Chapitre 7. Analyse des stratégies actuelles de lutte contre le gangstérisme.
Germain Kuna Maba Mambuku
Dans Le phénomène Kuluna à Kinshasa, Pages 101-110 (Editions M.E.S)
CHAPITRE VII
ANALYSE DES STRATEGIES ACTUELLES DE LUTTE CONTRE LE GANGSTERISME
1. DE L’APPREHENSION DU GANGSTERISME PAR LE POUVOIR PUBLIC
Comme d’aucuns le savent, le gangstérisme est devenu à Kinshasa un problème politiquement délicat et socialement préoccupant. A ce titre, il demeure une question qui ne devrait pas échapper aux autorités publiques ; d’où, la nécessité de savoir la manière dont elles s’y prennent pour la résoudre.
Ce qui amène à retracer l’itinéraire des dispositions réglementaires et des décisions des autorités compétentes en la matière. Remarquons d’emblée que la sécurité publique demeure l’apanage du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité qui, sur base de la politique générale du gouvernement, conçoit un plan stratégique de la sécurité nationale. Le plan stratégique comprend les grandes orientations de la vision générale de la sécurité des personnes et des biens. C’est la dimension stratégique de la sécurité publique.
Cependant, pour éviter des cloaques dans l’exécution de la vision, l’autorité stratège recourt à l’approche managériale participative qui consiste à recueillir au préalable les propositions de la base en vue de leur intégration dans le plan stratégique. Ce plan stratégique est alors communiqué à l’Administration et aux services spécialisés pour une mise en application. C’est la dimension opérationnelle de la sécurité publique.
Notons que dans le cadre de la décentralisation, les autorités des Entités Administratives Décentralisées disposent également des prérogatives constitutionnelles dans la conception d’une vision stratégique sécuritaire locale. Bien entendu, celle-ci ne devra pas être en inadéquation avec les dispositions de la vision globale de l’Autorité de tutelle.
Eu égard à ce qui précède, les gouverneurs de provinces, les maires de villes et les bourgmestres ont un rôle prépondérant à jouer dans la conception de la vision stratégique de la sécurité à leur niveau respectif. D’où, la tenue des « Conseils de Sécurité » au niveau de chaque entité décentralisée ainsi qu’au niveau national pour traiter des questions relatives à la stabilité et à la quiétude publique.
Revenant sur la question de savoir la manière dont les autorités publiques s’y prennent pour juguler le gangstérisme, il y a lieu de l’appréhender en deux niveaux : national et urbain ; et ce, en terme de cadre, principe et mécanisme.
1.1. Au niveau national
1.1.1. Le cadre
Le niveau national est le domaine par excellence du Ministère de l’Intérieur et Sécurité, qui, conformément à l’ordonnance N°08/074du 24 décembre 2008 qui fixe les attributions des ministères accorde a le maintien de l’ordre public, la sécurité publique et la protection des personnes et de leurs biens dans ses attributions. Cependant, il y a aussi l’intervention du Ministère de la Justice dans la logique de la sanction pour le cas précis des « kuluna ».
1.1.2. Le Principe
Notons que depuis 1997, il eut quelques arrêtés ministériels qui eurent pour objectif la maîtrise et l’extinction de la criminalité en République Démocratique du Congo. Cependant, aucun de ces textes ne fait explicitement cas du gangstérisme. Par contre, ce sont les termes « bandes armées » et « associations des malfaiteurs » qui sont mis en exergue.
A strictement parler, le gangstérisme s’assimile effectivement aux bandes armées et aux associations des malfaiteurs. Eliminer ces bandes et associations, c’est éliminer seulement les effets visibles du gangstérisme puisque qu’en réalité, le gangstérisme en tant que phénomène social à part entière n’est pas charcuté dans toutes ses ramifications. Ce qui implique tout logiquement le laxisme avéré dans l’élucidation des stratégies efficaces et efficientes pour le combattre.
1.1.3. Le Mécanisme
Notons néanmoins qu’il eût deux opérations majeures initiées par le ministre ayant la sécurité dans ses attributions afin d’assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Il s’agit de l’opération « Kimia » et de l’opération « Keba ». En même temps, le ministère de la Justice a initié une campagne d’arrestation des jeunes criminels de la ville de Kinshasa qui furent ensuite transférés dans des centres pénitentiaires des provinces. Il est toutefois difficile de s’y étendre dans la mesure où la procédure, pour des raisons stratégiques peut être, demeure l’apanage de ses initiateurs.
1.1.3. 1. La procédure de l’Opération « Kimia »[1]
L’opération « Kimia » a été lancée le 29 septembre 2003. Elle consistait à maîtriser la criminalité qui atteignit alors un point culminant avec le phénomène « ampicilline. »
En effet, l’ensemble de la ville de Kinshasa était à bien d’égards un bastion de plusieurs actes de criminalité. Cela dura environ six mois sans que de mesures pragmatiques n’aient été prises.
