Chapitre 1. Aperçu de la ville de Kinshasa, de ses gangs et gangsters

Germain Kuna Maba Mambuku

Dans Le phénomène Kuluna à Kinshasa, Pages 17-44 (Editions M.E.S)

CHAPITRE I

APERCU DE LA VILLE DE KINSHASA, DE SES GANGS ET GANGSTERS

 1.  PANORAMA DE LA VILLE

1.1.  Brève esquisse historique de la ville

 

Créée en 1881 par Henry Morton Stanley[1], la ville de Kinshasa est successivement passée de simple station pour devenir district urbain et actuellement une grande métropole, capitale et siège des institutions de la République Démocratique du Congo.

Kinshasa s’étend sur 9.965 Km2, soit 0.42 % du territoire national, et est située à l’Ouest du pays entre 3.9 et 5.1 degrés de latitude et entre 15.2 et 16.6 degrés de longitude Est.

Elle est limitée au Nord-Est et à l’Est par la province de Bandundu, au Sud par le Bas-Congo, au Nord-Ouest et à l’Ouest par la République du Congo, sur une frontière liquide, formée par une partie du fleuve Congo.

Autrefois appelée Léopoldville, la capitale congolaise a vu en 1967, son appellation changée en Kinshasa, nom de consonance Teke-Humbu, habitants du littoral du fleuve au pool Malebo.

 1.2.  Kinshasa : une megapole malade[2]

 

Avec une population estimée à plus de huit millions[3] d’habitants, Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo présente une image burlesque attestant à bien des égards sa sénescence. C’est une agglomération qui a perdu et qui continue à perdre et peut être pour longtemps encore le standing d’une ville moderne en croissance si rien de concret n’est fait dans le sens de stopper cette dégradation. Malgré la mise en place depuis janvier 2007 de nouvelles institutions[4] issues des élections provinciales, la mégapole continue à fureter des voies et moyens pour faire face aux problèmes politiques, sociaux et économiques qui l’accablent.

C’est le cas de ses services publics en matière de transport, de santé, de loisir, etc. qui sont devenus vétustes et très loin de tout renouvellement que l’on se croirait même dans une agglomération qui a connu les affres de la guerre ! De plus en plus, Kinshasa tend vers la perte de ses rutilances pour ressembler du coup à une ville dégingandée. Le volume impressionnant de la circulation automobile, l’électrification, bien qu’avec un système de délestage quasi-hebdomadaire et l’escadrille médiatique la sauvent et la différencient de grandes cités de l’arrière pays.      René Divish, parlant justement de Kinshasa, n’hésita point d’affirmer non sans raison d’ailleurs que nous assistons de plus en plus à sa « villagisation ».[5]

Abordant dans le même sens, Didier Mumengi quant à lui dira: « les quartiers de Kinshasa étalent un spectacle de désolation. Leur image est celle d’un amas de bicoques. L ‘électricité, l’eau courante, les égouts y sont rares. Les dimensions des habitations sont modestes. Plus de 60% des familles occupent des logements dotés uniquement d’une à deux chambres à coucher. Dans l’ensemble, plus de quatre personnes vivent dans un logement d’une chambre. Plus de six personnes occupent un logement à deux chambres et plus de cinq personnes partagent une seule chambre à coucher. La majorité de la population vit dans un environnement malsain. La promiscuité est donc forte. »[6]

Selon le Document de Stratégie de la croissance et de la Réduction de la Pauvreté de Kinshasa, « 37.9% de la population (10.35% de la population totale) vivent en dessous du seuil de pauvreté selon les résultats préliminaires de l’enquête 1-2-3. La profondeur de la pauvreté y est de 11.55% et la sévérité tourne autour de 0.05. Près de 74 % des adultes sont analphabètes et en conséquence l’espérance de vie à la naissance est assez faible de part les niveaux faibles de composantes de cet agrégat… Les grands problèmes de développement de la Ville-Province tels que diagnostiqué sont : la faiblesse de la consommation et médiocrité des conditions de vie des ménages, le délabrement des infrastructures routières et difficultés de transport en commun, la prévalence du chômage, l’éducation de base non assurée pour tous, la précarité de la santé des mères et enfants, la faiblesse de l’environnement et tendance à l’extension des érosions, la fourniture de l’énergie électrique et la desserte en eau potable insuffisante et irrégulière, la faiblesse de l’habitat, des équipements collectifs et faibles accès aux services sociaux de base, la prévalence de l’épidémie à VIH/SIDA, la faible promotion du genre et l’insécurité généralisée. »[7]

Quelques détails, dans un esprit critique moins sévère mais très précis, secteur par secteur, permettent de cerner le degré de la dégénérescence de Kinshasa.

 

1.2.1. Sur le plan de la salubrité publique

Jadis, Kinshasa était la ville où la propreté et les règles d’hygiène publique ne souffraient d’aucun symptôme susceptible de doute. Elle fut pour cela qualifiée de « Kin la belle. » Ses immeubles, boulevards, quartiers et rues étaient régulièrement entretenus par des services compétents qui, dans l’axe de l’éducation, amenèrent la population à assimiler les notions pratiques de la salubrité publique.

Le « contrat sociétal » du respect des principes de l’assainissement environnemental est aujourd’hui brisé tant par les autorités publiques que par la population de Kinshasa rendant ainsi plus usuelle et bien réelle l’expression devenue populaire de « Kin la poubelle ». Certaines habitudes avilissantes comme cracher en plein air, pisser ou chier dans des endroits non appropriés, jeter des débris divers ou des ordures sur la rue comme l’on veut, sont devenues des faits ordinaires qui conduisent à analyser la nouvelle dimension de « l’inconscience collective » face aux problèmes de la salubrité publique. Il s’en suit que les sachets, les immondices, les feuilles mortes, les papiers usés, les carcasses des véhicules, les flaques d’eaux, les trous sur la chaussée, les érosions non maîtrisées, font désormais partie depuis quelque temps du décor officiel de la ville.

Les mauvaises herbes quant à elles poussent de partout et paraissent plus libres au point d’envahir rues, espaces publics et lieux stratégiques de la capitale. Tout comme les encablures des sièges des Institutions comme le Palais du Peuple[8], le Palais de la Nation[9], les cabinets ministériels, … sont non seulement jonchés d’herbes et des feuilles mortes mais n’ont surtout plus rien d’attrayant. Ces bâtiments, autrefois fascinants de par les aspects extérieurs bien soignés perdent du jour au jour ce qui faisait  leur splendeur.

