L’Afrique contemporaine est orpheline de visionnaires …
Qui prendra en compte le dessein unitaire de l’Afrique ?
Quel État jouera le rôle de catalyseur ? (Edem Kodjo)
Plusieurs démarches sont possibles au terme de cette étude. Faut-il résumer ce long itinéraire pour aider le lecteur à en retenir les étapes essentielles ? Ou faut-il approfondir certains épisodes, choisis en fonction de leur impact sur le quotidien et de leur implication dans l’invention du futur ?
Toutes ces préoccupations sont assurément dignes d’intérêt. Mais pour l’acteur historique congolais, celui pour qui l’histoire du Congo, loin d’être un simple champ d’études, représente les touches mêmes de son existence, il est une question pressante qui prime toutes les autres par son caractère existentiel. Quel est l’avenir possible de ce Congo qui, après avoir été ballotté par tant de vicissitudes, voit le siècle s’achever sur la promesse d’une nouvelle mutation ?
Il est donc important, au terme de cette lecture, de se tourner avant tout vers l’avenir pour le questionner. La chance du futur, c’est qu’il succède au présent, et donc au passé. Les nombreux siècles d’histoire parcourus dans ces pages doivent impérativement avoir inscrit une contribution de taille à l’édification de l’avenir. Certes, il existe plusieurs scénarios du futur. Et dans l’optique nationale, l’enjeu consiste, non pas à se complaire dans l’étalement de l’éventail de possibilités auxquelles peut aboutir ce Congo au terme de son dernier parcours, mais surtout à indiquer des voies nouvelles à explorer pour que la société connaisse de nouvelles avancées dans la marche vers son destin. De la traite des esclaves à la colonisation « exemplaire », de « la crise congolaise » au « mal zaïrois », la conscience de la trajectoire parcourue est nécessairement une chance à portée de la main pour éviter que le devenir ne puisse être victime de l’impérialisme de ce passé. En cela l’histoire est une truelle disponible, pour celui qui veut la saisir, pour construire l’édifice de l’avenir.
Construire le Congo de demain ! C’est que, entre le fatalisme nourri de l’afro- pessimisme et l’enthousiasme bon enfant, il faut opter pour une vision objective des réalités, par la volonté d’aller de l’avant. Apparemment, pour le peuple congolais, la première pierre d’achoppement se situe à ce niveau. Car le venin du découragement et du défaitisme demande un antidote puissant. Reconnaissons que ce combat moral est dur pour peu qu’on jette un regard même superficiel sur le Congo d’aujourd’hui. Que constate-t-on ? La patrie de Lumumba offre aujourd’hui le spectacle d’un pays sinistré, malgré les richesses naturelles nombreuses et diversifiées qu’on lui reconnaît. Le contraste est immense et, pour tout dire, inadmissible parce que injustifiable. Et ce peuple, malgré sa grande ingéniosité à inventer de nouvelles recettes pour atténuer les effets de la crise, se sent aujourd’hui désemparé. Dès lors, comment ne pas se livrer, pieds et poings liés, au mysticisme, comme on l’a noté, surtout que celui-ci a la prétention d’interpréter globalement les signes du temps ! Les faits vécus ne seraient, selon lui, que la manifestation de l’arrivée de la fin des temps. On en serait aux « derniers jours » prédits. Certains prophètes évoquent plutôt la malédiction de l’Eternel ; d’autres encore font état des conséquences de l’incapacité congénitale de l’homme congolais, illustrée par sa sensibilité irrésistible pour la musique et la danse, son goût effréné pour le gaspillage et sa capacité inouïe de démolir [1].
Le « mal zaïrois », c’était peut-être d’abord cette mentalité, prompte à se sous- estimer ou à se surestimer et qui souffre de cécité dans l’appréciation correcte de la situation et des possibilités à sa portée. Il est symptomatique que, dans les compétitions sportives interafricaines, voire internationales, le Congo contemporain n’occupe que des positions extrêmes : soit que son enthousiasme l’amène à briller de mille feux soit, dans le cas inverse, que le découragement l’entraîne à un échec cuisant, surprenant si l’on tient compte de ses potentialités.
1. HISTOIRE REVUE ET HISTOIRE EN DEVENIR
Qu’est-ce que le Congo actuellement en crise peut tirer de son expérience du passé ? L’exploration qui vient de s’effectuer dans les galeries de ce passé démontre – à l’avantage de la conscience nationale – que cette jeune nation, indépendante depuis trois décennies seulement, abrite en réalité un vieux peuple, pétri par plus de mille ans d’histoire, une histoire profonde dont les racines remontent pratiquement dans la nuit des temps. Avec un soubassement aussi profond, le Congo est promis en principe à une longue destinée ; il est susceptible de brasser des siècles de mutation sans perdre pour autant de son destin. Quelle expérience sociale n’a pas été accumulée depuis le commencement ! Une expérience consolidée par des siècles de vie commune, sur base d’une distribution toujours renouvelée des hommes, des biens et des idées. Les migrations de naguère furent relayées par l’essaimage de la main- d’œuvre à l’âge colonial, puis par les pérégrinations des citoyens d’aujourd’hui. La communauté n’a cessé de s’organiser au mieux, de l’ère clanique à l’organisation contemporaine, en passant par l’ère ethnique, les chefferies, les royaumes et les ensembles socio-économiques.
Ces espaces d’essence locale furent bientôt en crise, au contact des visiteurs étrangers et sous les assauts de leur influence et de leur action déstabilisatrice. L’avènement d’un nouvel ordre social s’annonça donc sous le signe de l’influence commerciale, où les produits importés venaient enrichir les étalages locaux. De cette manière et à partir de ce contact, une succession de révolutions purent se préparer et se produire. En effet, grâce à cette dynamique, l’espace congolais se retrouva au confluent de plusieurs courants commerciaux et de cultures d’origine portugaise, hollandaise, arabe, britannique et autres. Il fut entraîné, en définitive, dans le sillage d’une colonisation classique. Longtemps, le colonisateur revêtit une physionomie composite avant de s’affirmer comme belge. On a vu comment le Congo tira profit de cette gestion belge pour consolider son identité moderne, sur les plans économique, social et culturel. Quand, après ce cap, on aboutit à l’émergence de la nouvelle société congolaise, moderne et indépendante, l’âge postcolonial, en trente ans, accumula de nombreuses péripéties faites de révoltes, de sécessions, d’ingérence étrangère, de guerres, de complots et de répressions brutales.
Pourtant, au-delà de ces malheurs, son itinéraire, vu de l’intérieur, fut marqué en permanence par quelques préoccupations majeures, entre autres la volonté de rester uni envers et contre tout, le souci d’accéder à une véritable indépendance et enfin, l’exigence de se développer suivant ses « voies » propres.
L’impératif de l’unité fut au programme dès l’aube de l’indépendance ; il fut réaffirmé au beau milieu de la crise de la décolonisation, par la volonté commune de mettre un terme à l’imbroglio né de la crise constitutionnelle de septembre 60 ; ensuite, il fut porté par les combats des nationalistes et servit de leitmotiv aux actions de la période mobutienne. L’unité, cet héritage légué par 1 État léopoldien, était à ce point revendiquée par le Congo indépendant que toute velléité de régionalisation passait pour être suspecte. On comprend dès lors que cette tendance ait donné lieu à certains excès qui ont appelé des corrections nécessaires à la CNS.
La quête de l’indépendance a connu également toute une histoire depuis la revendication des évolués jusqu’à la philosophie indépendantiste développée par Mobutu, en passant par l’autonomie politique conquise en 1960 et la recherche de la « deuxième » indépendance des nationalistes qui servit de prétexte au déclenchement des guerres civiles. Cette quête subsiste, dès lors que 1 extraversion continue à être dénoncée avec vigueur de nos jours, particulièrement dans le secteur économique.
