VIIe – XIXe siècle
1 ¦ Objectifs de la leçon
A la fin de la leçon, l’élève doit être capable de :
- Expliquer les raisons de la traite arabe ainsi que le rôle qu’y a joué l’islam.
- Expliquer que l’esclavage ne dépend pas de la couleur de la peau, mais de la religion.
- Repérer sur une carte les différents itinéraires et les différentes régions de destination des esclaves africains lors de la traite arabe
2 ¦ Introduction
Le mot « Islam » correspond à la fois à la religion monothéiste fondée sur le Dieu appelé Allah et à la civilisation née en Arabie (région d’Asie) qui s’étend de l’espace méditerranéen au continent asiatique et de l’Afrique saharienne et soudanaise à l’océan Indien. La constitution de cette civilisation dès le VIIe siècle a entraîné une augmentation considérable des besoins en main-d’œuvre servile. La traite négrière pratiquée par les musulmans commence au VIIe siècle pour s’achever officiellement au XIXe siècle.
3 ¦ La création et l’expansion de la civilisation arabo-musulmane
Jusqu’au Ve siècle, les habitants de l’Arabie, pays en grande partie désertique, vivent essentiellement du commerce caravanier et sont animistes c’est-à-dire qu’ils considèrent que les objets et les éléments naturels possèdent un esprit. C’est vers 570 que naît Mohammed. Ayant de plus en plus d’adeptes, il sera à l’origine d’une nouvelle religion, l‘Islam. Cet événement est appelé la Révélation. À partir de ce moment, Mohammed prêche à La Mecque puis en 622, il quitte cette ville pour Yatrib où les habitants sont prêts à l’accueillir et à se convertir à la nouvelle religion. Ce déplacement du prophète est appelé l’Hégire. En 630, Mohamed décide de retourner à La Mecque et de prendre, avec ses compagnons, le contrôle de la ville à laquelle il donne le statut de capitale de l’Islam.
L’un des premiers compagnons de Mohammed s’appelle Bilal. C’est un ancien esclave noir affranchi par un proche du prophète. Les conversions à la nouvelle religion deviennent massives. À la mort de Mohammed en 632, l’Arabie est devenue majoritairement musulmane et les compagnons du prophète partent dans le monde pour répandre l’Islam, et unifier les tribus arabes afin d’en faire un grand empire capable de contrôler les voies caravanières et de dominer le commerce. Mohammed ayant interdit de réduire en esclavage des musulmans, ils vont réduire en esclavage les croyants d’autres religions, peu importe la couleur de leur peau.
Ces conquêtes arabes aboutissent à la création d’un vaste empire qui s’étend de l’océan Atlantique à l’Inde et du Maghreb à la mer Noire. L’empire donne naissance à une brillante civilisation caractérisée par une économie prospère. Les échanges s’y font tant sur terre par les pistes caravanières que sur mer où les navires chargés vont de port en port, reliant l’Asie, l’Afrique et l’Europe.
Dans l’industrie comme dans l’artisanat, les Arabes ont une avance considérable par rapport aux pays européens. Plusieurs villes qui se sont développées jouent un rôle important tant au niveau économique, politique que culturel. Les dirigeants et les riches marchands y montrent leur puissance et développent leur commerce en ayant toujours plus de personnes, dont des esclaves, à leur service.
4 ¦ Le BAQT
La traite systématique des Noirs par les musulmans arabes remonte au Baqt, quand le conquérant arabe Abdallah Ben Saïd, gouverneur d’Égypte, impose en 652 (l’an 31 du calendrier musulman) à la Nubie (territoire au sud de l’Egypte et de la Libye actuelles) de lui fournir un tribut de 360 esclaves par an. Cette coutume se maintient jusqu’ à l’arrivée, au XIIIe siècle, des Mameluks, une milice d’esclaves affranchis.
Par ailleurs, les empires soudanais occidentaux (fondés par des Soninké, des Malinké, des Bambara et des Songhaï) qui entretiennent des relations commerciales importantes avec le monde arabe se convertissent dès le XIe siècle à un Islam fortement teinté d’animisme. Au XIVe siècle, Mansa Moussa, empereur du Mali, développe la ville de Tombouctou, et au XVe siècle, sur ce territoire, alors aux mains de l’Empire Songhai, la mosquée de Sankoré devient l’une des universités islamiques les plus renommées du monde musulman.
Longtemps négligeable, le trafic des esclaves s’accélère après la conquête de l’empire Songhai par le Maroc à la fin du XVIe siècle.
Du côté ouest-africain, on raconte que les Berbères du désert, habitant les pays du Maghreb et la Libye, pratiquent systématiquement l’esclavage.
