Chapitre 8. La destruction des socles du gangstérisme

Germain Kuna Maba Mambuku

Dans Le phénomène Kuluna à Kinshasa, Pages 111-116 (Editions M.E.S)

CHAPITRE VIII

LA DESTRUCTION DES SOCLES DU GANGSTERISME

 

Il va sans dire que le gangstérisme tire toute sa subsistance de neuf facteurs à la base du gangstérisme qui ont largement été exposés au cinquième chapitre de la première partie. Le vider de sa substance est l’un des moyens efficaces pour y mettre fin. En d’autres termes, il s’agit de déraciner les piliers du gangstérisme dans la société.

L’exercice est complexe dans la mesure où sa résolution implique l’amélioration pure et simple des conditions de vie quotidienne de la population congolaise dans son ensemble. Cette amélioration qui doit être progressiste, équilibrée et continuelle peut bien se faire dans le cadre d’un processus de mise en place des politiques publiques dans tous les secteurs de la vie nationale. Cela implique comme préalables, la stabilité institutionnelle, la consolidation de l’Etat de droit, la conscience populaire et des dirigeants politiques visionnaires et pragmatiques qui conçoivent et appliquent fidèlement leur programme d’actions sensé conduire à l’essor de la République Démocratique du Congo.

1. LA STABILITE INSTITUTIONNELLE

 

Un Etat en crise ne saura réaliser aucun projet de développement. Sa situation d’instabilité demeure alors un frein qui empêche la poursuite des objectifs de la croissance car tous les efforts et énergies demeurent focalisés dans la résolution de la crise.

Loin de nous l’idée d’affirmer qu’il existe une crise institutionnelle en République Démocratique du Congo. En effet, depuis les élections générales de 2006, le pays connaît une stabilité institutionnelle réelle, bien qu’une partie du territoire nationale à l’Est du pays précisément soit encore sous les effets de la violence et des bottes de guerre. C’est ainsi que Banza L. et Bayolo H. paraphrasant Human Rigth Watch disent à juste titre : « Sur papier, le pays se trouve sur le chemin de paix mais dans la pratique, c’est loin d’être le cas. Dans bon nombre de régions à l’Est de la R.D. Congo, telles que l’Ituri, le Sud Kivu et le Nord Katanga, les combats se poursuivent et s’accompagnent de violations massives des Droits de l’Homme, des violences sexuelles… et elles se poursuivent  pratiquement en toute impunité sur l’ensemble du pays.»[1]

Cependant la préoccupation ici réside dans la pérennisation de la stabilité politique, gage d’un climat politique calme qui ouvre la voie à la réalisation des projets sociétaux. Cette stabilité se conserve et s’entretien par le respect du pacte social entre le peuple et les dirigeants.

L’anarchie, conséquence logique de l’instabilité politique est un facteur non négligeable dans la poussée de la culture gangstériste. L’instabilité politique donne lieu à une diversité de comportements ou d’actes individuels, interpersonnels ou même collectifs susceptibles de renouveler le cycle des violences urbaines, expression par excellence de la manifestation gangstériste.

2. LA CONSOLIDATION DE L’ETAT DE DROIT

 

Incontestablement, l’Etat de droit permet à n’importe quel pays du monde de sortir de la caverne de la vie publique obsolète, afin de commencer à grimper vers toutes les cimes d’une société démocratique et développée.

La consolidation de l’Etat de droit est un processus et un combat perpétuel que doivent continuer à livrer la société civile, les forces politiques et la population.

Il existe des principes fondamentaux qui constituent le socle sur lequel se pose un Etat de droit. C’est notamment le respect des droits humains, le fait pour les dirigeants politiques et les gouvernements de répondre de leurs actions devant les peuples grâce par la mise en place des mécanismes de gestion et de contrôle clairement définis et transparents ; l’accessibilité à l’information pour permettre le contrôle de l’action de l’Etat.

L’abus dans l’exercice de la « violence légitime » est l’un des principaux éléments qui établissent le rapport entre un Etat de droit et un Etat dictatorial. Le pouvoir en ce moment là s’impose par des mécanismes anachroniques dont l’instrumentalisation des gangs.

Il se crée alors une situation de désordre dans la cité où c’est la loi du plus fort, du plus influent ou du plus rusé qui est respectée avec toutes les conséquences qui en découlent du point de vue sécuritaire et de relations interpersonnelles.

Les hommes en uniforme quant à eux, profitent de la situation en présence pour se comporter en véritable roitelet, possédant à eux seuls et leurs suppôts bien entendu, tous les droits sur la population civile, créant un climat de frénésie sécuritaire dans la société.