Il en est de même pour des édifices publics comme les stades, les marchés, les ports fluviaux, les rues, qui ne sont plus épargnés de l’excoriation, offrant en spectacle un décor de l’insalubrité.

Il est évident que l’on semble perdre de vue qu’une ville, quels que soient sa taille, ses habitants, ses édifices, a grandement besoin d’un entretien permanent. C’est toute une culture que doivent intérioriser les autorités publiques ; et, une culture à inculquer à la masse populaire, pour que le milieu de vie soit toujours agréable et qu’il y fasse toujours beau vivre.

 

1.2.2. De la recrudescence des insectes, parasites et bêtes

Quelques insectes agents vecteurs des maladies, à savoir les moustiques, les mouches, les sangsues et les puces se multiplient effroyablement à Kinshasa. Rien ne semble arrêter leur reproduction ; pas même les mesures sporadiques des habitants de Kinshasa qui sont constamment étrillées par ces bestioles. Il en est de même pour les rats, les lézards, les araignées, les fourmis et les cafards qui ont, quant à eux, rejoint carrément l’ordre des animaux domestiques. Ce qui est étonnant, certaines personnes, au nom de leur religion font même des prières spéciales pour chasser ces « nouveaux animaux domestiques » sous prétexte que c’est l’œuvre des esprits maléfiques. Ainsi vont-elles jusqu’à exorciser ces bestioles ignorant éperdument que leur présence n’est qu’une conséquence logique de l’insalubrité.

Ce n’est pas tout puisque la situation est encore plus lamentable quand on sait pertinemment bien que plus personne ne semble encore être effarouché par le vagabondage des chiens, chèvres, poules et canards dont les propriétaires, faute de moyens pour en assurer pleinement la garde et la survie, les renvoient décidément à la débrouillardise. Raison pour laquelle ces bêtes circulent tout librement à côté des hommes à la recherche du pâquis, infectant et salissant la ville. Aucune disposition à ce jour en termes d’édits ou d’acte règlementaire n’est cependant prise pour stopper cette estampille.

1.2.3. De l ‘essor des bruits

Les bruits et tapages diurnes et nocturnes sont presque devenus habituels en dépit de nombreuses plaintes enregistrées. Des clapotis de la musique jouant à tue-tête dans des buvettes en plein air, des stridulations des véhicules sans tuyaux d’échappement, des vacarmes non mélodieux des églises, des bruits résultants des publicités incontrôlées des quelques entreprises commerciales utilisant des lances voix sans module de son et suspendues dans des véhicules faisant la ronde de la ville et des cris interminables des vendeurs ambulants surabondent quotidiennement la ville de Kinshasa au point de coloniser sans beaucoup d’efforts le silence collectif et de perturber le caractère flegmatique de certains milieux comme les hôpitaux, les écoles, les lieux de travail. C’est ainsi qu’il n‘est pas rare moins encore surprenant de retrouver dans certains milieux, une inscription marquée en grand : « silence. ici on travaille. » Question de ramener les loquaces à plus de raison. Mais aussi pour autant dire dans un autre registre que les bruits apparemment auraient dans la société Congolaise tout leur sens lorsque l’on ne travaille pas.

1.2.4. De l’état des véhicules

A côté de nombreux véhicules rutilants dont les incontournables 4×4 préférés désormais pour des raisons de praticabilité à cause de l’état défectueux de certaines routes, il y a cependant beaucoup d’autres véhicules roulant à Kinshasa qui ne sont pas épargnés de l’excoriation. Ils sont suffisamment amortis et méritent bien leur substantif de « kimbambala[10] » vu leur image invraisemblable. Ces véhicules, parfois sans phares, ni klaxon sont pour la plupart dépourvus de garnissage intérieur. Leur adaptation locale correspond exactement aux machines vétustes prêtes à la casse. Malgré cela, ils assurent avec grand risque le transport des passagers. Dans certains quartiers et coins comme Lemba-yimbu, Ndjili-brasserie, Kinsuka, … il n’y a que ces harnachements qui roulent ; tandis que dans d’autres coins par contre, ces « Kimbambala » n’assurent le transport qu’après 18 heures, les heures pendant lesquelles les agents de la Police Spéciale de Roulage cessent leur travail.

Parlant justement de ce fameux contrôle de la police, il sied de noter qu’il n’en est pas du tout un. En effet, très peu de véhicules roulant à Kinshasa sont encore en ordre sur le plan administratif et sécuritaire de la circulation routière. Ainsi par exemple, en dépit de nombreux efforts fournis actuellement par la Société Nationale d’Assurances, de nombreux véhicules ne sont toujours pas en ordre. En outre, rouler sans document de bord classique devient de plus en plus un fait normal. A la place d’une carte rose par exemple, c’est un nouveau document qui fait désormais autorité : « convocation. » Il s’agit d’un acte délivré par des autorités de la police attestant que les documents du véhicule ont été consignés pour infraction dans un poste de police.

C’est justement ce nouveau document qui est présenté aux roulages en cas de percussion souvent sans infraction. La percussion s’arrête une fois que le conducteur motive le policier de roulage avec un peu d’argent. Cet argent est systématiquement remis entre les mains de l’agent de Police tout en feignant de le saluer. Généralement, c’est un montant de cinq cents francs congolais, environ zéro point sept dollar que paie le conducteur en cas de non-infraction. Le montant est cependant décuplé au cas contraire. Cette pratique avilissante n‘est plus ésotérique. Elle porte même la dénomination codifiée de  « cowbel. »

Les problèmes se posent aussi en termes de pénurie grave de moyen de transports en commun, du délabrement d’infrastructures routières aggravant les embouteillages et de la faible intervention de l’Etat dans le secteur de transport public. Selon le Document de  Stratégie de la Croissance et de la Réduction de la Pauvreté de Kinshasa, le transport routier en commun est presque entièrement dans les mains des particuliers qui transportent 95,8 % des passagers par jour contre 4,2 % transportés les entreprises publiques.[11]

Avec un peu plus de discipline dans les rangs des Policiers de roulage, moins de complaisance dans leur chef quant au strict respect de la réglementation en vigueur, une prise de conscience des automobilistes pour ne pas être en marge de la loi et la recherche des investissements publics ou privés dans le secteur de transport routier conduiront certes à l’amélioration des conditions de la circulation routière dans la ville de Kinshasa.