5 ¦ Les particularités de la traite arabe
Les conquêtes musulmanes, du VIIe au VIIIe siècle, sont brutales et d’une ampleur tel que le monde méditerranéen n’en avait jamais connu. Les courtiers vont acheter leurs esclaves, essentiellement des Blancs, dans des pays lointains. C’est ainsi que sur les premiers grands marchés d’esclaves au IXe et Xe siècle, sont vendus et achetés bon nombre de chrétiens européens parmi lesquels se trouve Miguel de Cervantes (1547-1616), écrivain chrétien espagnol (auteur des « aventures de Don Quichotte»). Les marchands sont juifs, chrétiens, russes ou bulgares.
De Byzance à l’Empire ottoman, de l’Europe chrétienne aux terres d’Islam, la couleur des esclaves importe peu. C’est donc pour des raisons religieuses, politiques et économiques que les Noirs africains vont être asservis comme bon nombre d’esclaves blancs.
Tous les peuples africains ne tombent pas dans l’esclavage sans résister. Ainsi les Zandj, en Irak, se révoltent plusieurs fois entre le 7e et le 19e siècle et vont même dominer une partie de l’Irak. Soundiata Keita, fondateur de l’Empire du Mali, aurait proclamé dès 1222, la charte du Manden, ouvertement antiesclavagiste et considérée comme l’une des premières Déclarations des droits de l’homme.
5.1. Les types d’esclaves
Dans les pays musulmans, les esclaves noirs occupent quatre fonctions : domestiques, militaires, travailleurs agricoles et eunuques.
Depuis le 9e siècle, l’esclavage agricole est fort répandu. On utilise déjà des esclaves dans les plantations de canne à sucre et dans les cultures du coton en Haute-Égypte et à Zanzibar.
Le commerce des eunuques noirs à destination du Maghreb, du Caire, d’Alexandrie et de Constantinople connait, au 10e siècle, une grande période de prospérité. On les importe en même temps que l’ivoire, l’ébène et la poussière d’or du Soudan. Pour répondre à la demande croissante d’eunuques, 100 à 200 garçons sont castrés chaque année à Abotig, sur la route des caravanes reliant le Soudan à l’Egypte. Cela signifie qu’on les ampute complètement de leurs organes sexuels masculins. Très tôt, l’Ethiopie devient le plus grand fournisseur d’eunuques. Ceux-ci sont souvent placés dans des postes de l’administration, et dans les palais royaux. D’autres sont gardiens des femmes du harem ou serviteurs et gardiens dans les mosquées comme celle de Médine.
5.2. Les marchands d’esclaves
Dans les grandes villes des États esclavagistes, les hommes des riches familles et des clans puissants ont plusieurs activités et font ainsi fortune grâce au commerce de l’or, des esclaves, mais également des épices et des soieries. Ces hommes d’Arabie, de Hedjaz, du Yémen, d’Oman, de Bassora et de Bagdad, ne se lancent pas eux-mêmes dans la chasse aux esclaves. Ils font appel à des courtiers et des chasseurs d’esclaves chargés d’attraper puis de transporter les captifs sur les nombreuses pistes caravanières vers leurs comptoirs et leurs entrepôts.
Par ailleurs, les populations au sud du Sahara s’affrontent souvent entre États, tribus ou ethnies et demandent à leurs guerriers d’attaquer et de razzier les villages voisins afin d’emporter du butin et du bétail humain. Une partie des esclaves est vendue à l’étranger, mais un grand nombre d’esclaves razziés dans les villages ne quittent pas les pays d’exportation où les souverains les gardent pour leurs services de la cour, pour leurs armées ou pour les travaux des champs.
Les régions d’Afrique orientale font face à l’arrivée de vagues de premiers immigrants, fugitifs ou exilés, venus de plusieurs pays du monde musulman qui s’établissent sur les côtes africaines avec des connexions vers l’arrière-pays, notamment vers le bassin du Congo.
5.3. Le prix des esclaves
Les marchands se servent rarement de monnaies métalliques pour payer les esclaves, ils recourent plutôt au troc. Chaque esclave, homme, femme ou enfant est évalué selon son âge, son aspect et ses qualités supposées. Il est ensuite proposé à la vente contre un poids plus ou moins élevé de produits ou un certain nombre d’objets (perles, poudre d’or, cauris, etc.).
Les Africains qui font la chasse aux esclaves pour le compte des marchés musulmans recherchent surtout des jeunes filles et des jeunes femmes qui atteignent de plus hauts prix que les hommes. Entre 1760 et 1769, le prix des esclaves de sexe féminin dépasse de 174% celui des hommes.