Quant à la vision qui prévaut au Congo sur son propre développement, elle n’a jamais hésité à s’écarter des sentiers battus, comme on l’a noté, sans que l’inédit fasse l’objet d’un culte pour autant. Les particularités géographiques et historiques ont toujours régi une telle option ; celle-ci s’est inscrite, tout naturellement aussi, au rang des conditions qui ont marqué son accession à la modernité. Les Congolais n’ont fait qu’en prendre conscience et tenter de l’assumer en recourant à une série d’initiatives. La période mobutienne eut l’ambition de planifier l’avenir sur cette base mais ce programme s’est avéré fort laborieux. La difficulté inhérente à l’exécution de tout projet de société ambitieux, l’inexpérience et surtout les erreurs d’appréciation commises au départ et qui laissèrent le champ libre aux excès de tout genre sont autant de raisons objectives, ajoutées à la conjoncture économique peu généreuse, qui expliquent l’étouffement à la base de tant d’initiatives positives. Seule, une pratique démocratique bien comprise aurait pu permettre de contourner ces difficultés dans la mesure où elle aurait mobilisé l’imagination créatrice de tous pour combattre ces écueils. A cause de cette absence de concertation, l’offensive cependant plus générale qui mettait fin à la crise économique s’est déclenchée à qui mieux mieux, avec l’apparition d’un clivage net entre les efforts gouvernementaux et ceux du peuple. Tant d’initiatives semblent ainsi avoir échoué mais elles ont produit une expérience faite de réalisme, de lucidité et de patience, qui comptera à l’avenir. Il faut s’interroger sur les causes profondes d’une issue aussi catastrophique.
D’abord, si la colonisation a été possible, c’est que l’héritage des ancêtres avait ses failles et ses déficiences. L’une de celles-ci paraît découler des mentalités façonnées par le mode de production qui avait cours avant l’influence des Blancs. En effet, la générosité de l’environnement où la nourriture ne demandait qu’à être cueillie, qu’elle soit végétale, carnée ou piscicole, semble avoir accrédité un état d’esprit de prédateur qui a subsisté jusqu’au-delà de la colonisation. Dès lors le Congolais demeure peu disposé à la prévoyance, et donc à la planification. Toute énergie disponible n’est mobilisable qu’autour de l’instant présent ; celle-ci est aussitôt diluée dès qu’on s’efforce de l’étaler sur les périodes subséquentes.
Ensuite, la « longue durée » qui a caractérisé l’itinéraire historique précolonial s’est commuée en un état d’esprit. Celui-ci se manifeste, entre autres, par l’attitude de patience tranquille qui frise par moment la résignation et qui dissimule mal une certaine dose de méfiance à l’égard de tout projet de rupture avec cette évolution linéaire. Tout semble voué, hormis l’influence extérieure, à une existence séculaire, à l’image de la « longue durée » de la vie traditionnelle. C’est ainsi qu’après plus d’un siècle d’organisation en Etat-nation, la tribu demeure l’espace qui sécurise et au sein duquel s’élaborent des stratégies pour la survie ou pour un meilleur positionnement social. Il n’est donc pas impensable que le tribalisme, plus encore que l’ethnicisme, ait une longue carrière devant lui.
Puisqu’il est question de l’État-nation, reconnaissons que l’instauration de l’Etat, sous sa forme moderne, constitue le plus grand acquis de l’épisode colonial de l’itinéraire congolais. Elle se réalisa par la mise en commun des « empires coloniaux » préexistants grâce à l’initiative et au dynamisme de la diplomatie léopoldienne. Mais ces « empires » ne furent eux-mêmes que des superstructures coiffant un éventail de réseaux d’organisation politique, sociale et culturelle. Or ces éléments ne furent guère pris en compte. Ce comportement qui fut la grande chance de la colonisation belge, dissimulait quelques pièges pour l’avenir. En effet, s’il permit de bâtir aisément l’unité du pays, celle-ci devait compter avec la contestation de ces espaces internes plus restreints.
Comme produit colonial belge, le Congo ne fit guère partie d’un empire colonial plus vaste [2]. Cette particularité contribua à sa marginalisation par rapport aux États issus des anciens empires coloniaux français, anglais ou portugais. Il porte aujourd’hui encore l’empreinte de cet isolement. Rien que sa taille en est une illustration. C’est que l’empire colonial belge a enjambé le cap des indépendances sans subir le virus de la balkanisation qui fut introduit insidieusement ailleurs. En effet. l’Afrique Equatoriale Française (AEF), s’est découpée en plusieurs États indépendants (Congo/Brazza, Gabon, Tchad, Centrafrique) ; la Communauté d’Afrique Orientale accéda à l’indépendance sous forme de trois républiques (Ouganda, Kenya, Tanganyka) auxquelles s’ajoutait le sultanat de Zanzibar ; quant à la Fédération de l’Afrique Centrale anglaise, elle produisit en disparaissant trois pays distincts : la Zambie (anciennement Rhodésie du Nord), le Zimbabwe (Rhodésie du Sud) et le Malawi (Nyassaland). Curieux comportement pour les anciennes puissances coloniales qui ont cautionné, voire encouragé l’émiettement politique de leurs anciennes possessions d’Afrique, à l’époque même où elles faisaient leur profession de foi en la nécessité impérieuse d’unifier l’Europe [3].
Une des conséquences de cette disposition, c’est que le Congo belge, la future République démocratique du Congo, apprit trop bien à se considérer à partir du regard belge. On constate en effet que les Congolais, dans leurs comportements d’indépendants, ont souvent reproduit, sans doute sans le savoir, des clichés coloniaux. La colonisation a-t-elle réussi à ce point ? L’extraversion, comme on l’a noté à plusieurs reprises, a été et demeure une donnée avec laquelle il faut compter et parfois jusque dans les détails. Si le Congo contemporain a trop conscience d’être un sous-continent, c’est qu’il s’observe encore au départ de la Belgique où il représentait quatre-vingts fois la surface « nationale » et quatre fois celle de la France. Par rapport à d’autres entités nationales, le Brésil ou les U.S.A., ou même à partir du Soudan, de l’Angola ou de l’Algérie, il n’a pas une surface exceptionnellement étendue et ne peut dès lors se prévaloir d’être un sous-continent. Qu’il soit habité par des centaines d’ethnies, ce fait est considéré a priori comme une tare et non comme une richesse potentielle par la diversité des cultures en présence. De la Belgique, on retint aussi la leçon suivant laquelle le pays était immensément riche car il constituait un « scandale géologique ». L’expression a de quoi surprendre ! Elle faisait allusion aux gisements miniers, multiples et diversifiés à l’époque où les minerais constituaient la plus grande richesse qui soit : cuivre, cobalt, diamant, or etc., sans oublier l’uranium. Dans la mesure où la colonisation minimisa l’agriculture au profit de l’exploitation minière, le caractère « scandaleux » des potentialités agricoles fut moins bien perçu, à telle enseigne que, après l’indépendance, tout en scandant des slogans pour la promotion de l’agriculture, le Congolais allait continuer à minimiser cette activité.
La gestion de trente ans d’indépendance n’a pu extraire cette vision de la mentalité nationale. La lecture critique des innovations mobutiennes a démontré que la politique de l’authenticité, sous les assauts de la crise économique, a conduit plus sûrement encore à une reprise en charge des recettes coloniales. Les analogies existantes touchent même les domaines les plus inattendus, depuis la simple symbolique, royale et présidentielle, jusqu’aux options économiques en passant par les choix politiques. La centralisation coloniale, on l’a vu, a conduit à la méfiance systématique voire épidermique à l’égard de tout mouvement de décentralisation, quand bien même il ne serait qu’une simple déconcentration. De même, lorsque le régime de l’authenticité s’efforcera, avec la politique de zaïrianisation, de créer de toute pièce une bourgeoisie nationale censée capitaliser des richesses à réinvestir au pays au profit de son développement, il recrutera les candidats à cette bourgeoisie. Il s’agit de ceux qui furent qualifiés d’acquéreurs ou, plus récemment, de « dinosaures ». De là, on retrouva le rapport « incestueux » de la période léopoldienne, entre les fonctionnaires de l’État et les cadres des entreprises publiques. L’État se plut à envoyer ses agents « en retraite » dans les entreprises publiques et ces dernières ne cessèrent de jouir de la complicité d’agents de l’État, à l’idée de ne pas compromettre plus tard leur insertion dans ces structures.