1.2.5. Du délabrement des appareils aériens et ferroviaires

Certains avions survolant le ciel congolais partant de Kinshasa vers les autres provinces du pays passent pour des engins à grand risque ; et, un ancien ministre de transport et de la communication[12] eut le courage de les qualifier de « cercueils volants » et de « fula-fula[13]. »

Les conditions de voyage dans ces avions n’ont aucune commune mesure avec les règles aéronautiques étant donné que les marchandises et passagers sont parfois mis ensemble. Les Kinois ont même eu le plaisir de qualifier certaines compagnies aériennes de « Air makambo », qui se traduit par «Air problématique» à l’illusion de tout ce que les passagers subissent comme désagréments chaque fois qu’ils pérégrinent.

C’est ainsi que nous assistons à répétition aux nombreux cas de crash d’avions, dont la récurrence a réveillé quoique tardivement la conscience des autorités publiques.

Quant aux trains urbains, la situation est encore plus alarmante que désolante. En effet, à Kinshasa, il n’existe pas de trains à proprement parler. On les appelle « kibola bola » ce qui veut dire « pourriture. » Ces trains effectuent les lignes Kinshasa-Kasangulu, Gare Centrale-Masina tout en passant par plusieurs autres gares. Une personne non habituée y entrera en bonne santé pour en sortir malade. Il en est ainsi à cause des conditions infrahumaines dans lesquelles les passagers y sont disposés tout au long du parcours.

En effet, les voitures de ces trains sont dépourvues de sièges. En outre, les morceaux de fer jonchant l’épave de la machine sont toujours en branle-bas et prêts à blesser celui qui s’y accroche par inadvertance. On ne peut, par conséquent, douter du tétanos que la vermoulure de ces morceaux de fer pourra engendrer. Mais, jamais on en parle. Peut être il faut attendre, comme à l’accoutumer, que le secteur provoque d’abord autant de morts afin de pouvoir y penser et feindre d’agir!

1.2.6. De la floraison de marchés

Depuis les pillages de 1991 et 1993, on ne sait plus vraiment situer le marché à Kinshasa. Puisque que maintenant c’est partout que l’on vend quelque chose. Certains étalages occupent même la voie publique. Les marchés forment par conséquent un tout avec la chaussée empêchant même aux véhicules de circuler librement. C’est bien donc un danger permanent. Qui sait si la solution, ici encore, ne sera trouvée qu’après la survenance d’un accident grave ? Il en est toujours ainsi quand on perd de vue que gouverner, c’est prévoir. Et surtout, lorsque l’on ignore l’adage qui dit qu’ « un prévoyant n’a jamais regretté. »

Tout au long des rues, on retrouve sans surprise d’innombrables boutiques et étalages de misère. Quant à l’inscription « à vendre », elle est mise en vedette dans plusieurs endroits.  Sur les grilles de clôture, on peut facilement remarquer des écrits en craie blanche sinon en braise indiquant les biens en vente.

Le devant de portes de maisons n’est pas en reste dans la mesure où il y a une tablette qui y est stratégiquement placée où sont exposés quelques biens destinés à la vente. Même dans les bureaux officiels, quelques agents s’y arrangent pour vendre à crédit ou cash quelques articles. Les marchands ambulants viennent également y vendre. Bref, aujourd’hui, c’est presque tout le monde qui vend quelque chose.

C’est non sans raison qu’on a affirmé que tout se vend à Kinshasa et que tout peut se vendre. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir quelqu’un vendre sans moindre hésitation, la chemise qui est sur son propre corps. On dit alors sans gène que c’est une « affaire de likonda, ba bukanaka te », c’est-à-dire une affaire d’argent et jamais on ne la rejette. Certaines personnes disent même : « to teka mboka, pe mutu na mutu azua mille dol na ye ; pe muana na muana a bendana. » Ce qui veut dire : « vendons ce pays et que chacun ait sa part. » Ce qui est excessivement grave !

D’où la recrudescence des termes « coop » et « djenda », deux synonymes très usuels de plus en plus, qui veulent simplement dire « tout faire pour avoir l’argent. » Dès lors, c’est toute chose qui passe au crible de la vente et au marchandage. Même celles dont on pourra bien redouter. C’est le cas de l’eau vendue dans des sachets de fortune ou des bouteilles usées,  de l’huile placées dans de petits sachets, des savons morcelés en portion de moins d’un gramme, les mottes de sel, les boîtes de tomate morcelées …

1.2.7. De Types d’habitations

D’une façon générale, les quartiers de la ville de Kinshasa sont classifiés en cinq groupes selon leurs modes de production, la chronologie de leur création et le niveau de vie des ménages. Il s’agit des quartiers résidentiels, des quartiers des anciennes cités, des quartiers des cités planifiées, des quartiers excentriques et d’extension et enfin des quartiers semi-ruraux.[14]

Certes, il y a de beaux quartiers résidentiels avec des superbes villas comme il y en a de modestes, avec de drôles types d’habitations, où vivent la classe moyenne et la classe inférieure. A tout point de vue, les conditions de vie dans ces galetas sont en inadéquation avec tout confort. Il suffit d’aller dans les fins fonds de plusieurs communes notamment Lemba, Kinsenso, Selembao, Ngaliema, Kingasani, Kimbanseke et Limete ou dans les abords du fleuve Congo pour retrouver des maisons où il n’y a aucun élément physique qui contribue à la commodité matérielle et au bien-être. Il s’agit pour la plupart des maisons en tôles usées et/ou ramassées, en carcasse de voiture, en carton ou en bois de coffrage. C’est une situation à peine croyable puisque bien présente. Curieusement, les gens y vivent, les enfants y naissent… C’est bien cela leurs vie et conditions de vie.

1.2.8. De la pauvreté des habitants de Kinshasa

Le degré de la pauvreté à Kinshasa est très élevé. C’est effectivement une vie de misère au plus haut degré. Ce n’est pas exagérer d’affirmer que c’est vraiment « l’enfer » dans la ville.

