Chapitre 9. Le démantèlement forcé des gangs

Germain Kuna Maba Mambuku

Dans Le phénomène Kuluna à Kinshasa, Pages 117-124 (Editions M.E.S)

CHAPITRE III 

LE DEMENTELEMENT FORCE DES GANGS

 

L’Etat Congolais, s’il veut rester crédible, doit être en mesure d’apporter une réponse nette aux problèmes de la société, dont celui du gangstérisme. La solution oscille entre la répression et la prévention, doublées dans l’un comme dans l’autre cas d’une forte intervention de la justice.

Une analyse comparée de certains pays occidentaux, notamment la France, nous permet de nous apercevoir que le gangstérisme y demeure une question délicate et persistante, surtout dans les banlieues. Ils ont par conséquent adopté des mesures pragmatiques et efficaces y relatif. Laurent Mucchielli affirme quant à ce : « la plupart des instruments de durcissement de la répression qui ont été mises en place ces dernières années visent exclusivement la délinquance des jeunes des quartiers populaires : augmentation des effectifs de police, création d’unités policières spécialisées dans la lutte contre les « violences urbaines », accélération des procédures judiciaires (traitement en temps réel, comparution immédiate), mise en place des Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance et des maisons de justice où officient des « délégués du procureur de la République » qui peuvent prononcer des peines mineures sans que l’accusé bénéficie d’un avocat et d’un procès contradictoire. Il importe de bien comprendre que cette mobilisation croissante des pouvoirs publics dans la lutte contre la petite délinquance et les « violences urbaines » (catégorie fourre-tout qui est d’origine policière mais qui s’est imposée dans le débat public) est une des causes directes de l’augmentation des faits constatés par la police. »[1]

Le démantèlement forcé des gangs, une démarche répressive,  a pour vocation la mise en déroute pure et simple des gangsters. C’est ici où il sied de mener manifestement la vie dure aux gangsters au point de les retrancher de la sphère de toute vie publique. C’est ce qu’essaie de faire le gouvernement de la République Démocratique du Congo qui a encore du pain sur la planche (arrestations par vague des gangsters de Kinshasa et leur acheminement vers des prisons de provinces, à savoir : Bulowo, dans le Katanga, Angenga, dans la province Orientale, Osiwo et Bulambemba à l’Equateur,…).

Ce chapitre aligne deux types de propositions des solutions : actions coercitives et actions éducatives.

1. ACTIONS COERCITIVES

 

1.1.    L’usage de la force

 

Il est évident que l’Etat est le détenteur du monopole de la violence qu’il ne peut partager. Il l’utilise dans le but de faire respecter la loi dans son ensemble. Etant donné que l’Etat se définit comme une entreprise de monopolisation de la violence physique légitime, l’essor du gangstérisme ainsi que ses ramifications sont particulièrement graves du point de vue politique puisqu’ils remettent en cause les aptitudes de l’instance étatique à défendre ses citoyens, laquelle est la base du pacte social, sa promesse.

Voilà pourquoi tous les Etats modernes utilisent sans réserve les prérogatives de la puissance publique quand il s’agit de défendre la vie et les intérêts de la population.

Face au problème du gangstérisme dans la ville de Kinshasa, l’Etat ne sera nullement condamné pour avoir déployé toute sa force en vue d’y mettre fin. C’est le contraire qui serait une erreur monumentale aux conséquences lamentables et inimaginables.

Selon une opinion largement répandue : « les Congolais ne comprennent que le langage de la force.» Cette idée vaut son pesant d’or dans la mesure où elle a démontré ses preuves dans un certain moment de l’histoire de la République Démocratique du Congo. Pour corriger les Kinois, habitués à se mettre à trois sur le siège avant dans les taxis bus, il fallait tout simplement recourir à la chicotte. Pour mettre fin aux vols et rançonnage au marché central de Kinshasa en 1997, les militaires de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération recoururent sans complaisance aux coups de fouet.

Une répression forte et bien planifiée, non pas à l’image de feu de paille, réduira les « Kuluna » à leur plus simple expression et conduira à la diminution sensible des actes de violence dans la ville de Kinshasa.

D’où, la nécessité d’un plan stratégique de traque et d’arrestation des gangsters sur l’ensemble de la ville de Kinshasa, mis en place par les pouvoirs publics et exécuté par la police. C’est ce que nous appelons la « chasse aux gangsters ».