Malgré ces vicissitudes, un État moderne a pris corps et confirme, à n’en point douter, que sa prétention au développement est une ambition légitime et réaliste étant donné ses ressources et surtout sa population. Le statut démographique du Congo impressionne, en effet, à la fois par son importance et par sa morphologie qui charrie la plus grande diversité de la région. On comprend que le Congo soit devenu la patrie idéale des réfugiés. Qu’ils soient d’origine soudanaise, angolaise, rwandaise ou burundaise, tous se trouvent en sécurité dans la foule diversifiée des Congolais. Ce peuple, par ailleurs, a démontré son dynamisme en s’imposant comme sujet de l’histoire, même dans des circonstances où l’on aurait craint qu’il n’en devienne qu’objet. Pendant la colonisation, son sens d’initiative l’a conduit, sans qu’il en soit conscient, à jouer tour à tour le rôle de bateau à quoi on assigne une direction en haute mer et celui de la tempête qui oblige l’équipage à corriger constamment la direction de ce bateau. Par ses initiatives de révoltes militaires puis messianiques et par ses revendications nationalistes, la colonie a bouleversé constamment le cours normal de sa colonisation.
Si l’enseignement est le plus beau fleuron de l’évolution moderne du pays, de la période coloniale à nos jours, on ne peut s’empêcher de s’interroger si cette élite a été à la hauteur de sa tâche, si elle a mesuré l’enjeu de sa responsabilité et si elle a été capable de baliser les pistes de l’avenir. Il existe à ce propos un réel malaise. Pendant le régime du MPR, ce malaise s’exprimait à propos des cadres fustigés à souhait à cause de leurs comportements peu prophétiques. Dans un de ses discours académiques à la fin de la décennie 60, le recteur de l’université Lovanium. Mgr Tshibangu s’interrogeait déjà en ces termes :
Dans notre pays, qui fait l’effort d’intégration réelle de ces exigences, accordée au fait actuel, à la situation réelle que nous vivons en ce moment- ci ? Où sont nos écrivains, nos artistes authentiques qui nous décrivent valablement l’image de notre société non seulement en surface mais en profondeur avec une critique pertinente ? Où sont nos penseurs, nos sociologues, nos philosophes, économistes, théologiens, psychologues, critiques de science etc. qui portent leur regard sur les différents aspects de notre vie d’aujourd’hui et en tirent une lumière, répondent à nos investigations et nous indiquent les voies pour nous réaliser authentiquement ? Il est temps que de tels représentants de la société se produisent pour que nous ne soyons pas perpétuellement des suiveurs et que d’autres continuent à penser et à assurer notre société pour nous.
L’enjeu actuel semble se situer encore à ce niveau. Si l’art a réalisé des avancées sensibles dans l’effort de prise en charge des réalités existentielles, la pensée congolaise ne semble pas encore avoir atteint des performances similaires. Cela tient sans doute à la fois à sa morphologie et au contexte dans lequel elle a dû évoluer. La formation belge a développé davantage l’esprit d’ingénieur, peu spéculatif et surtout pratique. Avec un tel bagage, il s’est avéré difficile pour cette classe de lettrés de se lancer dans des constructions qui s’offrent l’entière liberté de mouvement dans l’espace spéculatif. Des efforts concrets existent dans ce sens mais il reste à apprendre, pour une large part, à cibler les réalités du pays. Mobutu a eu à ce sujet une idée lumineuse quand il a fait remarquer que « de tout temps, les grandes découvertes même dans le domaine des sciences exactes, ont toujours été l’œuvre des savants qui avaient le mieux maîtrisé leur environnement culturel » (Authenticité, 1982 : 58). Le premier handicap à l’éclosion de la pensée congolaise tient donc à ces multiples facteurs d’origine coloniale.
Le second handicap fut d’ordre politique. La gestion du MPR ayant prôné la vision unidimensionnelle, elle n’a pas favorisé le déploiement de l’inventivité et de la créativité, surtout que le développement des structures universitaires et de la recherche scientifique fut mis à dure épreuve par la crise économique. Le Congo semble avoir continué à être un grand réservoir de matières premières, y compris de « matière première » intellectuelle, insuffisamment mises en valeur. Seule la puissance de la pensée aurait été capable de les rentabiliser davantage. Cela revient à dire que de « scandale » géologique et agricole qu’il est par ses ressources minières et ses potentialités agricoles, le Congo doit encore s’efforcer de devenir un « scandale métaphysique ». Seul ce dernier « scandale » est en mesure de rentabiliser les autres comme toute autre ressource naturelle du pays. Dans cette optique, nous croyons que la démocratie, qui est l’objet aujourd’hui d’une revendication empressée, pourra se révéler d’un apport appréciable – si elle est prise au sérieux – parce qu’elle libère l’inventivité du peuple. Cet esprit, qui s’exerce déjà de manière spectaculaire dans le domaine de l’artisanat et du commerce, pourrait dépasser ses limites actuelles et affecter, de proche en proche, tous les domaines vitaux de la société, y compris le domaine politique. C’est à cette quête que devraient s’investir tous les efforts du présent.
Comme produit d’une histoire particulière, le Congo d’aujourd’hui apparaît comme le résultat de plusieurs combats engagés mais dont aucun n’a pu encore aboutir. Cette aspiration semble reflétée par l’existence d’une accumulation de contradictions entre les discours et les pratiques, entre l’être et le paraître. Kamitatu en son temps, dans sa Grande mystification du Congo-Kinshasa, avait dénoncé ce fait, appelant en renfort des exemples concrets où la contradiction était flagrante (1971 : 217-272). Ngoma Ngabu, à la tribune de la 5e session du CIAF, donna une illustration du sous-développement à partir des mêmes attitudes tirées des pratiques et des discours locaux. Cette attitude résulterait-elle de la méconnaissance de la distance qui sépare tout projet de sa réalisation ou serait-elle une simple réminiscence de la civilisation orale qui considère l’éloquence comme une certaine forme de l’action ? Quoi qu’il en soit, il faut noter le caractère inachevé de ce qui est entrepris depuis trois décennies.
La première entreprise qui fut à l’ordre du jour dès juin 60 fut celle de la décolonisation. Vers les années 80, les slogans du MPR déjà cités faisaient le bilan de cette action de longue haleine en estimant triomphalement qu’en fait d’indépendance, on était déjà indépendants politiquement et culturellement et que sur le plan économique, on le devenait !
Hélas ! cette analyse ne semble pas confirmée par les faits. Certes le combat des pères de l’indépendance a eu l’effet réel de vaincre l’inertie et d’amorcer le processus de décolonisation en prenant en main la direction des affaires politiques. En dépit des écueils, ces pionniers ont été capables, à travers les méandres de la « guerre froide », de garder intact l’idéal indépendantiste et de sauvegarder l’existence de l’État en éteignant l’un après l’autre tous les foyers de sécession. Puis vint le combat des révolutionnaires mulélistes qui permit d’aller plus loin par la démystification de l’indépendance « nominale » et la quête d’une « seconde indépendance », plus exigeante et plus volontariste, et refusant de servir de simple relais aux intérêts étrangers et impérialistes. A son tour, l’ère mobutienne a semblé inscrire une autre contribution à cette quête, par son ambition de mettre en place un mode d’organisation qui fut une manière de renouer avec l’expérience politique précoloniale et de ramener l’apport colonial à de justes proportions.