6 ¦ Les routes des caravanes
Les esclaves étaient déportés vers :
- l’Europe à travers le Sahara,
- le Proche Orient à travers la mer Rouge et
- l’Asie centrale et l’Inde à travers l’océan Indien.
Un réseau très complexe de pistes, qui partent de territoires plus ou moins éloignés, mène les esclaves vers les comptoirs. Le voyage dure deux à trois mois et constitue une épreuve terrible. On estime que pour un esclave qui arrive à destination, cinq à dix esclaves succombent sur la route à cause de la brûlure du soleil, du froid glacial de la nuit, des tortures, de la soif, de la faim, des maladies et de l’épuisement physique dû aux marches épuisantes qui leur sont imposées.
7 ¦ Les conséquences de la traite dans le monde musulman et en Afrique
7.1. Sur le plan économique
La traite négrière constitue un enjeu économique dans lequel les vendeurs, les courtiers et les acheteurs gagnent beaucoup d’argent.
Les marchands d’esclaves musulmans qui s’aventurent à l’intérieur du continent prennent de grands risques en ramenant des esclaves qu’ils négocient à prix d’or. On assiste ainsi au développement de plusieurs villes spécialisées dans les marchés d’esclaves aussi bien sur les routes des caravanes que dans les régions de déportation comme Zanzibar (définition).
Il n’est pas rare de voir des Noirs, habitant l’arrière-pays immédiat, venir vendre, en même temps que leurs récoltes, leurs propres esclaves aux trafiquants des comptoirs.
7.2. Sur le plan démographique
On estime que le nombre d’esclaves africains acheminés par les routes transsahariennes, la route de la Mer et les routes de l’Océan Indien tourne autour de :
4.820.000 esclaves entre les années 650 et 1000 et
2.400.000 esclaves dans la période allant de 800 à 1600,
soit environ 7.220.000 esclaves.
Par ailleurs, l’Arabie, la Perse et l’Inde importent :
25.000 esclaves entre 1800 et 1829,
35.000 esclaves entre 1830 et 1839,
40.000 esclaves entre 1840 et 1849
65.000 esclaves entre 1850 et 1859.
Si l’on considère le taux de mortalité de 9%, l’addition de ces derniers chiffres passe de 390.200 esclaves à 424.000 esclaves.
7.3. Sur le plan politique et social
Aussi bien dans les régions de départ que dans les régions de destination, la traite a eu un impact sur les structures politiques. De nouvelles cités ont été créées comme celle de Tahert (près de l’actuelle Tiaret en Algérie).
La traite a également fragilisé et bouleversé certaines structures étatiques anciennes et créé de nouveaux états et de nouvelles hiérarchies politiques et sociales, se présentant comme contre-pouvoir issu de la violence militaire et du commerce des esclaves.
Certains Africains ont profité du commerce des esclaves pour ériger des entités politiques fortes. C’est le cas des sultans esclavagistes du Soudan central et oriental qui pénètrent à l’intérieur du continent, en y semant la dévastation comme Mirambo (1840-1884) le grand chef de guerre Nyamwezi près du Lac Victoria au Kenya, rayonnant à partir de Khartoum, Msiri (1830 – 1888) au Katanga et Tippo Tip (1837 – 1905) dans la Province Orientale du Congo.
D’autres Africains, par contre, comme Ahmed Baba (1556- 1627) au Mali, s’oppose à l’esclavage et à la déshumanisation de l’esclave.
Enfin, la traite en bouleversant les structures africaines a ouvert la voie à une conquête facile de l’Afrique au XIXe siècle.
8 ¦ Résumé
Au cours de cette leçon, nous avons appris que :
- Le trafic des esclaves noirs d’Afrique vers les régions conquises par l’expansion de l’empire musulman, du 7e au 19e siècle, est fondé, non pas sur des motifs raciaux, mais plutôt sur des motivations économiques. Les musulmans ont besoin de plus en plus de main d’œuvre au fur et à mesure que leur empire augmente, et ils n’ont pas le droit de réduire en esclavage des musulmans. Donc, ils se servent dans les territoires limitrophes, principalement en Afrique, mais aussi en Europe.
- Les esclaves sont utilisés comme domestiques, mais aussi comme soldats, travailleurs agricoles ou eunuques. Les femmes sont souvent exploitées sexuellement.Les esclaves noirs sont déportés vers l’Europe à travers le Sahara, vers le Proche Orient à travers la mer Rouge et vers l’Asie centrale et l’Inde à travers l’océan Indien.
- Les conséquences de cette traite sont nombreuses pour l’Afrique : dépeuplement des régions de capture, bouleversements des structures politiques et sociales et instauration d’une terreur permanente.