Quelques précautions doivent cependant être prises en termes des garde-fous pour garantir et encadrer l’exécution du plan stratégique. Avant tout, la conception du plan stratégique sur base des informations fiables recueillies à l’issue d’une ou de plusieurs enquêtes minutieusement menées. Une telle tâche pourrait bien revenir à une structure autonome, relevant directement du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité fonctionnant comme une « cellule anti-gangstérisme. » Pareille structure pourrait même avoir la vocation de devenir un organe public de la lutte contre le gangstérisme en République Démocratique du Congo. De son efficacité dépendra alors celle de l’Etat dans la lutte contre les « kuluna. »

Ensuite, la disponibilité des moyens matériels, logistiques et financiers pour que le plan ne soit grippé pendant son exécution et enfin, un suivi et une évaluation quasi-permanents pour éviter les dérapages dans l’exécution du plan.

1.2. La redynamisation de la Police

 

La police Nationale du Congo est en pleine réforme grâce à l’appui de nombreux partenaires étrangers. Cette réforme vise à la rendre plus apte, plus compétente et plus dynamique dans le maintien de l’ordre public et dans la sécurisation des personnes et de leurs biens.

Comme aux problèmes spécifiques, il faut des solutions spécifiques ; au gangstérisme, il requiert une approche d’action particulière du genre de la « police de proximité », dont le renforcement de la présence dans les zones sensibles à travers les bouclages fera certainement craindre aux jeunes la nouvelle dimension de traque sur eux. Et pour faire face aux actions spontanées des gangsters, cette police de proximité devra être en alerte et prête à intervenir à tout moment. Il lui faut aussi de meilleurs équipements dissuasifs capables de faire craindre aux « Kuluna » un renforcement de contrôle pesant déjà sur eux.

Le piège à craindre pour les policiers qui seraient commis à cette  lourde tâche se situe au niveau du relâchement et de la démotivation. Le relâchement serait une conséquence logique de sape de leur travail par de diverses interventions de leurs supérieurs hiérarchiques, qui, sous la pression des politiques, épargneraient les gangsters interceptés de la rigueur de la loi. Les policiers qui constatent, sans mot dire la déambulation des gangsters sensés être sous les verrous, risquent dans l’avenir de ne pas fournir les mêmes efforts que précédemment, car ils resteront convaincu que rien n’est sérieux dans leur démarche Ils trouvent alors avantageux de traiter eux-mêmes et directement avec les gangsters. D’où, la complaisance et la complicité que l’on a toujours déplorées entre policiers et malfaiteurs.

Le trafic d’influence, la légèreté dans la prise des décisions, la culture de l’impunité, la justice à deux vitesses constituent des épines qui minent et ruinent le système politique de la République Démocratique du Congo tout en jetant de l’opprobre sur l’ensemble de la clase politique, qui a perdu, pour l’opinion publique Congolaise, toute sa considération et sa crédibilité.

Le niveau de la démotivation devrait être cerné dans l’optique de l’absence ou de l’irrégularité dans la rémunération des agents de l’ordre commis dans les opérations de bouclage ; puisqu’ils finissent par abdiquer aux objectifs principaux leur assignés pour se démarquer dans diverses tracasseries, qui constituent un autre problème de la sécurité urbaine.

1.3. La destruction des lieux de retranchement des gangsters

 

Il va sans dire que les gangsters ont des lieux sûrs où ils se retranchent pour planifier les actions à mener. C’est le cas de lieux d’entraînement ou les bords des rivières où généralement ils fument du chanvre et se cachent lorsqu’ils redoutent une réplique policière. Il s’agit pour eux de vraies bases et des quartiers généraux indestructibles au vu de leur caractère circonspectif.

La mise en demeure de ces lieux empêcherait aux gangsters de se rencontrer allègrement. Le plus dur à faire est la localisation ces lieux. Une fois ces endroits maîtrisés, dissipés, ils seront alors condamnés à la clandestinité, mais ils devront une fois de plus être poursuivis jusqu’à leur anéantissement total.