Cependant, l’assassinat crapuleux et affreux de Monsieur Steve Nyembo, alors Directeur des Ressources Humaines de la Direction Générale des Impôts, constitua le détonateur du lancement de la dite opération.
Ainsi, l’opération consisté à déployer sur l’ensemble de la ville des éléments de la police qui agissaient à travers les fouilles systématiques des véhicules, les bouclages dans les quartiers, … ; et ce, particulièrement la nuit afin de contrer tout paramètre obstructif de la sécurité publique.
L’opération connût un franc succès dans la mesure où le taux de criminalité baissa effectivement. En effet, plusieurs militaires déserteurs et réguliers tombèrent alors dans le collimateur des agents de l’ordre. C’est ainsi que Kabulungu affirme à juste titre que les militaires, pour plus d’une raison sont à la base de l’insécurité dans la ville.[2]
1.1.3.2. La procédure de l’Opération « Keba »[3]
L’opération « Keba » a été lancée le 06 décembre 2004 par le Ministère de l’Intérieur ; elle aussi après de nombreux cas manifeste de criminalité surtout au soir de l’année 2004. L’élément détonateur de cette opération fut le lâche assassinat du père belge René Hans de Kimwenza.
Cette opération, une nouvelle version de l’opération « Kimia», avait pour objet d’assurer la sécurité des personnes et des biens pendant la période des fêtes de fin d’année. Elle consistait au déploiement des forces de l’ordre conformément aux stratégies dûment définies. Ainsi, les équipes pédestres et motorisées se répandirent sur l’ensemble de la ville. Elles avaient aussi pour mission d’opérer des patrouilles systématiques dans les quartiers périphériques de la capitale pour assurer la paix et la sécurité de la population.
Cette opération ne connut point un grand succès dans la mesure où son impact ne fut point ressenti par la population. En même temps, l’insécurité ne baissa pas de manière remarquable et durable.
1.1.4. L’analyse de ces opérations
Au regard de ces deux opérations, nous pouvons tirer les conclusions suivantes :
- lancées par le ministère de l’intérieur, les deux opérations prouvent à suffisance qu’il existe de réels problèmes d’insécurité dans la ville de Kinshasa qui ne laissent cependant pas indifférentes les autorités politiques ;
- les dites opérations ne visèrent pas directement les gangs et gangsters de kinshasa. On en a fait mention que de manière indirecte ;
- ces opérations n’entrèrent en vigueur qu’après des cas d’assassinat de gros choux. En effet, tout porte à admettre que les autorités publiques présentent une forte déficience de la culture de prévision et d’anticipation dans leurs actions. Ceci est justifié par le fait qu’elles sont toujours surprises par les événements ;
- bien qu’il soit difficile de percer le mystère des stratégies définies par les hautes autorités, on peut néanmoins comprendre au regard de leur application qu’elles n’intégrèrent point la population dans leur grille ;
- les dites opérations ne furent point vulgarisées en des termes clairs si bien que les agents commis dans ces opérations ne bénéficièrent point de la collaboration parfaite de la population ;
- Dès que ces opérations ponctuelles avaient été clôturées, la situation d’insécurité a repris tout bonnement ;
- Les agents de l’ordre commis à ces opérations ayant été mal rémunérés, harcelèrent la population innocente par d’autres formes de tracasseries. Cela fît perdre à l’opération de tout son crédit et ouvrit largement la voie à l’anarchie, donc à un semblant de sécurité et à une insécurité entretenue.
1.2. Au niveau urbain
1.2.1. Le Cadre
Au niveau de l’autorité urbaine de Kinshasa, le gangstérisme est une question très préoccupante. Elle a souvent été au cœur de plusieurs réunions du « Conseil de Sécurité » de la ville.
1.2.2. Le Principe
Ainsi, l’autorité urbaine, en accord avec le « Conseil de Sécurité » de la ville a adopté deux principales stratégies pour contrer le gangstérisme.
La première est la didactique pédagogique. Elle consiste à conscientiser les jeunes sur les inconvénients du gangstérisme. Cependant, l’autorité urbaine reconnaît que cette démarche n’a pas produit des résultats escomptés. D’où le recours à l’autre stratégie : la force. Ainsi sont organisés régulièrement des bouclages policiers des zones chaudes. Au cours de ces opérations, la police a été instruite de mettre sous les verrous tout gangster qui tombe dans les filets.
1.2.3. Le Mécanisme
La mission de lutte contre le gangstérisme a été confiée aux « Bataillons d’Intervention Mobile et à la Police d’Intervention Rapide ».
1.2.4. La Procédure
Dans le cadre de sa mission de lutte contre le gangstérisme, la Police d’Intervention Rapide opère sur fond de deux stratégies, à savoir :
- Les bouclages dans les foyers de concentration des gangs: il s’agit précisément de circuler régulièrement dans les quartiers où généralement le gangstérisme est confortablement installé. C’est donc une sorte de police de proximité pour étouffer le poussin dans l’œuf.
