Partie 7 - Chapitre 1 : L’essor
Isidore Ndaywel è Nziem
Dans Histoire générale du Congo (Afrique Éditions)
Chapitre 1
L’essor
Le jeudi 30 juin, le Congo devient indépendant. Le scénario de cette journée est connu, tant les récits qui la relatent sont nombreux : un Te Deum fut célébré dans la cathédrale Sainte-Anne, avant la séance solennelle dans la grande salle du Palais de la Nation, où trois allocations furent prononcées, alors que l’on n’en avait prévu que deux. Baudouin 1er, arrivé la veille, rendit hommage à l’œuvre coloniale et invita les nouveaux dirigeants à parfaire l’œuvre accomplie. Kasavubu, le président, manifesta sa reconnaissance à l’égard de l’ancienne métropole. Après les deux discours protocolaires, Lumumba, le Premier ministre, prit la parole, mais son propos s’écarta de ce qui avait été apparemment convenu. Il fit le contrebilan de la colonisation, dénonça ses revers, à savoir les injustices, les inégalités, l’exploitation, le mépris [2].
Au cours du déjeuner qui suivit la cérémonie, on tenta de réparer cette maladresse qui resta pourtant dans les mémoires congolaises et belges. II apparut alors que la sérénité de la cérémonie n’était qu’apparente, même si la « déclaration d’indépendance » signée l’après-midi proclamait pompeusement que « le Congo accédait en ce jour, en plein accord avec la Belgique, à l’indépendance et à la souveraineté internationale ».
Le 7 juillet, l’indépendance fraîchement acquise obtenait une caution internationale, grâce à l’admission du nouvel Etat au sein de l’ONU. La Tunisie, le seul Etat africain membre du Conseil de Sécurité à l’époque, présenta sa candidature ; à l’unanimité, le Conseil de Sécurité marqua son accord et recommanda à l’Assemblée Générale d’accueillir la République du Congo en son sein [3].
Cette indépendance constituait pourtant un événement imprévu et quelque peu inexplicable dans le contexte général de l’histoire du continent. Rares étaient les pays africains qui avaient réussi un tel exploit : seules deux générations d’indépendance africaine existaient alors. La première, datée de 1956, soit un an après Bandoeng, ne concernait que des pays déjà fort bien organisés d’Afrique du Nord (Maroc. Tunisie, Soudan) [4] ; la deuxième, qui constituait la tête de pont de l’Afrique noire, englobait le Ghana (6 mars 1957) et la Guinée (10 décembre 1958). Un courant d’indépendance ne naquit vraiment qu’en 1960 dans l’Afrique noire. Personne n’aurait pu prévoir que le Congo belge, le grand absent dans cet effort d’émancipation des populations autochtones, allait participer à cette « ligne du front » des pays indépendants. Ce privilège passait pour être l’apanage des colonies françaises depuis la fin de la guerre mondiale. Elles y étaient préparées, comme nous l’avons déjà noté, par les dispositions constitutionnelles de 1946 et la loi-cadre de 1956. De fait, ces colonies eurent la «primeur» de l’indépendance en 1960, les territoires sous mandat à savoir le Cameroun (1er janvier) et le Togo (27 avril) d’abord. Ensuite, vint le tour de la moribonde fédération du Mali (20 juin) puis de Madagascar (26 juin). Après la Somalie (1er juillet) les francophones repriment le droit avec les cas successifs du Bénin, à l’époque Dahomey (1er août), du Niger (3 août), du Burkina- Faso qui est encore la Haute-Volta (5 août), de la Côte-d’Ivoire (7 août), du Tchad (11 août), de Centrafrique (13 août), du Congo/Brazza (15 août) puis du Gabon (17 août), du Sénégal (20 août) et du Mali (22 septembre). Enfin le Nigéria (1er octobre) puis la Mauritanie (28 novembre) vinrent se joindre à ces jeunes Etats indépendants.
L’indépendance du Congo était de toute évidence un cas à part, un phénomène imprévu, longuement réprimé par le colonisateur avant d’être en définitive précipité par ce dernier apparemment pour des raisons tactiques, pour figurer aux premiers rangs des « nouveaux amis » et ainsi sauver ce qui pouvait l’être. Il est clair que la Belgique avait opté pour cette stratégie en désespoir de cause : elle n’avait pas les moyens de retarder l’échéance, comme c’eût été possible pour la France et l’Angleterre, bien que la concordance des dates ait prouvé que la Belgique s’est maintenue aussi longtemps que la France, malgré les différences existant jusque-là dans leurs gestions respectives des revendications à l’autonomie.
Comment expliquer le mode de gouvernement qui allait être appliqué dès l’indépendance ? L’inexpérience, ou plus précisément une préparation exceptionnellement brève et donc insuffisante à cette situation neuve, alliées à la dimension du pays et à l’ampleur des problèmes, allaient continuer à marquer le Congo.
Nous étudierons ici trois périodes successives : la gestion de l’indépendance qui mena à la ruine de l’État, ensuite les tentatives diverses de remédier à cette situation, dont certaines prolongèrent la crise au lieu de la soulager ; enfin la naissance progressive d’un État nouveau, issu des décombres de cette crise aiguë de croissance politique.
1 L’INDÉPENDANCE ET SA GESTION
La célébration de l’indépendance avait un caractère ambigu : les participants n’en étaient pas conscients, mais les auspices n’étaient guère favorables.