En effet, si tout semble être difficile pour les Kinois moyens, à combien plus forte raison en sera t-il plus difficile pour la masse ? Ainsi, manger, boire, se vêtir, se déplacer, dormir, se divertir sont un casse-tête pour les habitants de la capitale congolaise.

Ainsi par exemple, les Kinois les moins nantis sont habitués à manger une seule fois par jour. On assiste même à un phénomène dit « délestage ya damage[15] » c’est-à-dire, l’on s’habitue de manger par alternance entre membres de la famille. Les familles nombreuses sont les plus exposées au système de délestage. La journée de lundi par exemple est réservée aux grandes filles tandis que celle du mardi aux grands garçons de manière à permettre aux plus petits de bénéficier quotidiennement de quelque chose à mettre sous la dent. De temps à autre, pour ne pas dire souvent, il y a effectivement des ménages qui passent des journées entières sans pour autant trouver quelque chose à préparer. De l’eau simple en ce moment là, eau difficilement trouvée d’ailleurs, faute des irrégularités avérées dans la fourniture d’eau potable, qui constitue d’office la ration alimentaire. Chaque membre de la famille doit alors jouer au jeu du « corbeau et le renard » pour calmer l’estomac.

La situation est d’autant plus critique quand on sait que les parents, généralement sans salaire, mal rémunérés ou encore sans emploi doivent aller chercher à l’aventure tout ce qu’ils peuvent ramener pour nourrir les membres de la famille. Ils ont pris la sapidité de se promener avec un sachet noir surnommé « on ne sait jamais », où l’on enfouit généralement tout ce qu’on peut trouver à l’image d’un chasseur qui sillonne sans espoir la vallée. Les résultats dans tous les cas peuvent être négatifs comme positifs. Au premier cas, c’est la désolation puisque rien n’étant trouvé, la famille crève de faim. Cela peut durer un ou deux jours selon les témoignages de plusieurs personnes qui reconnaissent avoir déjà passé et non une seule fois, des jours entiers sans toutefois trouver quelque chose à mettre sous la dent.

A force de chercher sans trouver à temps, c’est le second cas, certains parents reviennent parfois très tard dans la nuit, généralement après 21 heures ; heures auxquelles la pauvre maman commencera sa cuisine. Les enfants étant restés à l’état de veille, remercie le bon Dieu tout en chantant aussi dans la grisaille, à l’arrivée de leur père, la célèbre chanson « papa aye nzala esili » qui veut dire  papa est là, fini la famine !

C’est un modeste repas qui est alors préparé dans ce cas. Un repas sans assaisonnement au vrai sens du terme puisque la succulence et la saveur, éléments essentiels dans l’appréciation et la dégustation des mets ne sont plus pris en compte face au fondamental qui est de remplir le ventre.

D’autres personnes par contre, vont au champ, d’où elles ramènent des produits comme les feuilles de manioc, les tubercules de manioc, les légumes et divers fruits qu’ils prennent soin de vendre à prix dérisoire au petit marché ou chemin faisant avant de parvenir dans leur modeste demeure. L’argent ainsi obtenu servira à faire de petits achats pour nourrir la « pauvre famille » en entente.

Comment ne pas être profondément ému quand il faut voir de vieilles mamans transporter un lourd fagot de bois sur une distance d’environ dix à quinze kilomètres ; trajet du reste jonché des montagnes. Le comble, c’est quand on sait que pour ce dure travail, les « pauvres » ne réalisent pas un gain substantiel.

Certains parents qui n’en peuvent plus ferment les yeux lorsque leurs filles se livrent à la prostitution et les garçons dans la débrouillardise. Article 15 : « débrouillez-vous ! » disent-ils, la mort dans l’âme à leurs enfants qu’ils aiment tant et pour qui ils aspirent à une vie meilleure mais bloqués et incapables de les entretenir faute de moyens nécessaires.

Il va donc sans dire que vivre sans moyens substantiels à Kinshasa, c’est vivre dans une misère noire ; c’est aussi vivre sans vivre. Les gouvernements national et provincial, sans relâche, devraient dans l’optique de la bonne gouvernance, s’engager fermement sur la voie qui conduira vers une forte croissance économique susceptible de créer des richesses qui serviront à poser des actions sociales, économiques et politiques destinées à améliorer les conditions de vie de la population.

Pour terminer ce point, il importe de noter qu’il existe, par ailleurs, d’autres problèmes sociaux cruciaux comme le phénomène des enfants de la rue, la recrudescence des sectes pernicieuses, un taux assez élevé des chômeurs et des sans emplois, le phénomène des soldats déserteurs et celui du gangstérisme. C’est ce dernier phénomène qui est au centre de la présente investigation.

2. APPROCHE SEMANTIQUE DE GANGS ET GANGSTERS

2.1. Le gangstérisme

Le gangstérisme est un adjectif qui dérive du mot anglais « gang » qui signifie équipe ou clan. Ce mot qui a paru au crépuscule du vingtième siècle a vite acquis le tonus du banditisme suite à une montée outrée du banditisme aux Etats Unis d’Amérique ; et plus particulièrement à Chicago. Ainsi, le mot « gang » harponna la connotation de « Association des malfaiteurs » ou de « bande organisée » à des visées nocives.

Reconnut par l’Académie Française en 1934 comme concept usuel, le gangstérisme est dès lors emprunté pour qualifier des actes crapuleux de truands, de vagabonds, des voleurs et des pirates.  Aussi s’en sert-on pour qualifier tout comportement de brigandage.

Selon le Dictionnaire le Nouveau Petit Robert, le gangstérisme est un ensemble des activités criminelles. Il va sans dire que la définition donnée par le dictionnaire est simpliste. C’est effectivement approche sémantique qui est loin d’expliquer le gangstérisme de manière assez claire.

Remarquons qu’il n’est pas aisé de définir scientifiquement le gangstérisme. Quelques difficultés peuvent être épinglées à ce propos.

La première est celle qui démontre que le gangstérisme demeure un concept scientifique alambiqué parce qu’il renvoie à des valeurs et normes arbitraires ; ce faisant, il se définit plus par les réactions sociales qu’il provoque que par sa nature elle-même. Ce qui renvoie à l’explication juridique du gangstérisme.