- La descente sur terrain après coup de fil ou demande de secours : il s’agit de répondre urgemment à toutes les demandes de secours leur adressées. Cette descente qui se veut imminente et efficace mettrait hors d’état de nuire les gangsters.
1.2.5. Les résultats
Le tableau ci-dessous et le graphique repris à la page qui suit renseignent suffisamment sur les résultats chiffrés de l’action de la Police d’Intervention Rapide contre le gangstérisme.
Tableau XIII. : L’évolution du gangstérisme à Kinshasa
ANNEES |
NOMBRE DES CAS |
nbre de femmes |
nbre d’hommmes |
NBRE DE civils |
NBRE de militaitES |
NBRE DE policiers |
2000 | 162 | 16 | 146 | 98 | 51 | 13 |
2001 | 308 | 31 | 277 | 212 | 72 | 24 |
2002 | 297 | 23 | 274 | 211 | 71 | 15 |
2003 | 452 | 29 | 423 | 314 | 106 | 32 |
2004 | 264 | 19 | 225 | 223 | 28 | 13 |
2005 | 469 | 38 | 431 | 351 | 91 | 27 |
TOTAL | 1952 | 156 | 1776 | 1409 | 419 | 124 |
Source : Données recueillies à la Police d’Intervention Rapide
Graphique 3. : L’évolution du gangstérisme à Kinshasa
1.2.6. Analyse des résultats de l’évolution du gangstérisme
Partant du tableau XIII et du graphique 3, nous pouvons tirer les conclusions ci-après :
- les cas des gangsters démasqués par la Police d’Intervention Rapide sont de loin inférieurs à la situation réelle. En effet, la Police d’Intervention Rapide n’a jamais mis la main sur les réseaux des gangsters qui fonctionnent par exemple, dans les bords des rivières Ndjili ou Kalamu. Cela, faute d’informations fiables, de moyens adéquats et de vision globale sécuritaire sur le gangstérisme ;
- comme l’indiquent si bien les courbes du graphique, le gangstérisme est un phénomène de plus en plus inquiétant dans la ville de Kinshasa ;
- le gangstérisme à Kinshasa n’est pas seulement l’affaire des hommes. En effet, environ 8,5% des gangsters sont des femmes ;
- de l’ensemble des gangsters arrêtés par la Police d’Intervention Rapide, 22% sont des militaires et 7 % des policiers. Ce qui porte à admettre que beaucoup de militaires et policiers sont impliqués dans le gangstérisme à Kinshasa ;
- le gangstérisme, en général, reste un phénomène en croissance à Kinshasa. En outre, c’est un phénomène qui est loin d’être maîtrisé par les forces de l’ordre. Cela est dû à l’absence de politique publique cohérente sur gangstérisme urbain.
2. APPRECIATION CRITIQUE DES RESULTATS OBTENUS
De par toutes les dispositions stratégiques relevées dans les pages précédentes, nous pouvons tirer les conclusions ci-après :
2.1. Sur le plan national
- l’absence d’analyse complète et authentique sur le gangstérisme urbain ;
- l’absence d’une vision stratégique nationale sur le gangstérisme urbain ;
- L’absence d’une loi cadre sur le gangstérisme.
2.2. Sur le plan urbain
- l’absence de vision urbaine globale sur le gangstérisme ;
- la question du gangstérisme est résolue comme un simple phénomène social. On ne remarque pas la détermination des autorités urbaines d’anéantir ce phénomène. Cela pour autant dire que les autorités ne vont pas bruyamment en guerre contre les gangsters.
En résumé, les résultats obtenus restent à désirer. En effet, la lutte contre le gangstérisme n’est pas palpable en République Démocratique du Congo. En général, la traque aux gangsters ne devient décisive et imminente que lorsque ces derniers portent un coup fatal à une personne de notoriété publique. Ce n’est qu’alors que les autorités compétentes haussent le ton. Et, une fois l’affaire passée, tout recommence comme si rien ne s’était passé.
Par ailleurs, la plupart d’opérations de bouclage ne visent que les effets apparents du gangstérisme sans s’attaquer à ses causes profondes. Mais aussi, c’est plus les bandits à main armée et les déserteurs des Forces Armées de la République Démocratique du Congo qui sont directement concernés par les opérations nocturnes de bouclage. Quant aux gars du coin de rue et les « hommes-forts » des cercles sportifs informels, ils ne sont inquiétés que dans la mesure où ils commettent des délits spectaculaires.
Notes de bas de page
[1] ZALUMETI, F., « L’opération Keba pour assurer la sécurité à Kinshasa » in Regards sur Kinshasa, n° 002, Janvier 2005, pp 4-6.
[2] KABULUNGU, H., op.cit. pp.33-36.
[3] ZALUMETI, F., art.cit, pp. 4-6.