Le peuple congolais est naturellement optimiste et bon vivant, capable d’oublier un moment les préoccupations les plus graves pour profiter pleinement de l’instant présent. Ce fut le cas lors de la fête du 30 juin, où le maître-mot fut l’indépendance : on le traduisit par uhuru en swahili, kimpwanza en kikongo. Le lingala opta pour le terme français d’indépendance qui fut converti en dipanda. Des nuits entières, on dansa sur les rythmes des chansons de l’indépendance, les femmes portaient des pagnes « indépendance », les marchés et les places publiques résonnaient de ce mot magique.
Les interprétations que le peuple donnait à ce mot variaient d’une personne à l’autre et devenaient parfois fantaisistes : certains y voyaient la fin du règne des Blancs et partant, le retour des ancêtres, les héros locaux. La plupart s’attendaient à un retournement de situation, les Noirs remplaçant des Blancs, prenant leurs grosses voitures, leurs grandes maisons et recourant exclusivement à la langue magique, le français [5]. La propagande électorale, en annonçant l’événement, avait contribué à l’élaboration de ce mythe, par l’emploi d’images fortes qui marquèrent le peuple parce qu’elles correspondaient à un idéal souhaité et aussi parce que le peuple était peu habitué au discours démagogique. En laissant entrevoir la possibilité d’une des contraintes, le discours politique avait en effet quelque peu exagéré : il avait ainsi promis qu’avec l’indépendance, le travail ne serait plus nécessaire : des « machines » allaient arriver, qui produiraient directement manioc et maïs, rendant les houes inutiles. Devant la dure réalité qui succéda à l’euphorie, une connotation péjorative fut peu à peu attribuée à « dipanda », qui désigna alors les arrivistes et les parvenus. Avoir une « promotion d’indépendance » se traduisit par « ne pas avoir de mérite » ; les « enfants de l’indépendance » désignaient la génération de l’époque habituée à une existence facile, qui n’avait pas connu le régime strict de l’éducation coloniale. Par la suite, le terme d’indépendance fut réutilisé… en situation de sécession lorsqu’il fut question de se détacher de la tutelle de Léopoldville. Peu après, les rébellions révolutions revendiquèrent la conquête d’une « seconde indépendance », la première désignant celle que les bourgeois s’étaient appropriée.
Pour l’heure, chacun était encore à la fête, confiant dans l’avenir du pays. « L’hymne de l’indépendance » qui se substitua aux chansons « patriotiques » de la période coloniale, était un poème passionné tourné contre le colonialisme mais également et surtout un projet pour l’avenir, traduisant la ferme volonté du peuple congolais de construire une nation unie et prospère.
Debout Congolais unis par le sort
Unis dans l’effort pour l’indépendance
Dressons nos fronts longtemps courbés
Et pour de bon prenons le plus bel élan
Dans la paix
O peuple ardent par le labeur
Nous bâtirons un pays plus beau qu’avant
Dans la paix
Citoyens, entonnez l’hymne sacré de votre solidarité
Fièrement, saluez l’emblème d’or de votre souveraineté
Don béni des aïeux,
O pays bien aimé
Nous peuplerons ton sol et nous assurerons ta grandeur
Trente juin O doux soleil,
Trente juin du trente juin
Jour sacré sois le témoin, jour sacré de l’immortel
Serment de liberté
Que nous léguons à notre prospérité
Pour toujours.
L’indépendance fut donc un grand moment, évoqué avec une passion d’autant plus grande que l’on était conscient de sa précarité. Ces craintes étaient effectivement justifiées. Le Congo indépendant comptait à l’origine trop de forces centrifuges pour ne pas risquer de perdre sa cohésion interne. De fait, des mouvements de revendication sociale se manifestèrent dès 1959, et se poursuivirent même après l’indépendance, notamment par la grève à l’OTRACO (1er juillet), les troubles à Kinshasa entre Yaka et Kongo (3 juillet), et les revendications salariales à Mbandaka (4 juillet). La formation du gouvernement Lumumba laissa des insatisfaits parmi les représentants de certaines régions, entre autres le Katanga et le Kasaï [6]. On était bien loin d’une véritable cohésion interne : le gouvernement se fondait sur une situation de compromis. L’inimitié entre Kasa-Vubu et Lumumba, déjà perceptible lors des séances du Collège Exécutif Général et encouragée par la structure bicéphale de l’Exécutif, constituait à elle seule un péril pour la politique du pays.
En réalité, la situation n’était guère rassurante. Le 30 juin, certaines régions du pays ne participaient pas à la fête : le Kasaï pleurait ses morts, les Luba ne parvenaient pas à oublier leur échec aux élections provinciales de mai. De plus, leur leader Albert Kalonji n’avait pas été retenu pour faire partie du gouvernement. L’opposition Luba-Luluwa était donc loin de s’atténuer. Bien au contraire, les événements en cette période d’indépendance, contribuaient à attiser les tensions. A l’heure même où à Léopoldville, on dansait pour fêter l’indépendance, les Luba étaient contraints de quitter Luluabourg. La Convention du lac Mukamba, accentua cette migration de la population luba qui atteignit son point culminant quand l’Exécutif décida de faire évacuer le village des Bakwa Mulumba situé dans la zone de Luluabourg. L’indignation fut alors à son comble. Depuis Léopoldville, Ngalula avait encouragé les siens dans leur mouvement d’exode. Les trains de Mwene-Ditu et les camions pour Bakwanga ne suffisaient pas, tant l’affluence était grande, à te! point que certains n’hésitèrent pas à déménager à pied. Comme le note un intellectuel luba, le 30 juin au Kasaï fut « un jour de deuil et de méditation » (Muya bia L. 1980). Cette opposition Luba-Luluwa annonçait une évolution négative de l’ensemble du Congo indépendant.