L’on se souviendra encore longtemps du « phénomène hiboux » qui sema dans les années quatre vingt dix, un lourd climat d’insécurité non seulement dans la ville de Kinshasa mais aussi sur l’ensemble du pays. Pour d’aucuns, il s’agissait des hommes en uniforme et leurs acolytes instrumentalisés ou non par le pouvoir, qui réglaient en dehors du cadre légal des comptes aux individus. Toujours, c’est l’Etat qui est ici indexé comme générateur de l’insécurité publique là où les droits humains sont relégués au dernier plan.

3. LA PERSPICACITE DES DIRIGEANTS

 

 La politique, comme le dit un adage français, ne vaut que ce que valent les hommes qui la font. Ainsi, la République Démocratique du Congo a t-il besoin des dirigeants visionnaires, sagaces et consciencieux, capables de concevoir des projets de société qui traduisent les aspirations profondes du peuple et de les appliquer une fois arrivés au pouvoir.

Dans ce domaine précis, il va sans dire que le besoin de sécurité hante toute la population de la ville de Kinshasa. Les dirigeants politiques doivent cerner cette évidence et la traduire en politique publique à travers des « plans programmes » de la sécurité publique.

La population quant à elle juge toujours l’action publique par son efficacité et la volonté politique des acteurs publics en présence. C’est donc non sans raison que Lobho, L.D. fait remarquer qu’ : « aujourd’hui, force nous est de constater que le profil des dirigeants se dessine de lui même.  … Le dirigeant patriote dont notre peuple a besoin pour la troisième république est un homme franc et loyal. C’est celui qui accepte le débat d’idées démocratiques, une autocritique et un consensus. Son argument d’autorité ne doit pas être celui de se trouver au-dessus de la mêlée. Le sens de son mérite résulterait de la mesure de son amour pour sa patrie, de son service à la nation et de sa contribution pour la reconstruction nationale. En fait, son esprit doit être disposé à l’ouverture pour tenter de retrouver le point d’équilibre et de convergence dans un désordre social qui s’est installé au pays. » [2]

Cela pour autant dire que les dirigeants politiques, pour rester crédibles et efficaces, doivent démontrer leur détermination dans la lutte contre l’insécurité dans la ville de Kinshasa à travers des dispositions pratiques et réglementaires. Paraphrasant Laurent Mucchielli, la lutte contre le gangstérisme ne doit pas devenir moins qu’un problème qu’une solution pour les pouvoirs publics : le moyen d’afficher leur détermination et de montrer qu’ils agissent[3].

4. LA CONSCIENCE POPULAIRE

 Certes l’Etat a une responsabilité majeure dans la suppression de principaux piliers qui soutiennent le gangstérisme en République Démocratique du Congo. Cependant, les efforts des autorités, quelque grand qu’ils puissent être, ne sauront produire des résultats escomptés tant que le soutien et l’adhésion populaire feront défaut.

Il est prouvé que le succès des interventions de l’Etat dans les domaines qui touchent directement à la vie de la population repose généralement dans la complicité qui existe avec cette dernière.  Il faudrait par conséquent être en mesure d’amener la population à prendre conscience de son rôle dans la lutte contre le gangstérisme.

Cela suppose que nous devons assister dans la ville de Kinshasa, sous l’impulsion de l’Etat, à un discours continue fustigeant le gangstérisme de la part des hommes politiques, des médias et des acteurs de la société civile.

Cela devra aboutir à une opinion publique hostile au gangstérisme puisque qu’il s’agira de l’anathème jeté sur les gangsters ainsi que sur toutes leurs activités. L’ensemble de la population alors s’abstiendra par gène de recourir aux services aux gangsters.

De cette manière, le gangstérisme sera combattu d’en haut par le pouvoir public et d’en bas par la population elle-même.

Notes de bas de page

[1] Human Rigth Watch, cité par BANZA, L. et BAYOLO, C., in Conflits armés en R.D. Congo: Violences sexuelles contre les femmes, crimes sans châtiment.2001-2004, Kinshasa, Concordia, p.5.

[2] LOBHO, L.D.,  « La triade : l’intellectuel, le politique et la patrie » in les Annales de la Faculté des Sciences Sociales, Administratives et Politiques, PUK, Vol1, N° 1-2,  2002, p. 37.

[3] MUCCHIELLI, L., « Introduction », in Frénésie sécuritaire, Paris, La Découverte, 2008, p.8.