La deuxième difficulté est celle qui renvoie le gangstérisme à un comportement des individus. En effet, le gangstérisme se comprend plus comme un état d’esprit qui dicte et influence la conception des faits, les actions et les réactions des personnes dans la société. D’où son explication psychologique.

La troisième est celle qui présente le gangstérisme comme un phénomène social complexe, mouvant et multidimensionnel dont la compréhension diffère d’un milieu à un autre selon ses formes apparentes. Ce qui conduit à une explication sociologique du phénomène.

2.1.1. Essai d’explication du gangstérisme

2.1.1.1. Explication juridique[16]

Selon les juristes, le gangstérisme est une infraction ; c’est-à-dire, un fait imputable à l’homme et sanctionné par la loi. Deux assertions permettent de déterminer le gangstérisme : appartenir à une association ou une bande des malfaiteurs et poser des actes criminels. Le gangstérisme se définit alors comme le fait d’appartenir à un groupe des criminels organisés dans le but de porter préjudice à la vie des personnes et à leurs biens.

Le Code Pénal Congolais, Livre II, de l’article 156 à l’article 158 stipulent : « toute association formée dans le but d’attenter aux personnes ou aux propriétés est une infraction qui existe par le seul fait de l’organisation de la bande. Les provocateurs de cette association, les chefs de cette bande et ceux qui y auront exercé un commandement quelconque seront punis de mort. Tout autre individu faisant partie de l’association et ceux qui auront sciemment et volontairement fournis à la bande des armes, munitions, instruments d’infraction seront également punis de mort. »

La faiblesse de l’approche juridique est l’absence de son expansivité. D’abord, il sied de noter que le code ne parle pas de manière spécifique du gangstérisme qui est simplement identifié et assimilé aux délits. Il y a ensuite une réelle difficulté de tracer une frontière entre le gangstérisme manifeste et le gangstérisme latent qui, du reste, a beaucoup de chances de passer outre la justice étant donné qu’il est difficilement identifiable bien qu’actif tout en étant au germoir. Cette approche enfin ne prend pas en compte l’évolution de cette infraction dans une dimension psychologique, c’est-à-dire, les ramifications du gangstérisme dans la perturbation du système affectif des hommes dans les milieux sociaux.

2.1.1.2. Explication psychologique[17]

Les critères de base à l’explication psychologique du gangstérisme sont constitués par les éléments de la personnalité de l’individu qui sont, du point de vue de la psychanalyse, de trois ordres :

  1. L’équilibre originel de l’homme que la théorie nomme le « id » (le ça) et qui comprend une énergie agressive destructrice, une tendance sexuelle et de conservation ;
  2. Le « ego » ou le moi qui se forme lorsque, au cours de l’évolution de l’homme, le processus de socialisation s’opère convenablement. Le « moi » est ainsi la capacité de prendre en considération la réalité de produire un effort, de réfléchir. Il s’agit en somme de ce que l’individu apprend au contact de la société ;
  3. Le superego (le surmoi), la conscience. Il est la part de la personnalité de l’individu que la société lui impose comme somme des comportements socialement admissibles.

La déviation (le gangstérisme pour notre cas) s’explique alors par le développement et la force de contrôle du moi et du surmoi. Autrement dit, le comportement déviant, principalement imputable au « id », c’est-à-dire, au monde inconscient fait d’énergies agressives et destructrices, apparaît comme l’issue de l’inter jeu des tendances naturelles non contrôlées.

C’est ainsi que Alexander et Staub par exemple, expliquent la survenance de la déviance en ces termes : « le criminel réalise dans son comportement ses mobiles instinctifs défoulés ; il agit comme agirait l’enfant s’il est pouvait…. »[18]

De l’approche psychologique donc, le gangstérisme est avant un « comportement maladroit », décelable dans le chef de certains individus, normaux ou anormaux qui trouvent du plaisir à se liguer en bande de malfaiteurs afin d’imposer leur loi dans un endroit qu’ils considèrent déjà comme leur giron.

Nous sommes bien ici en face d’un gangstérisme matérialisé, parce que manifeste de par des actes résultants du phénomène social antérieurement décrit. En effet, ce que les sociologues considèrent comme un « phénomène social », les psychologues quant à eux le considèrent comme un « comportement » à part entière. D’où, la nuance d’approche entre les sociologues et les psychologues.

Par ailleurs, les psychologues voient aussi dans le gangstérisme une question d’« état d’esprit » de certaines personnes qui se font passer pour des « plus fortes », des « intouchables » ou des « redoutables » en ébrouant soit la force physique.

De ce point de vue, le gangstérisme n’est plus seulement l’affaire des bandes au sens strict, mais calamistre le psychisme pour se présenter comme un ensemble des conceptions, des faits, d’actions ou des réactions qui ont pour caractéristique principale une sorte d’extravagance et d’arrogance qui donnent libre cours à l’usage d’une violence tant symbolique que matérielle.

Bref, le gangstérisme, du point de vue psychologique, est un comportement dévergondé et oblique au travers duquel certaines personnes normales ou malades mentales s’offrent le luxe pour des raisons émotives, de recourir à la violence comme mode d’action et de vie.

2.1.1.3. Explication sociologique[19]

 

Pour les sociologues, le gangstérisme est à considérer comme une « déviance sociale » ou une « pathologie sociale. »

La théorie sociologique situe le phénomène de déviance au niveau du système social. En effet, les sociologues admettent que la déviance reste liée à l’existence d’une norme et que celle–ci est érigée par la société qui fixe la limite entre le normal et l’anormal et crée les conditions d’existence de ses membres.

L’approche sociologique a donc pour objet l’identification des variables et processus du système social qui génèrent la déviance. En d’autres termes, les sociologues s’intéressent à la manière dont la culture et l’organisation du système social déterminent les composantes et les processus de la motivation et la distribution de différentes espèces de motivation dans et entre les systèmes sociaux. L’approche sociologique se concentre ainsi sur le milieu social de l’individu, d’où l’approche situationnelle de « Promont. »[20]

Ainsi admet t-on que le gangstérisme est un phénomène complexe qui apparaît dans une société où les individus se sentent plus libres au point d’entretenir une mosaïque de « mauvaises organisations. »

Les sociologues voient par conséquent dans le gangstérisme une essence du désordre pour plus de désordre et une frénésie exiguë visant subversivement la pérennisation d’un désordre là où règne un ordre social qui a cependant du mal à démontrer suffisamment les preuves de son efficacité. Par conséquent, il en découle dans un rythme non harmonieux d’innombrables et d’incontestables déviations sociales.