A Léopoldville et dans la plupart des métropoles, la fête fut intense mais de courte durée. Elle fut vite oubliée quand l’Etat fraîchement constitué éclata en trois temps : au lendemain du départ des derniers invités venus participer aux festivités, éclatèrent les mutineries de la Force Publique (mercredi 5 juillet). Elles furent suivies, six jours plus tard, de la proclamation de l’indépendance du Katanga (lundi 11). Puis de celle du Sud-Kasaï (lundi 8 août). Enfin le Président révoqua le Premier ministre, qui le révoqua à son tour (5 septembre) ; les Chambres votèrent une motion de confiance en faveur de Lumumba révoqué, et Kasa-Vubu répliqua en les renvoyant. L’impasse était totale : l’euphorie de l’indépendance proclamée le 30 juin avait duré un mois, et l’amitié belgo-congolaise qui se voulait le fleuron de ce système colonial ne put résister aux effets de la crise, quelques semaines à peine après la signature en grande pompe du traité liant les deux pays [7].
1.1 Mutinerie de la Force publique ou les Belges attaquent
Comme l’avait prédit Paul Salkin, la mutinerie de la Force publique coïncida avec l’indépendance. L’événement était inattendu, car il survint exactement au lendemain du départ des derniers invités venus participer aux festivités du 30 juin. Cette mutinerie était pourtant relativement logique. En effet, depuis quelques mois, tous les corps de métier avaient successivement fait grève. Les derniers en date étaient les ouvriers de l’OTRACO qui ne renoncèrent pas à leur projet, malgré l’euphorie de l’indépendance. Restait la Force Publique. D’autre part, pour ce corps de métier, « après l’indépendance » signifiait « avant l’indépendance ». Celui qui leur rappela avec empressement à l’issue des festivités cette vérité brutale, en était lui-même le symbole vivant : le général Janssens était en effet commandant en chef de la Force publique, avant comme après. Dans le processus de promotion d’indépendance en cours de réalisation, rien n’était prévu pour les fonctionnaires autochtones en uniforme. Ils ne devenaient ni ministres, ni députés. Ils devaient encore se mettre au garde-à-vous devant des officiers blancs, et qui plus est, et désormais même devant des civils congolais dont certains – parmi ceux-ci le Président et le Premier ministre – étaient hier encore en prison, sous leur garde. Le problème était réel mais les circonstances n’étaient pas propices. Les gardiens de l’ordre allaient à l’encontre de l’ordre au moment où celui-ci était le plus vulnérable. Mais pouvait-il en être autrement ?
Quand celui qui s’estime lésé pourrait-il exprimer sa douleur, si ce n’est à l’instant où il la ressent ? Si la « colonie modèle » n’envisagea la formation des élites autochtones qu’après la Deuxième Guerre mondiale, dans le secteur militaire, celle- ci démarra avec un retard encore plus important. Le dernier commandant en chef de la Force Publique, le général Janssens, se plut à la retarder au maximum, convaincu que le prestige de l’officier était renforcé par celui du Blanc et qu’on ne pouvait nuire au prestige du Blanc sans ternir celui de l’officier (Janssens E. 1961). Il va de soi que l’africanisation de Janssens n’était qu’un simulacre. Son prédécesseur avait adopté cette nouvelle politique en 1945 et instaura cette formation en commençant par le niveau le plus bas qui puisse exister. Il créa des écoles primaires, d’abord cinq, afin de former les futurs officiers dès l’enfance. L’école des pupilles de Luluabourg ne fut créée qu’en 1953, et en 1958 elle ne comptait que 14 élèves. L’école de sous-officiers ouvrit ses portes en septembre 1959 et ne recruta que 9 candidats. Les effectifs restaient étrangement réduits. L’année précédente, on avait annoncé avec fierté que seuls 23 des 1 950 candidats avaient été retenus à l’école des pupilles. Le passage obligé par ces écoles enlevait ainsi aux soldats et sous- officiers en fonction tout espoir de promotion, apparemment réservé à leurs enfants. Ce n’est que le 10 juin qu’on laissa entrevoir la possibilité de recruter des élèves sur base du critère d’ancienneté. Malgré cette disposition de dernière minute – qui n’aurait de toute façon fourni la première promotion d’officiers autochtones qu’en 1962 au plus tôt – l’avenir dans la carrière militaire resterait aléatoire et sans issue tant que les responsables de l’armée ne changeraient pas (Young C. 1968 : 260-261). Les mutineries étaient inévitables.
