La substance de l’histoire africaine transparaît dans les récits oraux des conteurs, et la continuité entre les Morts et les Vivants, entre toutes les générations, est le véritable symbole historique des sociétés africaines où tout glisse, assez facilement, du niveau matériel au niveau du sacré. Cette quête persévérante qui donne à l’homme l’espérance et le rassure sur son identité et sur son avenir, à travers récits et mythes. est par conséquent importante pour un peuple. Elle est, cette quête, !a mémoire collective du peuple. Lumumba a souligné la valeur de cette idée qui n’est simple qu’en apparence : «L’Afrique écrira un jour elle-même sa propre histoire ».
Il ne s’agit pas de l’écriture comme acte graphique, en tant que tel. mais bien. à y regarder de près, du problème fondamental de la mémoire culturelle. c est-à-dire de la restauration de la conscience historique des peuples africains pour fonder réellement l’héritage des savoirs, l’authenticité de l organisation sociale. conforter
les chances de progrès. Lumumba voulait en fait un saut qualitatif, en cela dialectique, de la conscience ethnique close à la conscience historique ouverte, de la conscience instinctive des différents groupes humains isolés les uns des autres à celle, synthétique, dynamique, d’un peuple désormais muni des instruments de sa liberté.
L’on comprend mieux cette urgence du programme de Lumumba si lon sait. pur constat, que l’histoire du grand Congo, de l Ancien Zaire, jusque-là, s’était confinée dans des «monographies tribales ». Celles-ci ont sans doute le privilège du détail ethnographique mais, de toute évidence, les monographies, mêmes produites en séries, ont la fonction précise d’atomiser l’histoire, de séparer les composantes de la société, de cristalliser les consciences sur des faits épars de portée locale, presque anecdotiques.
Après cet âge monographique de l écriture de l’histoire congolaise, l’avantage revenait, par une sorte de nécessité logique, à la grande catégorie de l’histoire coloniale salvatrice. lci, les peuples sont considérés comme les scories des événements, le résidu insignifiant de l’histoire. Les symboles de l’histoire coloniale et missionnaire sont redoutables. L’historiographie coloniale ne peut jamais projeter derrière une société sa propre image, tant soit peu correcte. Le but ultime de cette historiographie est l’enracinement politique. économique, culturel et spirituel de tout un peuple dans quelque absolu historique étranger.
Le peuple congolais et tous ses amis attendaient par conséquent une véritable histoire du Congo, ce pays merveilleux, puissant, plein de promesses pour l’Afrique et pour le monde.
Il s’agissait d’un défi réel, et les bons sentiments n’y pouvaient pas grand-chose.
Cependant, des tentatives n’ont pas manqué, mais l’histoire, dans son statut notamment, a des principes qui la distinguent, de nos jours, de la naïveté idéologique ou même de l’habileté hâtive, sans érudition.
Fidèle à l’histoire qu’il a apprise dans différents foyers universitaires, en Afrique et à l’étranger; fidèle à l’histoire qu’il enseigne depuis plus de deux décennies dans les universités de son pays ; fidèle, enfin, à la patrie de sa citoyenneté, le professeur Ndaywel è Nziem s’est résolu, fort courageusement, à nous présenter le Congo ancien et moderne, dans l’espace et dans le temps, en le plaçant constamment dans la diversité de son environnement. L’effort historique fourni est admirable, au sens latin du mot, c’est-à-dire digne d’être regardé avec respect et plaisir ; en effet, cet effort frappe par la rigueur de la méthode, l’ampleur de la vision, la portée sociale de l’entreprise.
En réalité, je ne suis pas personnellement trop étonné du beau travail de Ndaywel, le connaissant, depuis longtemps et depuis toujours, comme un collègue méticuleux, scrupuleux, à l’intelligence robuste, avec un sens aigu du métier. Pendant plusieurs années, à l’université de Lubumbashi, au Katanga, cet homme originaire du Bandundu a organisé presque tout seul l’enseignement de l’histoire africaine selon des options de pointe. Puis il a créé et dirigé une revue, « Likundoli » (mot lingala que l’on pourrait rendre par « exhumation » du passé), pour donner une tribune appropriée aux jeunes talents en développement. Organisateur méthodique et persévérant, meneur d’hommes appelés à travailler en équipe pour la première fois, Ndaywel est ainsi le pionnier de la recherche historique moderne dans son pays, le Congo/ Kinshasa.
Voilà pourquoi, presque naturellement, tout cet immense travail antérieur sur la légende des siècles obscurs nous vaut aujourd’hui cet ouvrage du meilleur métier historique sur l’Histoire générale du Congo. De l’héritage ancien à la République Démocratique, d’une lecture aisée et enrichissante, avec cartes appropriées qui révèlent le solide côté pédagogue de l’auteur.
Lire le professeur Ndaywel, c’est partager la lucidité de son esprit, l’ingéniosité de ses analyses, l’intensité d’une recherche historique laborieuse. Et le Congo, puissant organisme vivant, se révèle, en profondeur, dans l’espace et dans le temps : la côte, le fleuve, la forêt, la savane, la cuvette, les volcans et les Grands Lacs ; les hommes et les femmes, leurs structures villageoises cheffales royales la continuité des forces claniques, les équilibres, les cultes, le sens du temps des ancêtres ; puis le tournant : la rupture des constances séculaires et l’éveil, dans les temps nouveaux, du peuple congolais, dans un pays déjà occupé par la « gestion belge». Enfin, l’actualisation du Congo en devenir, dans les temps contemporains, par les Congolais eux-mêmes, héritiers d’une longue tradition et ouvriers modernes d’une autre histoire. Plus de fragments de populations dans la demi-obscurité des destins éparpillés, mais un peuple fécond, porteur de tant d’espoirs, s’accomplissant désormais sous le contrôle de sa propre conscience, pour la dignité humaine. Lumumba ne voulait pas autre chose, sinon la résurrection des temps du passé, la consolidation de l’imaginaire collectif, la projection par le travail de l’avenir communautaire.
C’est cette clarté que le magnifique ouvrage de Ndaywel nous apporte. à nous tous, sur le parcours de l’existence du Congo/Kinshasa.
En cette fin du XX siècle, le professeur Ndaywel è Nziem a moissonné et engrangé. Grâce à son érudition mise à la portée des uns et des autres, élèves, étudiants, universitaires, chercheurs, hommes politiques, cadres, grand public, coopérants, etc., le professeur Ndaywel joue ainsi un grand rôle dans !historiographie africaine contemporaine.
Il reste à entendre le message : interpréter une condition, c’est collaborer., réciproquement, à la formation d’autres sensibilités, d autres perceptions. d’autres symboles historiques, toujours requis dans l’élaboration du futur. C’est au moins la contribution qu’un historien de métier doit ambitionner. car l’Université (africaine) n’est pas là pour la parade, comme disait Frédéric II, en des termes à peu près similaires, à ses académiciens.
Sachons donc gré au professeur Ndaywel è Nziem de nous avoir donné une nouvelle intelligence du grand Congo dans l’étalement de r espace et l’étirement du temps, enrichissant de façon heureuse, nos regards et notre mémoire.
Théophile OBENGA
Université Marien Ngouabi (Brazzaville) Directeur général honoraire du Centre International des Civilisations Bantu (Ciciba) à Libreville.