Cependant, on se rend compte aujourd’hui que même la décolonisation politique n’a jamais été totalement acquise. Malgré son originalité apparente, le système congolais apparaît, en cette période de transition, comme ayant été également une dictature classique dont la vulnérabilité fait surface, aussitôt qu’elle est lâchée du dehors. L’armée qui se disait monolithique, garante de l’unité et rompue à la discipline, pourrait se lézarder en plusieurs fractions. C’est donc une méprise grave qui semble fonder la vulnérabilité de la société congolaise. Trop sûre d’être indépendante, elle n’a pourtant pas encore acquis la maîtrise de cet instrument de gestion qu’est l’État moderne.
Au demeurant l’extraversion politique paraît avoir des racines insoupçonnées, à en juger par l’articulation des grandes mutations connues au cours de cette période. En effet, l’indépendance des années 60 comme la mise en place de la dictature bénéficièrent de solides coups de pouce extérieurs. La démocratie naissante semble être, sous certains aspects, un phénomène similaire commandé de l’extérieur : il s’exécute méthodiquement malgré des dérapages et des accidents de parcours qui sont autant de preuves de la résistance des régimes dictatoriaux qui luttent pour survivre, bien que leur cause soit apparemment entendue.
Ayant évolué de l’indépendance-cadeau à la démocratie-cadeau, le Congo risque, s’il ne s’en tenait qu’à cela, de tourner à vide à l’instar de bien d’autres pays d’Afrique noire. Il n’est donc pas surprenant que le développement socio-économique, ciblé comme l’un des objectifs majeurs de l’autonomie politique, ait accumulé nombre de contradictions qui laissent le champ en friche encore de nos jours. Pourtant, que d’atouts inventoriés ! Que de prédictions encourageantes qui ont conduit à des déceptions ! En 1960, un économiste sérieux de la trempe de W.W. Rostow estimait que Je Congo d’alors était au seuil du «Take off» et que son démarrage économique était pour bientôt [4]. La prédiction n’a pu être réalisée. Le résultat est là, implacable. La colonisation belge, qui fut une réussite économique, paraît avoir été incapable, pour avoir minimisé la dimension métaphysique, de pérenniser ses performances. On s’est contenté de jouir du fruit de l’exploitation économique coloniale sans communier à la sève qui a rendu ce système possible et qui était pourtant capable de conduire à d’autres types de fécondation. A examiner notre histoire postcoloniale, il y a un seuil d’indépendance auquel toutes les politiques nationalistes qui se sont succédé n’ont jamais pu accéder. Les choix économiques « authentiques » ne furent qu’une manière d’entériner les options préexistantes, en les assumant désormais, et en allant jusqu’à amplifier ce qui aurait pu être décelé comme étant des erreurs. Ainsi la « prédation » des matières premières demeura le principe économique majeur ; elle a eu pour conséquence de continuer à marginaliser d’autres types de choix. Le commerce des matières premières prit le risque, à partir des années 70, de se spécialiser presque exclusivement dans le cuivre au détriment d’autres produits. L’agriculture vivrière continua d’être négligée malgré la pertinence des slogans élaborés par les politiques nationalistes. La politique dite de grands travaux, qu’on considère volontiers de nos jours comme autant de folies de grandeur de la période mobutienne, constituait par ailleurs une illustration de l’extraversion économique demeurée permanente. Sans cette dépendance, on ne peut comprendre pourquoi il fallait élever à tout prix des « éléphants blancs ». Pierre Péan I explique (1988 : 11-12). Tout est parti des pétrodollars accumulés dans les banques occidentales au lendemain du boum pétrolier. Il fallait trouver une manière de rentabiliser ces immenses masses monétaires. On pensa pousser les dirigeants des pays du sud à emprunter. Pour ce faire, il fallait leur « vendre » des projets gigantesques et des Usines « clé en main » qui nécessitaient de gros emprunts puisque les crédits bancaires étaient disponibles. Dans ce cadre, le Congo fut particulièrement sollicité, à la fois à cause du profil de son chef dont l’orgueil pouvait être flatté et à cause de l’envergure du pays qui passait pour être à priori solvable et donc, crédible à cause de ses nombreuses richesses naturelles. Ainsi les projets s’accumulèrent, de la ligne de haute tension Inga-Shaba au pont Maréchal Mobutu, en passant par le barrage d’inga, l’Usine de Maluku, sans oublier des grandes constructions de la Fikin, de la Nsele, de la Voix du Zaïre, du CCIZ et surtout de Gbadolite.
Une manière d’entamer le combat pour l’indépendance économique aurait pu être de régler le « contentieux belgo-congolais », où le Congo aurait pu récupérer de l’argent frais qui aurait pu être injecté dans ce programme de développement économique. L’ancienne colonie belge bénéficie dans ce domaine d’un atout qui ne se trouve pas dans d’autres cas de décolonisation. On se rappellera que dès l’EIC, les souverains et dirigeants belges ont tenu à ce que les comptes de la colonie soient distincts de ceux de la métropole. Il est curieux qu’une gestion coloniale si autonome ait abouti à une indépendance sans couverture financière. Les règlements du « contentieux » en 1964 et 1966 furent unilatéraux en l’absence de partenaires congolais compétents et avertis. Seules les tentatives de 1989 avaient des chances d’aboutir à des arrangements équitables, puisqu’elles se déroulaient entre partenaires d’égale compétence. Mais ces échanges furent arrêtés brusquement, voire brutalement, les politiques craignant de perdre leur mainmise sur un débat qui tendait à leur échapper [5]. La vie économique ne put bénéficier de cet apport qu’elle est en droit d’attendre depuis la table ronde économique de 1960.
Mais rien n’est compromis pour autant. L’itinéraire du Congo postcolonial aura le mérite de faire prendre conscience que l’indépendance était en réalité un processus et non un état événementiel, et que celle-ci connaissait une progression à chaque étape de croissance du sens de responsabilité des acteurs historiques. La démocratisation est, à l’évidence, l’un de ces moments. Sa quête si laborieuse est d’importance capitale car, au-delà du simple éveil politique, elle conduit au tout dernier combat de la décolonisation. En effet, comme forme de libération des capacités de création, elle représente finalement ce qui manquait à la décolonisation et à l’authenticité zaïroise pour être pleinement fécondes, loin des contraintes de l’histoire et de l’opportunisme politique.
Certes, la mutation démocratique s’est ouverte sous le signe de la violence, une violence provoquée par des combats d’arrière-garde d’un régime en décomposition, mais suscitée également par la rigueur des choix fondamentaux auxquels la nation se trouve acculée. Quel mode de gestion de l’espace national promouvoir ? Quelles stratégies mettre en place pour emprunter des raccourcis qui mènent droit au développement ? Le climat général de désordre social contribue à assombrir encore un horizon toujours nuageux. N’y a-t-il pas lieu de regretter le passé ?
Il faut plaider pour une appréciation équilibrée de la crise du moment. Même si celle-ci est régie par la logique de la guerre, elle génère par ailleurs des atouts qu’il faut apprendre à reconnaître pour alimenter la marche vers le progrès. La guerre n’est-elle pas l’instant qui autorise une reconstruction ? Comme le reconnaissait naguère le général De Gaulle, seules de telles époques rendent possibles certaines réalisations que les temps de paix ne peuvent jamais envisager puisque ceux-ci ne peuvent créer artificiellement une table rase. La chance du Congo d’aujourd’hui qui cumule la banqueroute économique avec de graves cataclysmes sociaux comme le sida, est de rendre possible une remise en cause totale, condition indispensable à une renaissance véritable dans un contexte nouveau, fort de l’atout démocratique qui a fait défaut pendant la colonisation et la décolonisation.