Parti des troupes d’élite du Camp Hardy de Mbanza-Ngungu (5 juillet), le mouvement gagna bientôt les garnisons de Kinshasa, Comme il était dirigé contre le gouvernement, Lumumba réagit en nommant davantage de Noirs au sein de la hiérarchie militaire. Malgré cela, le mouvement s’amplifia et gagna d’autres garnisons. La panique s’empara des familles européennes, victimes de violences et d’humiliations diverses, au point que les troupes métropolitaines durent intervenir, en principe pour assurer la protection des Européens et leur évacuation. Cependant, un climat de violence se substitua aux intentions pacifiques premières. On crut d’abord qu’il s’agissait de méprises. Mais par la suite, après le 9 juillet, force fut d’admettre que le Congo était victime d’une agression (Vanderstraeten L.F. 1985 : 458). La mutinerie se mua en un conflit militaire avec les troupes belges. Jan Van den Bosch, premier ambassadeur de Belgique au Congo, qui s’efforça de calmer les esprits dans ce conflit, donne cette interprétation des événements. Dans son Pré-Zaïre, écrit 25 ans après les faits, il dénonce cette conduite aberrante de la Belgique qui « après avoir pratiqué pendant de trop long mois une politique de faiblesse dans un Congo qui lui appartenait, entendait se lancer dans une politique de force dans un Congo qui ne lui appartenait plus ». Il poursuit : « N’avais-je pas entendu à l’envie les ministres (belges) répéter, devant les critiques de notre politique congolaise, qu’il fallait à tout prix éviter d’être entraîné dans une nouvelle guerre d’Algérie. Et voici que nous nous y engagions délibérément, avec des titres juridiques infiniment moindres que les Français, avec des forces incomparablement plus faibles, dans un territoire combien plus vaste. Que pouvions-nous espérer ? Réussir au Congo tandis que les Anglais avaient échoué en Inde, les Hollandais en Indonésie, les Français en Indochine et qui n’arrivaient pas à aboutir en Algérie ? » (1985 : 63-64) [8].
La Belgique fut la première à violer le traité d’amitié et de coopération qui la liait à l’ancienne colonie et ce fut en faveur… du Katanga. L’article 6 de ce traité subordonnait toute intervention des forces métropolitaines basées dans le pays à l’accord explicite du ministre congolais de la Défense nationale. Le 10 juillet. les forces métropolitaines basées à Kamina intervinrent à Elisabethville pour protéger les Européens. Arthur Gilson, ministre belge de la Défense qui donna directement cet ordre à la base de Kamina, outrepassa l’accord du gouvernement congolais et ne prit même pas la peine d’en informer l’ambassadeur belge à Kinshasa. Le soir du même jour, un détachement des paracommandos belges fut envoyé à Luluabourg pour sauver un groupe d’Européens qui, se croyant en danger, s’étaient enfermés dans l’immeuble Immokasaï.
On aurait pu prétendre, à la décharge des Belges, que cette violation du traité constituait un acte de défense des droits de l’homme. Mais dans cet autre cas. ce n’était même pas certain ; en effet, le 11, Matadi était attaquée alors que les Européens avaient déjà évacué. A partir du 13, les « attaques » belges se généralisèrent.
Le 13, les troupes métropolitaines s’emparèrent de Léopoldville et du Bas-Congo ; le 14. le Katanga fut entièrement « occupé » ; le même jour, Kikwit tomba entre leurs mains. Puis Borna, le 15 : Coquilhatville le 16 ; Kindu, Goma, Banningville, Boende, Libenge et Gemena le 17 ; Bunia le 18 (Willame J.C. 1990 : 153). Un climat d’hostilité s’était définitivement installé entre les parties qui, quelques jours plus tôt avaient signé un traité d’amitié et de coopération. La Belgique se fit l’auteur de ces actes de violence au moment même où Kasa-Vubu et Lumumba allaient venir à bout de l’insurrection, en allant d’un camp à l’autre, d’une ville à l’autre, pour parlementer avec les insurgés.
Deux incidents surtout renforcèrent la partie congolaise dans sa conviction que la Belgique, avec ses troupes stationnées au Congo, était déterminée à administrer une dernière leçon à son ancienne colonie. Ils sont liés aux circonstances particulières de la proclamation de la sécession du Katanga et aux événements qui se déroulèrent à Matadi. Les troupes qui intervinrent à Elisabethville, le 10 juillet, s’y installèrent, sous le commandement du capitaine-commandant Guy Weber. Cette garnison fut aussitôt rejointe par d’autres compagnies venues de Belgique. Or, le lendemain de cette intervention, on proclamait l’indépendance du Katanga. Kasa-Vubu et Lumumba séjournaient à Luluabourg pour leur mission de pacification et avaient précisément prévu de se rendre à Elisabethville ce jour-là. Ils retardèrent leur voyage d’un jour. Le lendemain ils embarquèrent à Kamina dans un DC 3 piloté par des Belges ; dans la capitale du cuivre, on leur refusa l’atterrissage alors que les troupes belges occupaient la ville. Malgré la nuit tombante, ils durent se replier sur Luluabourg. Le lendemain, le président et le Premier ministre décidèrent de se rendre à Stanleyville, après une escale à Kindu où ils passèrent la nuit. En décollant à Kindu, ils demandèrent à l’équipage belge de se poser à Stanleyville ; celui-ci les conduisit à Léopoldville (15 juillet). Sur la piste d’atterrissage de N’djili, ils furent conspués voire même bousculés par les réfugiés européens… sous le regard impassible ou plutôt narquois des paracommandos belges (Kestergat J. 1986 : 36-37 ; Van den Bosch J. 1986 : 99-100) [9]. Entre la Belgique et le Congo, les ponts furent coupés. Dans un télégramme envoyé depuis leur escale à Kindu au Premier ministre belge, le Président et le Premier ministre rompirent les relations diplomatiques avec la Belgique (14 juillet). Les raisons invoquées étaient la violation du traité d’amitié selon lequel les troupes belges ne pouvaient intervenir sur le territoire congolais sans l’autorisation expresse du gouvernement de la République, et la violation par la Belgique de 1 intégrité du territoire national lors de son intervention dans la sécession du Katanga.
