Bref débat conceptuel

Léon Tsambu

Dans Histoire de la musique populaire urbaine congolaise, Pages 3-4 (Bokundoli)

BREF DEBAT CONCEPTUEL

La musique populaire urbaine congolaise est une musique moderne, car née de la colonisation et de l’espace urbain. Qualifiée de populaire, elle exclut donc toutes les autres musiques modernes tels les fanfares militaires, les chœurs religieux ou toutes les musiques inspirées de la musique occidentale savante ou classique. Cependant, en tant que musique moderne, ou mieux de variétés, elle n’a pas de limite quant à ses sources d’inspiration, à savoir la musique classique et populaire occidentale, les musiques afro-américaines, le folklore, les musiques ethniques, les  cantiques religieux. Et en tant que musique populaire, elle est une musique d‘apprentissage et d’exécution libres, très dépendante de la psychologie des masses urbaines, de la technologie moderne (instruments, studios, médias), des buts commerciaux[1] et de la quête du vedettariat (star system), autant qu’elle est pratiquée par des amateurs à côté des professionnels. Pensée d’abord comme une musique des plaisirs profanes, de la radio-télévision, des bars,  la musique populaire urbaine congolaise intègre aussi le genre religieux depuis l’émergence des vedettes  et orchestres exécutant des variétés religieuses (musique gospel) commerciales en marge du mouvement néopentecôtiste de Réveil spirituel.

Plus connue sous le vocable de rumba (congolaise), ce terme dérivé de nkumba ou kumba (nombril en langue kongo) désigne une musique ou une danse en couple à caractère charnel de frottement des nombrils  introduite dans les colonies espagnoles des  Caraïbes au XVIIIe siècle par les esclavages venant  du royaume Kongo.  A son retour sur les berges du fleuve Congo, entre 1934 et 1938 d’après le journaliste Ossinonde[2] — mais plutôt à partir des années 1940 à travers les disques afro-cubains dans la colonie belge –,  et grâce aux apports des migrants ouest-africains qui s’installent dans la colonie belge avec leur musique, le high life, mais aussi des musiques ethniques locales et des musiques occidentales, la rumba, qui a été célébrée au Cuba sa terre d’accueil, aux Etats-Unis et en Europe, deviendra un genre moderne typiquement congolais, national, partagé par les deux Congo.

Didier Mumengi[3] en donne au départ une origine mythique puisée dans la cosmogonie kongo, avant son exil à Mantazas (Cuba) et son retour sur les berges du fleuve Congo. C’est alors qu’il retrace les péripéties de son évolution et le souci d’en faire un secteur industriel, soit économique au même titre ou en lieu et place du coltan, du cuivre, rejoignant ainsi un débat que j’avais déjà amorcé dans une réflexion antérieure[4].     L’enseignant ou le lecteur peut aussi se référer, au-delà de  l’ouvrage  physique de Mumengi, à la version documentaire  en ligne[5].

Aujourd’hui la rumba  désigne un ensemble de rythmes, de paroles, de mélodies et de danses que la RDC se partage avec sa voisine la République du Congo. Ce qui justifie la démarche mutualisée que les deux Etats ont menée pour l’inscription de cette musique sur la liste représentative du patrimoine immatériel universel de l’Unesco en 2021.     

[1] Lire Lonon Malangi B., Kallé Jeef et la musique zaïroise moderne, 1951-1984 », particulièrement le sous- point « Concept de « Modernisme » », in Editions Lokole, Hommage à Grand Kallé, Collection « Témoignages », p. 59-66.

[2] « La période 1930-1950 marquée par l’avènement de l’air « Rumba  » (2) », ACP Congo ? URL : https://acpcongo.com/index.php/2021/08/10/la-periode-1930-1950-marquee-par-lavenement-de-lair-rumba-2/, 10 août 2021, consulté le 22 mai 2022.

[3] D. Mumengi, La rumba congolaise. Histoire et économie , Editions  L’Harmattan  RDCongo,  2019.

[4] L. Tsambu Bulu, « Épure d’un développement de l’industrie du disque congolaise par le mécénat privé », in Revue africaine des médias, Council for the Development of Social Science Research in Africa., volume 13, numéro 2, Codesria,  2005, p. 36-67.

[5] La rumba congolaise, histoire et économie I film-documentaire (Didier Mumengi). URL : https://www.youtube.com/watch?v=qUn-vNnA_r8