De par les explications qui précèdent, nous pouvons affirmer que le gangstérisme est un comportement antisocial au travers duquel certains individus, normaux ou anormaux, pour des besoins de conformisme personnel ou à la quête d’un auto satisfecit, se font passer d’une manière ou d’une autre pour les plus nantis et cela en posant des actes de nature à pérenniser les désordres et à perturber la paix sociale par un cycle spiral des violences.

Le gangstérisme est à comprendre aussi comme un cycle spiral des violences extravagantes au vrai sens du terme, perpétrées par un groupe des marginaux sociaux. Il est par ricochet synonyme de friponnerie, des viols, de canaillerie, de cambriolage, du banditisme, de maraudage, de larcin, des vols à mains armées, …

2.2. Le gang

Il n’y a aujourd’hui aucune définition convenue pour le mot « gang ». En effet, plusieurs définitions ont été apportées sur le mot gang ; cependant, chaque auteur semble trouver un défaut à la définition donnée par un autre.

De manière simple, un gang est un groupe organisé d’individus mus par des réactions émotives les conduisant à commettre divers types de violences et ce, au mépris total de l’ordre social existant.

Notons que dans le langage vulgaire à Kinshasa, c’est le « gangster » qu’on appelle gang. C’est bien là une confusion qui est liée tout simplement à l’ignorance du terme.

Le gangster, « kuluna » en jargon local, est un individu, membre à part entière d’un gang, dont la manière de concevoir, de voir, et  de faire les choses ne versifie qu’à la pérennisation de diverses formes de la violence et de ses conséquences.

 

3. ORIGINE DES GANGS ET GANGSTERS

Le gangstérisme est un phénomène urbain dont l’existence est amarrée à celle de toute ville. Ainsi, toute ville, qu’elle soit celle d’un pays développé ou sous-développé fait inextricablement face à une certaine forme de gangstérisme urbain.

Il en est ainsi à cause de la configuration des villes contemporaines. Celles-ci sont généralement subdivisées en deux zones. La première est souvent réservée aux « riches ». On y trouve un ensemble des mesures de sécurité. Le niveau de vie dans cette zone est assez élevé. Ses résidents sont « civilisés ». La seconde par contre est habitée par les citoyens moyens voire « ordinaires » pour n’est pas utiliser le mot « pauvre ». A l’outrer de cette zone, nous y retrouvons des baraquements. C’est là, en effet, que le gangstérisme prend généralement naissance.

Revenant singulièrement à la ville de Kinshasa, nous y retrouvons indubitablement la réalité sociologique décrite ci-haut. Quant à l’essor du gangstérisme, il y a lieu d’admettre qu’il préluda particulièrement après l’indépendance. Ainsi naquirent à Kinshasa des cercles des truands de rue tant dans des coins reculés que dans certains coins dit civilisés. Cependant, tout porte à croire qu’il ne s’agissait que des mouvements à très faible scansion.

En revanche, c’est au crépuscule de la transition, entre les années 1986 et 1990 que le gangstérisme prît de l’ampleur. Tout le monde constata alors la montée en flèche du banditisme urbain.

Cette période précède une nouvelle ère politique et ses balbutiements qui donnèrent aux jeunes Zaïrois de l’époque le goût effréné du libertinage, prélude de la culture gangstériste. Soulignons que cette culture baroque gagna non seulement du terrain à Kinshasa la capitale, mais elle se propagea à la vitesse du son sur pratiquement l’ensemble du territoire national.

Le premier fait majeur qui attisa la flamme du gangstérisme trouve son origine dans l’émulation que ce phénomène suscita dans le chef des certains jeunes Zaïrois après que les musiciens, qui sont du reste leur référence par excellence, eurent fait des compliments élogieux dans leurs albums à certains gangs de la commune de Kalamu. Cette « valorisation » poussa du coup les jeunes à se lancer dans la création des mouvements de quartier pour jouir aussi de ce « privilège». Mais l’aventure ne donna pas de résultats escomptés. Et très vite, les différents mouvements se transformèrent au fil du temps en des gangs.

Notons qu’il existe à Kinshasa un phénomène très smart dit « libanga », mot qui signifie littéralement « pierre », consistant à citer honorablement le nom d’un individu ou d’un groupe d’individus dans une chanson. Cela confère une grande valeur et notoriété aux concernés. C’est même un motif de fierté et d’ascension sociale au Congo. C’est pourquoi, il n’est pas inhabituel de voir même les plus hautes autorités politiques du pays y recourir.

Ainsi, le simple fait que les musiciens aient fait mention des écuries a poussé la plupart des jeunes à rêver la création des gangs sans trop en savoir les tenants et les aboutissants. Les premiers firent simplement motivés par la recherche du prestige tant qu’il était question pour les concernés de chercher à tout prix que l’on parle d’eux

Le second fait majeur, qui vient justement d’arc-boucler le premier est la recrudescence des cercles sportifs. Ce phénomène prît de l’ampleur selon René Devitch au soir des années 1991. En effet, il affirme que les jeunes firent motivés par le souci d’auto-valorisation dans une société où paraître fort et riche est la condition de visibilité ainsi que de confirmation de sa création en tant qu’individu.[21]

Ces cercles sportifs, du moins ceux de fortune pour la plupart, devinrent de véritables machines de production « d’hommes forts ». Ces derniers se transformèrent en « gars du coin » et en « voyous urbains » prêts et capables de tout mauvais coup.

Partant de ce qui précède, de nombreux jeunes Kinois prirent le luxe et le goût de créer dans leurs quartiers respectifs, des cercles sportifs qui constituent le socle sur lequel se pose encore le gangstérisme à Kinshasa.

4.  LES FORMES DES GANGS A KINSHASA

L’apparition des gangs à Kinshasa nous donne lieu d’en distinguer les formes latente et manifeste.