Matadi fut le cadre de l’autre incident majeur qui conforta le Congo dans ses dispositions à l’égard de la Belgique ; une offensive y fut menée tout à fait arbitrairement puisque le calme régnait parmi les unités de la Force publique, et que les installations portuaires n’étaient pas du tout menacées. Le COMETRO (Commandement Métropolitain) crut bon d’y mener à bien une opération, « pacifique » à ses yeux, pour permettre la reprise du trafic maritime, et donc d’occuper préventivement les ports de Matadi et de Borna. Dans son enthousiasme, il avait oublié, semble-t-il, qu’on avait déjà accordé l’indépendance au Congo. Dans la nuit du 11 au 12 juillet, deux algérines de la Force Navale belge embarquèrent à Banana quelques unités de l’armée belge. Entre-temps, le paquebot « Thysville » qui était à quai à Matadi reçut l’ordre d’appareiller et de quitter Matadi avec les réfugiés européens à son bord. Le matin, à la vue de la première algérine débarquant des troupes belges, les Congolais ouvrirent le feu. Il y eut des échanges de tirs d’artillerie. Les Belges s’emparèrent du port, progressèrent jusqu’au camp Redjaf où ils furent bloqués. Les soldats belges passagers de la seconde algérine qui accosta à Ango-Ango ne purent s’emparer du camp de la gendarmerie, l’algérine étant tenue en respect par des canons. Les Belges durent se replier sur Borna et admettre leur échec. On venait d’assister, à peu de chose près, à un épisode d’une guerre « classique ».
En fin de compte, la modeste mutinerie de la Force Publique eut des conséquences incalculables. Elle fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. A posteriori, son rôle de détonateur apparait encore plus clairement. C’était d’abord et avant tout une revendication congolaise adressée aux autorités congolaises. Il en résulta une africanisation de la hiérarchie de l’armée – la Force Publique ne comptait jusque-là que 7 sous-officiers autochtones – ce qui ne se serait jamais produit aussi vite sans une telle pression. Alors qu’on décidait que le général Janssens demeurerait à la tête des troupes et que lors de la mutinerie, on conseilla au Premier ministre de ne pas changer d’« attelage avant la traversée du gué », celui-ci prit une option contraire, sous la pression des événements. Le 8 juillet, l’ancien adjudant Lundula troqua son écharpe majorale à Likasi contre les galons de général, commandant en chef des troupes [10] ; l’ancien sergent Joseph Mobutu, de secrétaire d’Etat, devint chef d’état- major avec le grade de colonel. La Force Publique devint « l’armée nationale ». Dans les garnisons, les soldats furent invités à tirer au sort les noms de ceux qui parmi eux, étaient candidats au grade d’officiers. Le commandement du Camp Léopold fut confié à l’adjudant Kokolo.
Ce mode de promotion est certes pour le moins insolite ; si une telle disposition n’avait pas été prise, le cours de l’histoire aurait sans doute été fort différent. Lors du conflit qui allait opposer un mois plus tard Kasa-Vubu et Lumumba, l’armée nationale commandée par Janssens n’aurait pu les neutraliser l’un et l’autre pour mettre en place un « Collège des commissaires généraux ». En cinq ans, le haut-commandement militaire n’aurait pu atteindre l’envergure qui fut la sienne, en 1965. lorsqu’il mena un coup d’État pour hisser Mobutu à la magistrature suprême du pays.
Il va de soi que des deux premiers responsables militaires autochtones. Lundula et Mobutu, ce dernier partait favori. Mobutu n’avait quitté l’armée qu’en 1956 et y gardait ses entrées, tandis que Lundula avait quitté son poste d’infirmier dans la Force Publique quinze ans auparavant. De plus, il menait sa carrière postmilitaire à Jadotville et n’avait jamais vécu à Léopoldville, tandis que le chef d’état-major était déjà connu dans la capitale, en tant que journaliste et militant du MNC. Dès le départ, l’armée était davantage sous son influence [11].
La mutinerie eut une autre conséquence importante : un vent de panique provoqua en effet le départ massif des coopérants, colonisateurs d’hier, qui avaient choisi de rester au service de la nouvelle république. Spectacle insolite que celui d’une administration se vidant en moins de huit jours de milliers de fonctionnaires. Même lors de révolutions, on n’avait jamais connu un changement aussi brutal. En réalité, il s’agissait d’une réaction excessive qui répondait à une autre situation elle-même exagérée. Un départ si brutal et si massif ne pouvait mener qu’à une véritable sclérose. Toutefois, il était étrange que tant de fonctionnaires coloniaux poursuivent leur carrière en toute quiétude « après comme avant l’indépendance du pays ». L’équation de Janssens était plus significative qu’il n’y paraissait à première vue. De fait, toute indépendance donne lieu à un changement radical. La mutinerie qui suivit les événements du 30 juin fut l’occasion pour la décolonisation de progresser d’un cran. Le processus, encore très éloigné de son achèvement, devait se poursuivre et se poursuivit.