Si elle avait pu être pleinement prise en charge par la dynamique africaine, la démocratie aurait dû, à coup sûr, autoriser une reconsidération de l’ensemble de l’histoire contemporaine du continent à partir des indépendances, et même à partir de la Conférence de Berlin. C’est à partir de 1885, sans respect du droit humain le plus fondamental qui est de s’autodéterminer, que les peuples africains furent regroupés ou divisés en empires coloniaux qui constituent la base des pays actuels. Dans cette vision globale de réaménagement continental, la transition n’aurait pas affecté seulement les années qui ont séparé l’avènement des Troisièmes Républiques de la fin des années 80 : elle aurait concerné l’ensemble des décennies d’indépendance au cours desquelles l’État africain façonné du dehors à la fin du siècle dernier allait chercher laborieusement sa voie, brassant tant bien que mal les multiples expériences rencontrées, depuis sa naissance. L’insertion dans le champ démocratique autoriserait en principe les peuples africains à dépasser, après la colonisation, l’étape de la décolonisation pour prétendre enfin à l’indépendance et à la prise de possession de toute leur trajectoire contemporaine sans complexe. De ce point de vue, l’ère des « Conférences nationales souveraines » semble avoir marqué, au niveau de la symbolique, un nouveau tournant. Pour la première fois, les Africains se sont regroupés, non plus pour un énième procès de la colonisation mais pour jeter un regard critique sur l’après-colonisation et transcender enfin, pour une fois, les réminiscences de ce que Georges Balandier appelait la « situation coloniale ». Voilà un signe du temps qui prend corps, à la condition que la mutation actuelle se confirme dans les faits et quelle ne soit pas une simple recette d’exportation que l’Afrique se serait contentée de faire miroiter face au regard extérieur, par snobisme ou par opportunisme.
Quelles pourraient être les perspectives du Congo démocratique ? Par son essence même, le devenir national suppose la prise en compte du citoyen congolais dans ses aspirations légitimes au bonheur. L’organisation de la communauté comme sa gestion doivent devenir par conséquent la résultante de la volonté commune, respectueuse à la fois de la diversité des opinions et de la volonté unanime d’être un État unifié. Aussi la première mise en valeur sera-t-elle celle des ressources humaines, la première richesse de toute nation. L’évolution récente a rendu possible l’acquisition par le peuple d’un nouveau savoir-faire qui servira d’appoint dans le combat pour le développement.
Dans ce domaine, les priorités seront d’essayer de rattraper le temps perdu pour parvenir à bref délai à un mieux-être social et économique. Par le poids de ses potentialités, le Congo doit avoir l’ambition de se développer par et pour les Congolais. La production de nourriture pour répondre à la demande interne est une priorité susceptible d’être réalisée à bref délai, si sa rentabilité peut être maximisée. Les capacités agricoles du pays sont certainement suffisantes pour nourrir non seulement le Congo mais l’ensemble des populations d’Afrique Centrale. Quant à ses ressources industrielles et commerciales, elles demeurent importantes, en dépit des effets des pillages successifs dont elles ont été l’objet depuis la constitution illégale de la fortune léopoldienne jusqu’à celle de Mobutu, en passant par l’effort de guerre insuffisamment compensé, l’escroquerie de la table ronde économique, les fortunes amassées par les trafiquants Ouest-Africains, la zaïrianisation et les détournements des dernières décennies etc. Que faire pour affronter tant de comportements coupables ? L’esprit d’équité et de justice exige assurément que l’on continue à lutter pour la restitution de ce qui a été spolié. Mais il est rassurant de penser que ce qui a été perdu ne demeure qu’une infime partie des richesses disponibles au Congo, accessibles par le travail de nos mains. Au risque de laisser s’atrophier tout esprit d’entreprise, il paraît nécessaire et urgent d’accélérer la rentabilisation des ressources encore disponibles au profit de la communauté.
Pour échapper aux pièges de la détérioration des termes de l’échange, il est judicieux, à ce sujet, de compter à la fois sur la vente des matières premières et sur celle d’autres types de production. Ceci revient à dire que, de pair avec la commercialisation des produits miniers et agricoles, le Congo est censé identifier d’autres types de production à commercialiser, entre autres les produits chimiques, manufacturés, touristiques et autres. Dans la matière, point n’est besoin de miser d’emblée sur de grandes réalisations, sans s’accorder la précaution de réajuster les projets en cours, tout au long de leur mise en pratique. Il est plus réaliste, au regard de l’expérience acquise, de compter en un premier temps sur l’implantation des petites et moyennes entreprises ou industries qui constituent l’expression la plus complète de la créativité commerciale du peuple, et de conduire dans la suite les plus performantes vers de plus grandes réalisations. Cette vérité toute simple, si elle n’est pas respectée, risque de conduire à une réédition des « éléphants blancs ».
Au chapitre des ressources naturelles, la mise en valeur exige, semble-t-il, qu’elle ne soit plus discriminatoire, comme dans le passé, au point d’avoir rendu l’ensemble de l’économie du pays prisonnière de la Gécamines et de son cuivre. Déjà pendant la colonisation, la production minière, diversifiée dès le départ, était complétée par les produits agricoles les plus demandés par l’exportation : coton, huile de palme, huile palmiste, caoutchouc, café, cacao, thé, urena, etc. Depuis cette époque, des secteurs entiers d’exploitation demeurent en friche. Tel est le cas des immenses forêts qui représentent près de la moitié de la surface nationale et des immenses ressources énergétiques : électricité, pétrolières, solaires. On connaît la dernière passion du savant sénégalais, Cheikh Anta Diop, qui voyait que le développement de l’Afrique au sud du Sahara, se ferait à partir de l’Afrique Centrale, singulièrement du Congo. En avril 1985, lors des travaux du Symposium International sur « l’Afrique et son Avenir » à Kinshasa, il illustra sa pensée en citant le cas concret de la puissance énergétique des chutes d’Inga.
«Les ingénieurs belges avaient déjà calculé que le barrage d’Inga entièrement épuisé pouvait permettre, à lui seul, d’assurer l’éclairage de tout le continent sud-américain ou tous les besoins énergétiques du continent africain en temps de paix. Ils avaient calculé aussi qu’en élevant la tension du courant produit à Inga au seuil du million de volts et en le redressant pour le transformer en continu à travers toute l’Afrique, le Sahara jusqu’en Espagne, le Portugal et le sud de l’Italie, ils pourraient le moduler encore pour obtenir de l’alternatif et que le kwh ainsi vendu à l’Europe pauvre, resterait compétitif malgré les pertes en lignes ».
Le décollage économique du Congo n’est certainement pas une simple vue de l’esprit. Il constitue un projet réaliste, envisageable à court et à moyen termes. Si l’addition des biens capitalisés par les individus peut être suffisante pour effacer les dettes du passé, la révision complète de la structure économique du pays est indispensable pour aller de l’avant, dans un esprit de partage équitable du revenu national pour permettre à tous de bâtir une existence acceptable, loin du spectre de la misère et de la faim.
4 VERS LES ÉTATS-UNIS DE CENTRE-AFRIQUE
Une interrogation subsistera lorsque le Congo aura réussi à panser toutes les plaies du passé. Il restera en effet à apprendre à évoluer dans un monde où les Etats vivent désormais en groupes, luttent en groupes et s’organisent en groupes pour mieux défendre leurs intérêts. Que deviendrons-nous dans un tel univers où l’Europe s’unit pour se hisser au rang des grandes puissances politiques et économiques ? En principe, l’Afrique ne peut connaître des difficultés majeures pour son unification puisqu’elle n’a connu qu’une expérience d’un siècle environ de balkanisation en États-nations. On a vu combien cette notion d’État demeurait jusqu’à nos jours peu intégrée, à en juger par des cas de rejet qu’elle a subis tout au long de l’histoire récente du continent. Par moments, l’État apparaît comme une instance revendiquée par personne, mais soumise à toute forme de manipulations pour servir des intérêts privés. Il n’est donc pas étonnant que toute frontière se caractérise par la permanence du désordre, de la fraude voire du banditisme, signes de contestation d’un découpage qui demeure vulnérable et dont on n’a pas intériorisé suffisamment la réalité profonde. Ainsi, les piroguiers du Pool Malebo qui ont eu l’habitude pendant des siècles d’évoluer d’une rive à l’autre du fleuve, ont du mal à s’astreindre à la nouvelle discipline qui veut que cet exercice familier soit devenu un délit punissable par la loi, depuis la Conférence de Berlin. La persistance de ces habitudes anciennes prouve à suffisance qu’elles étaient solidement implantées.
