahilis dans l’espace congolais est Tippo-Tip. Né à Zanzibar de l’union d’un Arabe venu à Zanzibar et d’une Africaine de la côte, il devient rapidement, l’homme le plus puissant de tout l’est du Congo au XIXe siècle. Son autorité s’exerce sur une zone s’étendant de la région des Grands Lacs à l’est et du cours supérieur du Congo à 300 km à l’ouest.
Le pouvoir de Tippo-Tip ne repose pas seulement sur son sens exceptionnel des affaires, mais aussi sur la force. Au début il obtient ses marchandises de luxe : esclaves et ivoire, en tissant des liens d’amitié avec les chefs locaux. Mais dès que les demandes en esclaves et en ivoire augmentent, Tippo Tip devient encore plus riche et plus puissant surtout à partir du moment où il réalise qu’il est plus rentable de piller et de brûler des villages entiers plutôt que d’acheter quelques défenses d’éléphant ou quelques esclaves.
Le chef Mwenda M’Siri Ngelengwa Shitambi, aussi appelé Msiri est un commerçant, originaire de la côte est de l’Afrique absorbe l’ancien royaume Lunda qui est fragilisé à cause des traites. De 1856 à 1891, il domine en souverain cette région riche en cuivre et contrôle les voies commerciales vers l’est. Bunkeya, la capitale de son royaume le Garanganze, sera l’un des principaux centres économiques de l’Afrique centrale durant son règne.
En plus de ces deux noms, il y avait d’autres chefs africains ou arabo-swahilis directement en lien avec le commerce d’esclaves comme Rachid aux Stanley-Falls, Kibonge à Kirundu, Mserera à Riba-Riba (l’actuel Lokandu), Mwinyi Mohara, de son vrai nom Mtagamoyo Ben Sultan Wakasire à Nyangwe, Sefu à Kasongo, Bwana N’zige à Kabambare et Rumaliza à Ujiji, d’où il contrôlait la région à l’ouest du lac Tanganyika.
Au début de l’État Indépendant du Congo (1885 – 1908), les Européens se serviront de certains de ces chefs de guerre en les nommant par exemple gouverneurs ou commissaires de district avant de s’en débarrasser quand ils n’en auront plus l’utilité.
4.3. La traite transatlantique (XVe – XIXe siècle)
Avec l’arrivée des Européens sur les côtes d’Afrique centrale au XVe siècle et la création d’un marché atlantique, un réseau commercial de longues distances s’est développé dans le centre de l’Afrique, du fait du commerce des esclaves, et de l’ivoire notamment. La traite des esclaves de l’Ouest de l’Afrique centrale vers l’Amérique du Nord était essentiellement conduite par des marchands britanniques et américains.
Tous les États de l’espace congolais ont participé d’une façon ou d’une autre à ce commerce dans lequel les Européens et leurs agents ont joué un rôle central. La traite négrière transatlantique commence dès la fin du XVe siècle pour le royaume Kongo qui doit fournir aux Portugais des esclaves à destination du Brésil.
Le royaume du Loango, au nord du royaume du Kongo, va fournir des esclaves vers l’Amérique du Nord, surtout au XVIIIe siècle. Durant le XVIIIe siècle, le commerce vers l’Amérique du Nord est concentré dans trois ports de la Côte du Loango, à savoir : Cabinda, Malemba et la Baie du Loango.
Ce sont les marchands arabo-swahilis, spécialisés dans le commerce à longue distance du cuivre et de l’ivoire, qui ont fourni des esclaves, provenant de plusieurs sources : du Nord du Gabon moderne, du Pool Malebo (Kinshasa) dans l’Est, du Royaume Kongo, et de l’Angola. Des révoltes et des résistances face à cette réduction en esclavage et cet impérialisme européen ont lieu partout en Afrique, et aussi dans l’espace congolais. Ainsi, au XVIIe siècle, Kimpa Vita va lancer une révolte dans le royaume Kongo.
Ces réseaux commerciaux ont eu une influence importante sur les structures sociales, économiques, culturelles et politiques des peuples de ces régions donnant naissance, dans la zone comprise entre le Sud de la RDC et le Nord de l’Angola, à une zone d’hybridité culturelle appelée « zone luso-africaine » dans laquelle les langues, les noms individuels, les noms des lieux, la politique (émergence de nouvelles élites politiques), la culture matérielle (objets domestiques et d’habillement, nouvelles pratiques alimentaires, objets de parure), les hiérarchies sociales (urbanisation et émergence de nouvelles professions comme celle d’interprètes) et les relations économiques (nouveaux produits d’échanges et biens de prestige) se sont influencées mutuellement.
Durant la dernière décennie du XVIIIe siècle, le fleuve Congo devient la voie principale de commerce des esclaves vers l’Amérique du Nord et l’embouchure du fleuve Congo devient presque la place la plus importante d’embarcation pour les navires britanniques et américains. Environ 22.000 esclaves sont transportés vers le Sud des Etats-Unis lorsque Boma devient l’entrepôt principal d’embarquement des esclaves.