La guerre qui accompagna la mutinerie provoqua surtout la première rupture des relations diplomatiques, quatorze jours après la proclamation de l’indépendance réalisée pourtant « en plein accord » entre les deux parties. Quelques maladresses commises peu après suffirent à compromettre les relations belgo-congolaises… « pour au moins dix ans », d’après les estimations de l’ambassadeur de Belgique, témoin de ces journées chaudes (De Vos P. 1975 : 129). Ces hostilités surgirent malencontreusement à une époque où le pays avait grand besoin du secours de l’ancienne métropole pour la guider dans son entrée dans la vie internationale. La rupture avec l’ancienne métropole eut pour conséquence d’« internationaliser » presque simultanément la crise congolaise. Au moment où la République du Congo est admise comme Etat membre de l’ONU, la mutinerie en est à sa troisième journée (7 juillet) ; le premier appel adressé à cette institution internationale date du 10 juillet, moins de quinze jours après la proclamation de l’indépendance. Il s’agissait d’une demande d’assistance militaire d’urgence adressée à Ralph Bunche, qui se trouvait alors à Kinshasa depuis la veille du 30 juin. A la suite des interventions militaires belges dans le Bas-Congo, le gouvernement central – en l’absence du Président et du Premier ministre -s’adressa le 12 juillet à l’ambassadeur des USA pour demander le renfort d’un contingent de soldats américains en vue d’aider l’armée congolaise à assurer l’ordre. Il faut voir là une première mise en œuvre d’urgence de l’aide sollicitée auprès des Etats-Unis. Simultanément, Kasa-Vubu et Lumumba réclamèrent à l’ONU l’envoi d’une aide militaire directe pour protéger la jeune république contre l’agression extérieure. L’objectif de la demande congolaise se précisa le 13 juillet : elle visait à contrer l’agression des forces métropolitaines. Le Conseil de sécurité qui s’était réuni ce jour-là, constata que la situation au Congo risquait de compromettre le maintien de la paix et la sécurité internationale. Il décida d’envoyer une force des Nations-Unies sur place et demanda le départ des troupes belges. Le 14 juillet, depuis Kindu, Kasa-Vubu et Lumumba prirent soin de prévenir l’Union Soviétique que son aide pourrait être sollicitée si le camp occidental ne mettait pas fin à son intervention. Les circonstances pouvaient mener à un conflit international. Le secrétaire général, le Suédois Dag Hammarskjôld, parvint habilement à éviter une condamnation explicite de la Belgique considérée comme agresseur, et à écarter le risque d’une participation des Grands au conflit du Congo – on était alors en pleine période de « guerre froide ». Les Casques bleus ne proviendraient pas des pays membres permanents du Conseil de sécurité ; ils ne seraient recrutés que dans des pays neutres, pour la plupart afro-asiatiques. C’est ainsi que les quatorze premiers bataillons qui débarquèrent au Congo (14-19 juillet) comptaient des Ghanéens, des Tunisiens et des Suédois (Braeckman C. et alii 1990 : 81-82). La décolonisation congolaise avait cessé d’avoir pour seuls acteurs le Congo et la Belgique. A présent plusieurs protagonistes se retrouvaient dans l’arène : la Belgique, l’ONU, les États- Unis, l’URSS etc. La cible privilégiée de l’internationalisation de cette crise fut le Katanga.
1.2 Deux régions minières, deux sécessions
On considère habituellement que la sécession du Katanga prend ses racines dans la période coloniale, plus précisément dans les années 40-45. Il faut préciser qu’il s’agit là d’un fait européen avant d’être africain. Le « particularisme » katangais désignait bien moins les particularités propres aux autochtones de cette région que les conséquences d’une présence européenne massive et l’existence des puissants intérêts de la Société Générale. Rappelons ici le slogan en vogue au début des années 50, particulièrement auprès des Katangaleux (Belges du Katanga) : » cent mille colons belges avant dix ans ou bien le Congo ne sera plus belge ». Entre Blancs, on se plaisait à cultiver la différence entre la « capitale du cuivre » (Elisabethville) et la « capitale du papier » (Léopoldville) (Yakemtchouc R. 1988). C’est l’association des Blancs du Katanga – l’Union katangaise – qui inaugura les frustrations des « Katangais authentiques » ; ce qui amena ceux-ci, nous l’avons vu, à former un parti politique, la Conakat. A la Table ronde, la Belgique fut sensible au clivage entre « Katangais » et « Congolais ». Déjà auparavant, cette expression était de règle auprès des colons : « Moïse, c’est le seul nègre à qui on dit Monsieur » (De Vos D. 1975 : 176). Ces faits étaient connus et ne justifient pas à eux seuls le déclenchement de la sécession.