On comprend que l’intuition panafricaniste, née de la lointaine Amérique, ait pu rapidement prendre forme sur le continent et récolter le succès qui fut le sien, à une époque où l’Europe occidentale n’imaginait pas un seul instant qu’elle avait intérêt, elle aussi, à s’unir pour jouer le rôle de tampon entre les deux puissances : URSS et USA. Pourtant elle s’arrangea pour faire échouer tout projet de regroupement africain. Non seulement aucun « empire colonial » n’accéda à l’indépendance dans l’unité, mais tout effort de regroupement politique ne put prendre corps, qu’il s’agisse des États-Unis d’Afrique de N. Nkrumah, de la Fédération du Mali de Senghor et Modibo Keita, des États-Unis d’Afrique Latine de Barthélémy Boganda ou plus récemment des projets de regroupement de Haute-Volta-Dahomey-Niger, Ghana-Guinée-Mali, Ghana-Guinée, Ghana-Congo/Brazza, Libye-Maroc, Libye-Tchad [6]. Pourtant, comme on l’a vu, le projet de création de l’État africain avait des assises solides, depuis l’aube du panafricanisme en Amérique, avant que celui-ci n’acquière son audience sur le continent et qu’il ne soit mis à l’épreuve d’un premier effort de rationalisation. Dès la période des décolonisations, Cheikh Anta Diop s’est attaché à établir une première esquisse de ce que devrait être ce « futur État fédéral d’Afrique Noire » et a préconisé, à l’occasion, que les antiquités égyptiennes jouent auprès de l’Afrique noire moderne, le rôle joué par les antiquités gréco-romaines auprès de la modernité européenne [7].
Malgré cet ensemble de réflexions, le projet de création des États-Unis d’Afrique ne démarra pas. Des décennies se sont écoulées et l’Afrique constate aujourd’hui avec amertume que les indépendances africaines, qui ont été gérées séparément, ont finalement conduit à trois constats négatifs : la balkanisation de l’Afrique en une multitude d’espaces politiques et économiques non viables ; la négation des droits de l’homme et de la démocratie ; l’échec économique généralisé (Wade A. 1989 : 117-118).
Que faire pour s’en sortir durablement et ensemble ? Peut-on compter sur l’OUA qui constitue, somme toute, la seule réalisation concrète issue du combat panafricaniste ? Curieusement, c’est un ancien secrétaire général de l’OUA, Edem Kodjo (1985) qui, sur cette question fondamentale, nous renvoie au panafricanisme, un néopanafricanisme libéré de l’euphorie de naguère mais qui croit fermement, aujourd’hui comme hier, qu’il n’y a pas de vrai développement de l’Afrique sans effort sérieux de regroupement politique et partant, économique. «L’idée de N’krumah lancée en 1960 pour la création d’une fédération des États-Unis d’Afrique, déclara-t-il, fut en avance sur son temps, du moins pour ceux qui avaient une vision limitée de l’avenir. Maintenant, face à la détresse profonde de l’Afrique … les Africains doivent savoir que le panafricanisme est la seule voie qui, tenant compte des particularismes sous-régionaux et des traditions propres aux peuples africains, peut édifier sur les données géopolitiques fondamentales, la puissance africaine de demain. Il n’y a pas d’autre voie. L’horizon de la puissance est à ce prix » (1985 : 211).
Sans mettre en cause le principe de l’intangibilité des frontières, il est possible de dépasser cette réalité et d’amorcer, au-delà de celle-ci, un processus de regroupement continental. Dans l’entendement de Kodjo, cette unification ne peut donc revêtir que la forme plurielle, suivant l’étendue de l’espace continental et la diversité des cultures et civilisations en présence. Aussi préconise-t-il le regroupement des Etats africains actuels en cinq fédérations à partir de quelques États posés comme pôles fédérateurs. L’Afrique Septentrionale, pour qui la civilisation arabo-islamique constitue un facteur d’unité régionale, pouvait réaliser son intégration fédérale à partir de l’Egypte et de l’Algérie. L’Afrique de l’Ouest bâtirait la sienne à partir du Nigéria qui agirait de concert avec la Côte d’Ivoire et la Sénégambie. Quant à la Fédération de l’Afrique Orientale, elle pourrait se construire au départ du Soudan et de l’Ethiopie ; de même que l’Afrique Australe se réaliserait aisément au départ d’une Afrique du Sud finalement libérée de l’apartheid. Pour l’Afrique Centrale, la locomotive serait le Congo/Kinshasa, de concert avec le Cameroun, le Gabon et le Congo/Brazza (1985 : 262-265). Avec ces cinq fédérations, on pense donc que l’Afrique peut prétendre répondre avec assurance au défi de sous-développement à l’horizon nouveau de la coopération internationale.
Avec l’avènement de la démocratie et l’éclosion des libertés publiques, le « panafricanisme rationalisé » devient plus que jamais une interrogation pertinente et pressante en ce début des années 90. L’anomie qui prélude à toute mutation a envahi l’ensemble du continent. Tous les pays africains semblent être en crise, confrontés à une nouvelle définition de l’État face aux impératifs de multipartisme, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’Afrique est à nouveau mouvante, comme en 1885 et comme en 1960. La glaise qui la constitue est à nouveau molle et malléable sous la pression des événements. En attendant qu elle durcisse à nouveau, il faut décider de la forme à lui donner. La première étape revient à construire les cinq « nations panafricanistes ». L’unique qui existe a encore à consolider ses acquis [8].
Le Congo semble avoir depuis longtemps la vocation d’unifier l’Afrique Centrale, sinon toute l’Afrique Noire ; déjà sa colonisation n’a pu se réaliser curieusement qu’avec le concours des auxiliaires africains d’origines diverses : Zanzibaristes, Tanzaniens d’aujourd’hui, Ouest-Africains, Angolais, Congolais, Rwandais et Burundais. Depuis lors, il a continué à s’illustrer comme la terre de prédilection des réfugiés de la région pendant que les différentes Constitutions qui le régissent depuis la décolonisation lui reconnaissent le droit d’aliéner une partie de sa souveraineté, à la condition que cela se fasse au bénéfice de la construction de l’unité africaine [9]. Tout récemment encore, sa « libération » de l’emprise du mobutisme, comme naguère son accès à la modernité coloniale, n’a été possible, on l’a vu, grâce au concours conjugué des Etats voisins, comme le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Burundi et la Zambie, auquel s’étaient ajoutés les efforts d’autres pays du continent, comme l’Afrique du Sud de Nelson Mandela.