4.1.  La forme latente des gangs

 

Par forme latente des gangs, il faut entendre des organisations apparemment légales et promptes et qui ne donnent pas du tout l’air de gang, qui sont pourtant au fond, des cadres de prédilection du gangstérisme. C’est particulièrement le cas des cercles sportifs et des groupuscules de coin de rue.

4.1.1.  Les cercles sportifs

De par sa fonction sociale, un cercle sportif est un endroit adéquat où l’on maintient et entretient l’équilibre physique et psychologique de l’homme. Il y a lieu de scinder ces cercles en deux catégories. La première est constituée des cercles sportifs formels, c’est-à-dire légaux puisque ayant obtenu l’autorisation de fonctionnement du Ministère de la Jeunesse, Sport et Loisirs comme l’exige la loi en la matière. La seconde est constituée des cercles sportifs informels, donc illégaux. Néanmoins, dans l’une tout comme dans l’autre catégorie, on y trouve des traces du gangstérisme.

 4.1.1.1. Les cercles sportifs formels

Les cercles sportifs formels sont à la fois peu nombreux et peu connus dans la ville de Kinshasa. Ces cercles sont dirigés par des professionnels ayant pour la plupart fait des études de l’Education Physique.

Il requiert de noter que ces cercles formels ont l’avantage de disposer des infrastructures et des outils de base pour leur fonctionnement.  Il est vrai qu’à la limite, ces infrastructures et outils sont quelque peu vétustes. Tout de même, ils rendent service. En outre, il importe de relever qu’on y dispense une formation non seulement musculaire mais aussi mentale. Ce qui donne lieu aux règles et lois sur le mode de vie, de pensée et d’actions des « membres sportifs. »

Notons cependant que dans notre société du reste en crise, la rigueur dans la formation a perdu ses galons de la noblesse. Ainsi, le déviationnisme gagne peu à peu du terrain dans ces cercles. Il s’en suit l’émergence remarquable des membres indisciplinés.

Tout en étant membres de cercles formels, les disciples obstinés n’hésitent pas de se regrouper en duo ou en trio ; et commencer par la suite à poser des actes gangstéristes. Le comble est qu’ils sont rarement punis moins encore maîtrisés par leurs formateurs qui n’ignorent pourtant pas leur déviation sociale.  A l’outrer, ces disciples indisciplinés finissent toujours par se retrancher et former par conséquent des cercles informels qu’ils dirigent selon leur bon vouloir.

4.1.1.2.  Les cercles sportifs informels

Les cercles sportifs informels sont légions à Kinshasa. Les dénombrer n’est pas une mince affaire. On peut les retrouver dans pratiquement tous les quartiers de la ville.

Ces cercles ne sont ni créés ni dirigés par des professionnels. En revanche, ils sont l’œuvre de « nu maîtres ». Ces derniers viennent pour la plupart des cercles formels et de récurrentes scissions de cercles informels.

Au bout de quelque temps seulement après leur création, ces cercles voient généralement leur effectif s’élever à une vingtaine de personnes en moyenne. L’adhésion dans ces cercles est sans grande formalité. Il est simplement question que le nouvel adhérant prenne l’engagement de se conformer à la logique du cercle. Notamment l’obéissance fidèle au maître, le paiement de la cotisation, montant fixé unilatéralement par le chef du cercle et la participation régulière aux séances d‘entraînement.

Chacun de ces cercles se réclame d’une discipline sportive quelconque. Pour les uns, c’est le « full contact », pour les autres, c’est le « taekwondo », pour les autres encore, c’est la « boxe », le « karaté » ou le « yoga ». La liste n’est pas exhaustive.

Toujours pleins d’imaginations, les chefs des cercles trouvent de jolis labels pour désigner leur groupe afin de se distinguer des autres. Ainsi avons-nous le cercle « Moto Epela », « Bana Mura », « phoenix »…

Comme on peut déjà s’en rendre compte, ces cercles informels qui ne passent point au crible du contrôle et de la surveillance constituent des cadres par excellence du gangstérisme. Il en est ainsi parce que les membres de ces clubs sont sans formation et donc, dépourvus de discipline sportive.

4.1.2. Les  groupuscules de coin de rue

Point n’est besoin d’être un observateur avéré pour remarquer que la plupart de rues de Kinshasa sont occupées par des jeunes et même des papas qui s’y retranchent à la longueur de la journée, parlant et faisant tout et rien à la fois.

Ainsi entament-ils les discussions politiques le matin. Une fois le sujet épuisé, par un réflexe transitionnel fabuleux, ils ébrèchent les questions sportives qui seront à leur tour suivies des discussions musicales…

Au moment où les uns se livrent au plaisir de la loquacité, les autres se contentent des jeux de « cartes », de « dame », « de six », de « kickers » ou de «Pari Mutuel Urbain», PMU en sigle. Entre temps, ils consomment en extravagance les somnifères, la drogue et des liqueurs fortes sous la cadence de plusieurs chansons qui les amènent à oublier pour un temps leurs souffrances et misères.

Plus donc ces « gars du coin » retournent les pouces, plus ont-ils la latitude de recourir au banditisme pour avoir de l’argent afin de subvenir à leurs besoins. On peut pourtant bien se poser la question sur les sources de leurs revenus dès lors qu’il est de notoriété publique que ces jeunes gens sont sans emploi. La réponse est à trouver dans les jeux auxquels ils se livrent constituant en fait l’une des sources de leur revenu à côté de la mendicité qu’ils ont perfectionnée. Ce n’est pas tout puisque le soir et la nuit sont consacrés aux « nzodjing » selon leur propre terme, qui sous-entendent des actes illicites comme l’instrumentalisation des filles prostituées, les rackets, le vol…

Ces « gars du coin », à force de rester dans des conditions de misère et d’incertitude du lendemain, ont fini par développer avec le temps, des idées terribles de nuisance au point de croire et de faire croire que la voie qui conduit à la réussite dans la vie passe à coup sûr par le mal, le carnages, le vol et les tueries.