C’était une initiative plus spécifique à la période même de l’indépendance. Puisqu’il y avait mutation, pensait-on, autant s’en servir pour la muer en un événement souhaité de longue date. Au lieu d’un État, il y en aurait deux qui accéderaient à l’indépendance. Au cours du mois de juin, les fonctionnaires coloniaux déclarent eux-mêmes avoir étouffé dans l’œuf pas moins de trois tentatives préliminaires de déclaration d’indépendance de la part du Katanga. La première eut lieu, comme nous l’avons déjà noté, le 14 juin. Le Collège exécutif provincial proclama l’état d’urgence et mit en place le plan « troubles », ordonnant l’occupation militaire des points névralgiques de la ville. La deuxième coïncide avec la date fatidique du 28 juin. La police, fouillant les bagages de Frans Scheerlinck – un ancien agent de la Sûreté belge reconverti dans l’immobilier – à son retour d’Elisabethville, découvrit une lettre (sur papier à en-tête de la République du Katanga 1) l’accréditant comme ambassadeur chargé d’annoncer au roi des Belges et aux Etats-Unis la nouvelle de l’indépendance de la province minière à la date du 28 juin. On était le 26 juin [12]. La dernière tentative fut celle du 29 juin, soit la veille de l’indépendance. Les membres du corps consulaire furent conviés à l’Assemblée provinciale en vue d’y « entendre une déclaration importante du gouvernement ». Le projet fut vite contré et la proclamation de l’indépendance ne put avoir lieu.
On revint à ce projet lorsqu’il ne subsista plus aucune instance capable d’empêcher sa réalisation. Que se passa-t-il de particulier, ce 11 juillet, pour que la sécession du Katanga puisse être déclarée cette fois avec succès ? On était au lendemain de la neutralisation de la Force publique par les paracommandos belges. Les autorités katangaises avaient enfin le champ libre pour mener leur projet à bien sans craindre les représailles du pouvoir central. Non seulement celui-ci n’avait plus de défenseur au Katanga, il était même en mauvaise posture à Léopoldville. Tshombe le savait fort bien, puisqu’il en avait été témoin ; du 5 au 8, il y avait séjourné entre autres pour interroger le Premier ministre à propos de la part des ressources « katangaises » qui devraient être accordées à la province du Katanga. Sa mission tourna court et il assista à la dissolution de l’armée et aux hésitations du gouvernement central. Il ne réintégra le Katanga que le 9 juillet – deux jours avant le « coup d’État provincial » (De Vos P. 1975 : 168) [13].
Une seule instance pouvait faire obstacle à la sécession, comme cela s’était passé les 14 et 28 juin… : c’était le commandement métropolitain. Cette fois, il n’en fit rien. De plus, le chef du détachement venu de Kamina, le commandant Guy Weber, s’installa sur place. En moins de quatre jours, cet ancien officier de la Force publique, fils de colons, devint l’homme de confiance du président katangais qui lui confia la haute direction de toutes les forces armées du Katanga. Le Premier ministre belge Gaston Eyskens décida, au lendemain de la proclamation de la sécession, que tous les Belges en poste au Katanga devaient y rester. L’Union Minière déclara quant à elle que ses agents européens qui s’étaient réfugiés en Rhodésie devaient revenir. On avait là un prétexte justifiant la présence des troupes métropolitaines sur place et l’envoi de munitions. Dès le départ, le Katanga était fort militairement, bien plus que le reste du Congo. Non seulement il abritait Kamina, la plus importante base militaire du pays, mais il détenait également toute la flotte aérienne militaire du pays, les 6 «Fouga Magister» que comptait la Force publique (Weber G., 1983 : 110 et 115). En outre, le commandement belge local fut renforcé par l’envoi sur place du général Cumont, qui s’était de suite fixé pour objectif de s’occuper des réfugiés européens et de « soutenir le Katanga ».
Dans le même temps, un grand rassemblement de troupes envoyées directement par Bruxelles se tint à Elisabethville : quatre-vingt-six compagnies au total. Le général Cumont lui-même ne savait que faire d’une telle abondance de soldats (De Vos P., 1975 : 175 ; Boissonnade E., 1990 : 51-53). Peu de temps avant ce déploiement de forces, la Rhodésie britannique se déclara disposée elle aussi à soutenir le Katanga. Sir Roy Welensky, président de la Fédération des Rhodésies et du Nyassaland, était un grand défenseur de la sécession katangaise, sans être vraiment désintéressé. Les Anglais de Salisbury n’avaient pas abandonné le rêve de réunifier à leur avantage l’ensemble de la zone minière comprenant les deux Rhodésies (actuellement Zimbabwe et Zambie) et le Katanga. Les intérêts du capital international étaient en jeu. Apparemment ils n’entendaient faire aucune concession, surtout que le minerai se vendait fort bien à cette époque.
La Belgique se prêta à ce jeu ambigu, déclarant sans cesse s’opposer à la sécession, bien qu’elle ait passé pour en avoir été la cheville ouvrière grâce à l’intervention efficace d’une équipe de ses ressortissants chargés de gérer l’État katangais sur place [14]. La position «sécessionniste» de la Belgique, bien qu’officieuse, obtint l’aval de la famille royale. En juillet, le Katanga organisa une « Foire internationale » ; le prince Albert crut bon d’y prendre part. Plus tard, à l’occasion du mariage du Roi à Bruxelles, Tshombe se déplaça à son tour ; il reçut, pour la circonstance, les insignes de l’Ordre de la Couronne. Au demeurant, Baudouin 1er lui-même. 21 jours après avoir accordé l’indépendance au Congo, déclara lors de la fête nationale belge :
Des ethnies entières, à la tête desquelles se révèlent des hommes honnêtes et de valeur, nous ont conservé leur amitié et nous adjurent de les aider à construire leur indépendance au milieu du chaos qu’est devenu aujourd’hui le Congo belge (Boissonnade E., 1990 : 58-59).