Certes, pour survivre, le Congo n’a pas absolument besoin de créer une fédération avec un autre Etat. Mais, par l’ampleur de son espace qui regroupe pratiquement toutes les diversités régionales, géographiques et humaines, il constitue en lui-même une invitation permanente à la gestion unifiée de l’ensemble de la région. L’unification de l’Afrique centrale, avec des Bantu, des Soudanais et des Nilotiques comme composantes, est dans l’ordre du possible, puisque le Congo démocratique, bâti sur ces diversités, constitue un tout depuis plus d’un siècle, ayant acquis une grande expérience de vivre et d’assumer le pluralisme ethnique. De plus, par son étendue, il dispose de l’atout majeur de conduire les Etats de la région à la fédération, par exemple en servant, en un premier temps, d’embryon à ce projet de regroupement de l’Afrique centrale. Ceci supposerait qu’il s’érige d’ores et déjà en structure d’accueil où pourraient venir s’agglutiner les autres Etats. S’organiser d’ores et déjà en fédération et se structurer, par exemple, en six Etats fédérés (Kinshasa, Equateur, Haut-Congo, Kivu, Kasaï, Katanga), à présent que la hantise de la sécession tend à se dissiper de la mémoire collective, serait une manière de jouer ce rôle précurseur. En un premier temps, ces sous-ensembles pourraient s’associer avec le Congo/Brazza ville avec lequel ils partagent à nouveau la même identité de « Congo ». Dans le futur, à partir de l’ensemble des « Etats congolais », l’union régionale pourrait se compléter avec le reste de l’ancienne Afrique centrale franco-belge (Gabon, Cameroun, Centrafrique, Rwanda, Burundi), comme de l’ancienne Afrique portugaise (Sâo Tome, Angola). On retrouverait ainsi curieusement « l’Afrique Centrale latine » [10] souhaitée par Barthélémy Boganda et dont l’identité était déjà portée par son pays, l’ancienne Ubangi-Chari devenue à l’indépendance la République « centrafricaine ». La perception de cet enjeu véritable du développement, dont les ambitions ne sont pas limitées [11], pourrait ramener à des proportions plus justes le débat politique congolais qui a pris la tendance malheureuse de s’enliser dans les querelles byzantines, sacrifiant allègrement l’essentiel à l’accessoire.
Après tout, le Congo est le plus vieil Etat de la région, créé dès le rendez-vous de Berlin en 1885. La revendication de la création des Etats-Unis de Centre-Afrique apparaît finalement comme un retour vers l’intuition originelle de Schweinfurth, celle-là même qui inspira Léopold II soucieux de créer une fédération des Etats existant au cœur du continent pour que, regroupés, ils puissent faire face aux razzias des Arabisés. L’« association des Etats libres » d’aujourd’hui aurait pour objectif, non plus de faire face à l’invasion des Arabes, mais de construire une puissance économique au sein de l’Afrique [12]. La « renaissance du Congo » prônée par le président Kabila, comme on le lira dans le texte qui suit, est un appel à la concrétisation de ce projet, puisque cette renaissance entend se construire à partir de Lumumba et de son idéal panafricaniste.
J’ai foi en ce destin qui amène l’Histoire à se répéter, tandis qu’elle fournit constamment à l’acteur historique l’opportunité de réajuster sa trajectoire, au vu de l’héritage à sa portée et en fonction des objectifs qu’il poursuit.
Texte : Discours du président L.D. Kabila ; sur la renaissance du Congo
(37e anniversaire de l’indépendance).
Le premier propos du président L.D. Kabila, après son investiture le 29 mai 1997, est un appel à la » renaissance du Congo » … » pour construire l’unité africaine et ouvrir de nouveaux espaces pour les échanges régionaux ».
30 juin 1960-30 juin 1997, 37 ans d’une longue et pénible lutte pour la libération nationale véritable. Cette lutte a connu d’abord la séquence prophétique avec Simon Kimbangu qui, dès 1919, se dressa contre le colonialisme ; ensuite, la séquence de lutte de l’autodétermination, avec la grande figure inoubliable de notre héros national, Patrice-Emery Lumumba et ses compagnons, qui culmine avec la proclamation de l’indépendance du Congo, le 30 juin, revêt une importance particulière. Non seulement du fait qu’elle marque la reconnaissance de notre maturité en tant que peuple adulte à même de se prendre en charge, mais parce qu’elle symbolise la longue marche que notre peuple a eu à endurer pour passer de l’état de l’irresponsabilité de colonisé, à celui plus éclatant de membre à part entière de la communauté internationale.
L’anniversaire que nous fêtons aujourd’hui a ceci de particulier, qu’il survient après une longue période de dictature pendant laquelle le pays, perdant son âme, s’est dérouté au point de ne plus avoir d’Etat, de ne plus être gouverné, pire, de ne plus avoir d’avenir autre qu’une mort lente et permanente. Cet anniversaire marque, de ce fait, la renaissance de notre pays et le retour à la vie de notre peuple. Ce qui inspire toute la symbolique qui l’accompagna. A sa naissance, notre pays prit le nom de « République du Congo » ; aujourd’hui, il porte celui de « République Démocratique du Congo », pour tenir compte de l’enracinement de la culture démocratique dans le mental de notre peuple. A sa naissance, notre pays eut pour bannière le drapeau bleu à six étoiles conçues le long de la hampe et une grosse étoile centrale. Aujourd’hui, il reprend, de la même manière, les étoiles représentant toujours les six provinces fondatrices de notre pays (…). A sa naissance, notre pays adopta le « Debout Congolais » comme hymne national. A sa renaissance, c’est le même hymne qui est de rigueur. Cette accumulation de symboles ne signifie nullement une quelconque volonté de revenir en arrière, d’ignorer la maturité de notre peuple lors de la période de dictature. Mais elle marque le refus catégorique d’assumer l’héritage politique du régime défunt et de toutes les misères qui lui sont associées et, enfin, la volonté de repartir du début pour bâtir un Etat plus conforme aux aspirations populaires.
Sur le plan économique, la défaite militaire du régime de honte de Mobutu, le 17 mai 1997, n’a fait que consacrer définitivement l’échec de ce régime dictatorial sur tous les aspects. L’un des plus importants est sans conteste la faillite économique du pays. Entre le 11 juillet 1960, date de la sécession du Katanga et le 24 novembre 1965, le pays a connu une longue période de désordre, de troubles. Malgré cette situation, Mobutu accéda au pouvoir en héritant d’une infrastructure économique en état de marche. Il part aujourd’hui, après avoir tout détruit. Il laisse derrière lui un pays dévasté, sinistré. La politique économique du régime passé n’a jamais mis au centre du processus de développement, le peuple congolais comme moteur et bénéficiaire. L’économie nationale n’a été que celle de l’extraversion avec comme conséquence la détérioration de termes de l’échange et, pour le pays et pour son peuple, la politique de développement à partir de quelques pôles économiques régionaux ; Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani. Car il s’agit du même type des centres économiques du monde capitalisé. La construction économique n’avait jamais eu pour but d’exiger une économie intégrée et intégrale.
La stratégie des centres de développement de notre pays sera axée en priorité sur l’agriculture et les petites et moyennes entreprises, dans le cadre général de la construction d’une économie endogène, reposant sur les priorités suivantes: un développement économique et social basé sur la satisfaction des besoins fondamentaux de la population, une industrie mise au service de la production agricole, l’abandon de la production de luxe, pour une marché national et à l’exportation, fondé sur la reproduction du taux de travail bon marché.
Il est vrai qu’il ne suffit pas de tracer les lignes directrices et l’esprit de l’action fondés sur une philosophie de l’autosuffisance agricole, si une révolution dans ce secteur n’est pas engagée. Notre pays disposant d’une hydrographie et d’une pluviométrie les plus riches du continent, est appelé par la force des choses à devenir le grenier de l’Afrique. Nous devons mécaniser notre agriculture, selon les potentialités de chaque région, afin d’arriver à une complémentarité nationale et améliorer les techniques culturales et la productivité de ce vaste domaine. La rentabilité qui en découle permettra aux producteurs de dégager un surplus économique exportable. Le développement de ce secteur impliquera un processus d’industrialisation légère.