Ces groupuscules se distinguent aussi les uns des autres de par leur dénomination. Souvent, ils portent tous le nom générique d’« écurie ». Nous avons à titre d’exemple, les écuries suivantes : « les Allemands de Yolo », « Bana Bolafa », «  Soko Pablo »…

Notons qu’il existe une surabondance de mutuels, de fans club et d’associations des jeunes dans les quartiers de Kinshasa. Ces derniers ne doivent pas être assimilés aux groupuscules des coins, moins encore aux cercles sportifs informels, donc aux gangs. Cela en dépit du fait que ces organisations ne se conforment point au litera B du second alinéa de la loi N° 004/ 2001 du 20 juillet 2001 portant dispositions générales applicables aux Associations Sans But Lucratif et aux Etablissements d’Utilité Publique qui exigent l’agrément pour toute association avant de fonctionner.

4.2.  La forme manifeste des gangs

Les gangs manifestes sont des associations des malfaiteurs à part entière, créés dans le but d’opérer dans le mal, composés des membres, dont l’essence de vie ainsi que du travail se traduit par la violence, et qui, sans se voiler la face, agissent de pleine conscience tout en sachant par ailleurs qu’ils sont des « kuluna ». Du nombre de cette catégorie de gangs, nous avons les gangs cachés et les gangs visibles.

4.2.1. Les gangs cachés

La première paire de manche et non de moindre est constituée des gangs cachés. Il s’agit des castes bien complexes, en surnombre dans la ville, riches et efficaces dans les opérations négatives qui justifient de fourmillants coups dans notre société.

 

4.2.2.  Les gangs visibles

L’autre paire est constituée des gangs visibles qui sont des organisations des malfaiteurs fonctionnant de manière lunatique. Leur vraie nature est quelque fois dissimulée. Nous en avons deux types :

Le premier est celui que l’on retrouve aujourd’hui dans plusieurs communes. Leur existence est un secret de polichinelle. Tout le monde d’ailleurs en parle et en sait quelque chose.

Les membres de ces gangs sont connus. Aussi certains d’entre eux sont-ils passés sous les verrous à plusieurs reprises. Ils ont été par la suite libérés. Ce n’est pas pour autant qu’ils aient abdiqué avec leurs activités. Bien au contraire, ils continuent à opérer encore plus visiblement qu’avant.

Le second type est constitué des gangs des enfants de la rue, généralement sans dénomination. Ces gangs sont de vraies machines de destruction de la paix et de la sécurité publique.

Notes de bas de page

[1] Henry Morton Stanley a atteint  pour la première fois le site de la Ville le 12 mars 1878 lors de sa traversée d’Est à l’Ouest du continent africain. En 1881, il signe le « traité de l’amitié » avec le Chef Teke Ngaliema grâce auquel il a pu obtenir le droit d’établissement à l’emplacement de l’actuel Commune de Kintambo où il fonda un poste qu’il baptisa plus tard « Léopoldville » en l’honneur de son patron Léopold II. 

[2] SHOMBA KINYAMBA, op.cit, pp.61-63.

[3] Il n’y a aujourd’hui aucune donnée statistique officielle sur le nombre exact des habitants de Kinshasa. Cependant, certains auteurs avancent le chiffre de sept ou huit millions ou encore onze millions d’habitants. Selon Populstat, en 1945, la capitale du Congo-Belge abritait 100 000 personnes. A l’indépendance, en 1960, Léopoldville comptait 400 000 personnes. Quinze ans plus tard, sa population avait atteint le cap de 2 000 000 d’habitants. En 1998, le  nombre d’habitants de Kinshasa envoisinait 4 787 000. Les estimations actuelles avancent  le nombre de  7 500 000 âmes tout en projetant  le chiffre de 15 000 000 de personnes en 2015.

[4] Depuis janvier 2007, la ville-Province de Kinshasa a de nouvelles institutions conformément à la Constitution de la troisième République. La ville est présentement dirigée par un Gouvernement Provincial, comprenant un gouverneur, un vice-gouverneur et 10 ministres provinciaux.  L’Assemblée Provinciale est l’autre institution  de la ville, composée de 48 députés provinciaux,  qui contrôlent l’action du Gouvernement Provincial.

[5] DEVISCH,R., « Violences à Kinshasa, ou l’institution en négatif », (.Dir.) Jewsiewicai B., Discipline et déchirures: Les formes des violences, in Cahier d’Etudes Africaines, Paris,  E.H.E.S.S.,  Vol 150-152,  PP441-470, 1998, P.445.

[6] MUMENGI, D., L’avenir à bras le corps. Prospective pour le développement de la R.D.Congo, Kinshasa, EUA, 2001, P.31.

[7] Document de  Stratégie de la Croissance et de la Réduction de la Pauvreté de Kinshasa, P.2.

[8] Palais du peuple : siège du Parlement (Assemblée nationale et Sénat)

[9] Palais de la nation : siège de la Présidence de la République

[10] Kimbambala. Mot kinois qui signifie : amortissement très avancé. Ils sont souvent utilisés pour désigner les véhicules qui circulent à Kinshasa.

[11] Document de  Stratégie de la Croissance et de la Réduction de la Pauvreté de Kinshasa, p.21.

[12] Eva MUAKASA, Ministre honoraire de transport et des voies de Communication, de 2004 à 2006.

[13] Fula Fula. Nom donné à un type des gros véhicules avec une carrosserie aménagée pour accueillir des passagers et qui effectuent le transport urbain à Kinshasa. Ces véhicules sont surtout reconnus pour leur désordre à bord. Et les passagers sont souvent debout. Les marchandises et les hommes sont souvent  mis ensemble. 

[14] OTSCHIA S., Les déterminants de la qualité de l’habitat à Kinshasa. Approche parle modèle biproboit (probit bivari), Mémoire de licence en Sciences Economiques et de Gestion, Université de Kinshasa, 2005-2006, p.23.

[15] Dans le jargon kinois, damage veut dire nourriture

[16] THILZENGI wa KABAMBA, Droit Pénal, Cours inédit, Première Licence SPA, FSSAP, UNIKIN, 2002-2003.

[17]  BOFAMBU, A., Pathologie Sociale, cours inédit, Première Licence Sociologie, FSSAP, UNIKIN, 2004-2005.

[18] BOFAMBU, A., op. cit, p.28.

[19] BOFAMBU, A., op.cit. , pp 26-28.

[20] Idem.

[21] DEVITCH, R. art.cit, p.442.