L’allusion à Tshombe était à peine voilée. Cette caution discrète fut bien comprise et conforta dans sa mission l’équipe des militaires et techniciens belges qui entourait le président katangais. Ces « théoriciens » de la sécession du Katanga étaient tous membres de la « Mission d’Assistance technique belge au Katanga » dont la direction fut confiée au comte Harold d’Aspremont Lynden, l’ancien chef de cabinet adjoint du Premier ministre Eyskens, qui fut envoyé sur place [15]. Son équipe comptait donc plusieurs coopérants, parmi lesquels le professeur René Clemens de l’université de Liège, celui-là même qui rédigea la Constitution du Katanga. Les techniciens étrangers élaborèrent une version édifiante de la sécession pour justifier son fondement. Le Katanga y était présenté comme le noyau d’une future confédération des Etats du Congo. L’objectif poursuivi consistait à faire basculer dans le camp katangais les autres régions du pays, de sorte que l’unité du pays ne soit nullement compromise par le projet sécessionniste. Le Katanga lui-même y apparaissait comme une oasis de paix, un pays où Blancs et Noirs avaient les mêmes droits [16]. Mais ce discours ne circula que dans les milieux européens soucieux de se donner bonne conscience.
Chez les Africains, la proclamation de la sécession katangaise ne donna pas lieu à des réjouissances populaires, contrairement à celle qui avait été fêtée en grande pompe le 30 juin à Elisabethville. En fait, la sécession ne concernait que les bureaucrates. Lorsqu’elle fut rendue publique, une partie de la population katangaise n’y resta cependant pas indifférente : le Balubakat et l’ensemble du Cartel Luba contestèrent dès le départ l’initiative du gouvernement katangais et choisirent de s’inscrire en faux contre celle-ci. L’ensemble du fief des Luba Shankadi (Nord-Shaba) entrèrent en rébellion contre Tshombe. A Elisabethville même, il y eut des résistances. Au cours des 30 mois de la sécession, les Luba gardèrent leur position hostile au point que l’ensemble de l’itinéraire du Katanga indépendant ne fut pas de tout repos et connut une zone de guerre permanente dans sa partie septentrionale [17].
Le 8 août, comme on aurait pu s’y attendre, le Sud-Kasaï proclama lui aussi son « autonomie », dans des circonstances similaires, sous la pression discrète des forces extérieures. A la différence près que, au lieu de 1’Union Minière, c’est la Minière BCK qui l’imposa. Albert Kalonji lui-même l’a expliqué du haut de la tribune de la Conférence nationale souveraine (1992). Ecrasé par le poids des réfugiés chassés de Luluabourg comme du Katanga, Kalonji sollicita l’aide de la Minière de la BCK à Bakwanga, l’ancêtre de la M1BA actuelle. Son président, monsieur Cravatte, l’aurait rassuré en promettant de lui verser la part des dividendes dus à l’État sur le bénéfice et les droits de sortie du diamant pour la période de juillet à décembre 1960… « à la seule condition de proclamer l’indépendance et de se comporter en autorité publique pour éviter à la société de payer une seconde fois les impôts au gouvernement central ».
Et Kalonji de poursuivre :
Que pouvais-je faire d’autre avec, sur les bras, des milliers de femmes, des enfants et des hommes affligés, inconsolables d’avoir tout perdu et d’être devenus réfugiés sur leur propre terre ? Mais mon âme de nationaliste invétéré ne pouvait se résoudre à proclamer l’indépendance que nous avions déjà gagnée. Je me décidai à proclamer l’autonomie du Sud-Kasaï, pour sauver le peuple en danger de mort !
Décolonisation et 1ère république
Lucie Eyenga, la première voix féminine au micro, au cours des années 50.
1959, Patrice-Emery Lumumba devant les invités de l’université Libre de Bruxelles. A ses côtés, son proche collaborateur, Joseph-Désiré Mobutu, stagiaire à Inforcongo, le service d’information de la colonie (Photo Jean Guyaux, Bruxelles)
Premier diplôme d’ingénieur agronome remis par Mgr. Luc Gillon recteur de l’université à Pierre Lebughe, Kinshasa, le 28 juillet 1959. (Photo Congopresse.)
Le 30 juin 1960: les premiers animateurs de la démocratie naissante, de gauche à droite, debout et en grande tenue, Joseph Ileo président du sénat, Joseph Kasa-Vubu président de la république, Joseph Kasongo président de la Chambre des Députés et Patrice-Emery Lumumba premier ministre. (Photo RTNC)
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Ouverure de la Table politique à Bruxelles, le 26 avril 1960 à 11 h. au Palais des Congrès.
Vue d’une partie de la délégation congolaise. (Photo RTNC)
Le futur Premier ministre C. Adoula, «témoin» de I’engagement de collaboration entre le président de la république, Joseph Kasavubu et le Premier ministre Patrice-Emery Lumumba. (Photo RTNC)
Après le Conclave de Lovanium, à la conférence des pays non alignés à Belgrade, le vice-premier ministre A. Gizenga (à gauche) et le premier ministre C. Adoula (à droite, devant Bomboko le ministre des A ffaires Étrangères) entourent le premier ministre du Pakistan (Photo RTNC)
Le second souffle de Lumumba, Pierre Mulele, son ancien ministre de l’éducation nationale.