Sur le plan des institutions, la défaite du régime passé, le 17 mai 1997, est aussi celle des institutions créées et animées par ce régime depuis le coup d’Etat du 14 septembre 1960. Ces institutions successives, mises en place depuis le Collège des Commissaires généraux jusqu’au Haut Conseil de la République-Parlement de Transition, n’avaient pas pour mission l’installation des mécanismes d’appui à un véritable processus démocratique qui pouvait permettre à notre peuple de contrôler ceux qui prétendent le représenter et participer ainsi pleinement au pouvoir. Ces institutions étaient conçues et sans cesse réformées pour s’adapter à la volonté d’un homme totalitaire. Elles ont réussi. C’est pour cela que, dans le discours d’investiture du 29 mai 1997, nous avons annoncé, comme une des priorités, la création de la Commission Constituante qui va doter notre pays d’une nouvelle Constitution. Aujourd’hui, toute la population congolaise doit se mobiliser, après le départ du dictateur et de ses coéquipiers, pour éliminer les pratiques mobutistes, relever le défi de l’Afrique. En priorité, le gouvernement lance un défi à chaque Congolais, à chaque comité de village, centre urbain, comité de quartier, comité scolaire, association de base, comité d’entreprise, club culturel, sportif, ou d’ONG, aux gouverneurs, aux administrateurs. Le défi est simple : vous nous avez aidé à chasser te dictateur. Aidez-nous à reconstruire le pays, à te rendre propre et accueillant. Seul te peuple peut se mobiliser pour changer les choses. Il peut te faire sans attendre tes grands financiers du monde et des institutions internationales.
Evidemment, les autorités de l’Etat seront là à vos côtés pour vous aider à reconstruire les infrastructures, à rééquiper tes centres de santé et tes écoles, à reconstruire les ponts et les routes. Ce pays est riche. On te dit très riche. Et ses richesses doivent contribuer au développement pour tous, te bonheur pour tous. Oui, nous pouvons rêver ensemble, mais passons ensemble du rêve à la réalité, en associant nos efforts, nos intelligences, le savoir-faire des paysans dans les campagnes, (celui) des ouvriers et des employés dans les entreprises et dans le commerce, celui des intellectuels dans les centres de recherche, les écoles et les universités, celui des artistes, des fonctionnaires dans la Fonction publique, sans oublier nos valeureuses combattantes qui ont permis de gagner cette deuxième indépendance. Ce sont les femmes qui ont largement contribué à faciliter l’avancée de nos forces armées. Souvent, ce sont elles qui ont persuadé leurs maris et leurs enfants de choisir le camp de la libération contre la dictature. C’est avec elles que nous voulons poursuivre ce combat pour la dignité du peuple congolais.
Aux pays frères africains, nous voulons dire que la République Démocratique du Congo sera un garant de la stabilité, de la sécurité et de la coopération pour relever l’Afrique, pour faire de ce continent celui du XXIe siècle. Avec nos voisins, nous voulons coopérer en vue de construire l’unité africaine et ouvrir de nouveaux espaces pour les échanges régionaux. Nous pouvons ensemble mieux assurer notre sécurité mais aussi la croissance de nos économies, l’amélioration des conditions sociales de nos peuples, la liberté pour les citoyens de l’Afrique de l’an 2000.
Aux nations riches du nord, nous rappelons que leur richesse et leur bien-être viennent en grande partie de l’héritage colonial. Aujourd’hui, nous invitons toutes les nations signataires du traité de Berlin à apporter leur concours à la reconstruction et à la renaissance africaines. Nous nous adressons (également ici) et plus particulièrement aux Etats-Unis d’Amérique, au Canada et au Japon, etc., à venir aider la RDC, à panser les plaies du régime totalitaire du passé. Le Congo, qui a décidé de la création d’une banque pour la reconstruction nationale, aspire à recevoir aide et appui de la part de la Banque Mondiale et des organisations spécialisées des Nations-Unies.
Aujourd’hui, l’Alliance a non seulement permis de mettre fin aux viols collectifs des droits du peuple congolais à une vie décente, elle veut avec tous les Congolais, construire une société de droit, de tous les droits, sans discrimination, dans le respect du pluralisme des pensées et dans celui de la diversité dont est tellement riche la nation congolaise.
[1] Le cardinal Malula avait, à ce sujet, une boutade fort révélatrice. « Donnez aux Zaïrois, disait-il, la patrie allemande et aux Allemands la terre zaïroise ; en cinq ans l’Allemagne devient un Zaïre au cœur de l’Europe et le Zaïre, une Allemagne au cœur de l’Afrique » (cf. débats lors du Symposium International sur l’Afrique et son avenir à Kinshasa, en 1986)
[2] Rappelons que les anciennes colonies allemandes de Rwanda-Urundi furent confiées en « protectorats » à la Belgique par la Société des Nations en 1923 ; elles devinrent en 1945 des territoires sous mandat. Leur superficie était inférieure à celle d’une des provinces du Congo belge.
[3] Le Traité de Rome qui marque les débuts de la CEE fut signé le 25 mars 1957, année de l’indépendance du Ghana, trois ans avant 1960, la grande année des indépendances africaines.
[4] Rostow W.W., The Process of Economie Growth. Oxford. 1960.
[5] Sur cette question, voir la synthèse de Jean-Claude Willame « Vingt-cinq ans de relations belgo- zaïroises » dans Braeckman, C., et alii 1990, pp. 145-154. Le Comité Central du MPR et le Conseil Législatif adoptèrent des positions extrêmes mais le Maréchal Mobutu préféra mettre fin à ce débat. Sur les perspectives d’avenir de cette « coopération » consulter le recueil de textes de Belgique- Zaïre : une histoire en quête d’auenir, Bruxelles-Paris, Institut africain CEDAF – L’Harmattan, 1994.
[6] Sur la question, consulter notamment les travaux de Ph. Decraene (1976), d’E. Jouve (1984) et d’Abdoulaye Wade (1986). Précisons que le projet de la Ligue des États Negro-Africains de Mobutu n’a pas connu un début de réalisation (Ntombola Mutuala 1986). Le projet Bourkinabé de l’Institut des Peuples Noirs (IPN) qui paraissait prometteur, grâce notamment au soutien de l’UNESCO et à 1 appui des personnalités du monde culturel, n’a pu se poursuivre, faute d’appui politique
[7] Diop Cheikh Anta, Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire, Présence Africaine, 1974 (1re édition en 1960). La synthèse de l’argumentation des antiquités égyptiennes posées comme antériorité des civilisations nègres a fait l’exposé de Civilisations ou barbarie, P.A., 1981.
[8] Des cinq nationalités à construire – la nord-africaine, la ouest-africaine, la est-africaine, la centre- africaine, la sud-africaine – seule la dernière fonctionne : encore qu’elle ne couvre pas encore entièrement l’ensemble de l’espace méridional.
[9] «En vue de promouvoir l’unité africaine, la république peut conclure des traités et accords d’association comportant abandon partiel de sa souveraineté » (art. 69 de la Constitution de la RDC, 1967 ; art. 108 de la Constitution de la République du Zaïre, 1978 ; art. 115 de l’Acte constitutionnel de la transition, 1994).
[10] Pour de plus amples informations, se rapporter aux études de P. Kalck (notamment « B. Boganda, tribun et visionnaire de l’Afrique centrale, Les Africains, Paris, éd. Jeune Afrique, 1977, t.3, pp. 17-137) et de P. Decraene (Le panafricanisme, Paris, PUF, 1959 pp. 80-81 ; Vieille Afrique, jeunes nations, Paris, PUF, 1982, p. 250.
[11] Ce regroupement pourrait avoir l’ambition de s’élargir encore davantage jusqu’à l’océan Indien et intégrer notamment l’Ouganda et la Tanzanie.
[12] L’ancien emblème de l’AIA (drapeau bleu orné d’une étoile d’or), le plus vieux drapeau de l’Afrique Centrale, pourrait être adopté comme emblème de la fédération de ces Etats modernes. Adopté le 21 juin 1877 par la Commission internationale de l’AIA, cet emblème aurait été inspiré par le drapeau des Confédérés sudistes lors de la guerre civile aux USA (1862-1865). Cette Confédération étant éteinte, son ancien drapeau était « disponible ». Il fut alors copié par l’AIA. moyennant une Petite transformation, à savoir, la couleur de l’étoile, de blanche devint jaune (Bontinck E, » Le Comité national américain de l’AIA », ARSOM ; 1976. pp. 494-495).