Une fois l’abolition de la traite reconnue au niveau européen (1815), une phase illégale de traite commence. En effet, bien que la traite soit abolie, l’esclavage demeure légal, et certains continuent à pratiquer illégalement la traite négrière vers les Amériques. Quelques esclavagistes américains commencent à utiliser le fleuve Congo comme refuge pour échapper aux navires britanniques antiesclavagistes.
En 1860, soit 45 ans après son abolition par le Congrès de Vienne, la traite illégale est toujours pratiquée. Ainsi un capitaine anglais constate à son arrivée à l’embouchure du Congo, en 1860, la présence de huit navires négriers appartenant à diverses nations, qui attendent d’embarquer leurs cargaisons d’esclaves. Toutefois, la fin des années 1860 marque la fin effective de la traite négrière transatlantique.
5 ¦ Les survivances des pratiques esclavagistes au Congo
Alors que les nations européennes abolissent les unes après les autres l’esclavage à la fin du XIXe siècle, il n’en est pas de même pour les musulmans et certains Africains qui continuent à exploiter des esclaves.
L’Europe y trouve donc un prétexte pour coloniser l’Afrique afin de la libérer de l’esclavage. En 1885, Léopold II obtient le droit de régner sur l’actuel Congo en promettant, entre autres, de mettre fin à l’esclavage. Il apparait alors en Europe comme un roi philanthrope et va régner sur l’État Indépendant du Congo de 1885 à 1908. En 1889-1890, il convoque à Bruxelles la Conférence antiesclavagiste qui débouchera sur un traité signé par les puissances occidentales de l’époque qui s’engagent à mettre fin à l’esclavage.
Les agents de l’État Indépendant du Congo vont effectivement finir par mettre fin à l’esclavage dans l’espace congolais. Toutefois, bien qu’ils mettent fin à cette pratique en luttant contre les Arabo-Swahilis, notamment, ils vont mettre en place un système qui ressemble à l’esclavage. Les Congolais ne sont officiellement plus esclaves, mais restent soumis et dominés dans un système qui n’est pas plus enviable que l’esclavage.
Par exemple, dans les prisons coloniales, les prisonniers devaient porter la « cravate », c’est-à-dire, une chaîne les reliant les uns aux autres pendant la corvée, chaine chargée de les empêcher de s’enfuir.
6 ¦ La mémoire de l’esclavage au Congo
La mémoire de l’esclavage au Congo, comme dans d’autres pays d’Afrique, va se confondre avec la mémoire de la colonisation. En effet, les deux phénomènes se mêlent dans une même violence à l’égard des populations locales.
En 1994, l’UNESCO met en place au Congo, comme dans d’autres pays africains, le projet « La route de l’esclave » afin de briser les tabous autour de la traite négrière, et aider à mieux comprendre les bouleversements qu’ont entrainés ces traites négrières. En 2005, à Kinshasa, la première édition du Festival de la route de l’esclave du continent africain a eu lieu.
L’UNESCO en RDC a également rédigé un manuel « La traite négrière, l’esclavage et les violences coloniales en République démocratique du Congo » en 2011.
L’esclavage a profondément marqué le Congo comme l’Afrique, et certains comme Simon Kimbangu ou Patrice Lumumba associent l’esclavage des traites négrières avec les violences coloniales.
Plusieurs chansons rappellent non seulement le temps de la traite des esclaves, le temps colonial, mais aussi les souffrances au temps historique :
- Des chansons posent même la question de l’origine des Noirs qui ont perdu le sens et l’essence de leur dignité humaine : « Oh nakomitunaka, Nzambe nakomitunaka, poso moindo nde ewuta wapi ? » (Je me demande, Dieu, je me demande d’où vient la peau noire).
- Une chanson de marche militaire met en relation la corvée (le travail sans intérêt = le pasantela) avec la traite des esclaves :« Salongo ee salongo alinga mosala. Biso tokomi bawumbu ya pete… salongo alinga mosala, Pete abandi konyokola biso… Salongo alinga mosala » (Le travail, il faut aimer le travail…Nous sommes devenus des esclaves à force de chercher le grade…Le grade commence à nous faire souffrir…).
- Le musicien Luambo Makiadi Franco a même chanté le temps de Tippo Tippo et de la traite arabe vers le marché de Zanzibar dans sa chanson « Zando ya Tipo-Tipo».
7 ¦ Résumé
Depuis l’Antiquité, l’Afrique centrale et plus particulièrement le Congo ont connu plusieurs formes d’esclavage et de traites négrières.
Cette lourde histoire de l’esclavage, sur laquelle les Congolais se sont construits, qui a conduit à une sorte de déshumanisation et à la construction d’une image négative, mérite d’occuper une place importante dans la mémoire des Congolais.
La construction de « routes d’esclaves » à l’ouest comme à l’est du Congo pourra contribuer à entretenir durablement la mémoire du temps de l’esclavage.