1.4. L’intervention de la Justice.

La justice est la garantie par excellence de la paix sociale. C’est à travers elle que l’ordre, la tranquillité et le respect des personnes et des biens sont assurés dans la société. L’institution juridique qui organise la société a prévu un appareil judiciaire qui comprend les cours et tribunaux, chargés de juger diverses infractions. C’est à ce niveau précis qu’il sied de relever l’intervention de la justice dans la lutte contre le gangstérisme, que nous n’hésitons pas de considérer comme une infraction à part entière, qui mérite de toute évidence une justice punitive ou répressive pour établir et rétablir l’ordre par l’imposition d’une souffrance justement proportionnée.

Cela pour autant dire que les gangsters qui tombent dans les filets des hommes en uniforme doivent être non seulement arrêtés mais aussi entendus, jugés et condamnés pour leurs actes. L’objectif de la peine à cet effet est la dissuasion tant pour le condamné –afin de ne pas récidiver- que pour les autres membres de la société.  Pour extirper aux gangsters le goût de la violence, des crimes et de la perturbation de l’ordre public, ceux d’entre eux pris dans les rets devraient donc subir sans circonspection la rigueur de la loi.

En même temps, l’approche de la justice réhabilitative ne doit pas être oubliée encore moins abandonnée dans la mesure où elle implique le traitement et l’assistance des gangsters, qui doivent être considérés comme des malades qu’il convient de guérir, d’assister de manière à leur permettre d’adopter dans l’avenir un comportement conforme à l’idéal de la vie en société. Cette assistance doit revêtir également l’aspect de formation professionnelle pour permettre aux anciens gangsters d’avoir une occupation qui assurera leur survie et sa réintégration sociale après le passage en prison.

Entre-temps, la réflexion doit se poursuivre en termes des dispositions réglementaires sur gangstérisme en République Démocratique du Congo. Ne dit-on pas que dans la situation exceptionnelle, il faut une réglementation exceptionnelle ? De ce fait, plus que jamais, il y a l’opportunité  d’enrichir de l’appareil judiciaire de la République Démocratique du Congo des moyens juridiques pour mieux se pencher sur le dossier des violences urbaines.

2.      ACTIONS EDUCATIVES : UNE DIDACTIQUE INTEGREE

La formation et l’information sont deux facteurs importants qui accompagnent toujours l’action coercitive. L’idée ici est de jeter un pavé qui puisse permettre à la communauté kinoise, en général, et aux jeunes, en particulier, de cerner les méfaits du gangstérisme et l’intérêt de s’en méfier. Une telle approche à l’avantage de réduire sensiblement l’essor du gangstérisme à Kinshasa. Pour y arriver, trois leviers de socialisation: l’éducation, les médias et  la sensibilisation populaire.

2.1.   La socialisation des jeunes par la voie pédagogique

En tant que l’un des moyens efficaces utilisés par toute société pour le renouvellement des conditions de son existence, l’éducation est appelée à jouer un rôle capital dans la lutte contre le gangstérisme. Sans oublier l’autre fonction de l’éducation qui consiste à préparer l’individu à comprendre les enjeux, l’environnement et la civilisation dans lesquels il vit. D’où l’impérieuse nécessité d’inculquer des valeurs d’éthique et humaines aux enfants et aux jeunes qui sont sur le banc. Ce sont ces valeurs culturelles qui leur empêcheront de rejoindre les gangs.

2.2.   La socialisation par la voie médiatique.

Les médias ainsi que les autres moyens de communication sociale ont toujours eu un rôle prépondérant à jouer dans le changement des mœurs, surtout celles des jeunes. Il sied donc d’utiliser les stations de radio et les chaînes de télévision pour démonter les méfaits du gangstérisme sur les gangsters en particulier et sur l’ensemble de la population en général.

2.3. La campagne de sensibilisation contre le gangstérisme

Etant donné que les gangsters potentiels sont les jeunes qui n’ont pas été à l’école ou sinon qui n’y vont plus, il faut par conséquent les cibler pour leur inculquer les valeurs d’éthique, du savoir-vivre, du savoir- être et du savoir-faire. Pour y arriver, il faut faire appel à l’implication directe des autorités publiques. Aussi, faut-il associer les faiseurs d’opinion, parmi lesquels les musiciens et les comédiens. Ils devront, à ce propos, égratigner à fond la culture et le mode de vie gangstériste.

Notes de bas de page

[1]  MUCCHIELLI L., « misère du débat sur l’insécurité », in Journal du droit des jeunes, n° 217, 2002, p. 20.