Chapitre 5. Les différentes actions des gangsters

Germain Kuna Maba Mambuku

Dans Le phénomène Kuluna à Kinshasa, Pages 83-94 (Editions M.E.S)

CHAPITRE V

LES DIFFERENTES ACTIONS DES GANGSTERS

 

La vie et la notoriété des gangs sont fonction des actions qu’ils mènent. Hormis les cas de manifestation répertoriés dans la police, nous retenons particulièrement deux autres types d’actions qu’entreprennent les gangs de Kinshasa à savoir : les coups prémédités et les services rendus.

1. LES CAS DE MANIFESTATION DU GANGSTERISME

 

Selon la « grille des faits »[1] relatifs à la violence élaborée par la Police d’Intervention Rapide, les faits suivants ont été retenus à la charge des gangsters arrêtés dans la ville de Kinshasa.

Il s’agit de : la destruction méchante, la menace d’extorsion des biens, la détention illégale d’armes, l’usage d’armes blanches, les coups et blessures volontaires et les troubles de l’ordre public.

C’est ici qu’il convient de relever une fois de plus que le gangstérisme en tant que phénomène social complexe n’est pas intégralement circonscrit par la législation congolaise. Il en est de même pour la grille de la criminalité de la Police Congolaise qui ne reprend guère le gangstérisme. Pour cerner cette évidence, il suffit de consulter les annales de la Police Nationale Congolaise où l’on ne retrouvera pas le « gangstérisme » comme infraction. Par contre, on aligne des infractions comme associations des malfaiteurs, braquage, coups et blessures, extorsion….

Le gangstérisme est donc considéré en République Démocratique du Congo comme une « simple manifestation » de la criminalité. Pas plus. D’où, la raison du tableau de manifestations du gangstérisme ci-dessous.

 

ACTIONS 2000 2001 2002 2003 2004 2005 MoyEN

ne

 
1. DESTRUCTION MECHANTE 19% 24% 24% 24 25% 24% 21%  
2. MENACES 13% 11% 11% 12% 13% 12% 10%  
3. EXTORSION DES BIENS 18% 14% 16% 14% 16% 17% 15%  
4. DETENTION ILLEGALE D’ARMES 4% 3% 3% 3% 2% 2% 3%  
5. USAGE D ARME BLANCHE 10% 9% 9% 9% 8% 8% 10%  
6. COUPS ET BLESSURES VOLONTAIRES 16% 18% 22% 20% 19% 20% 21%  
7. TROUBLES DE L’ORDRE PUBLIC 20% 21% 15% 18% 17% 17% 20%  
 

TOTAL

 

100%

 

100%

 

100%

1100%  

100%

 

100%

 

100%

 

 

TABLEAU XII. : Manifestation du gangstérisme

 

Source : Notre calcul sur base des données recueillies à la Police

Graphique 2. : Manifestation du gangstérisme

(2000-2005)

2. ANALYSE DES DONNEES

 

Au regard des données tableau XII et du graphique 2, nous pouvons tirer les conclusions suivantes :

  • la destruction méchante et les coups et blessures volontaires constituent deux infractions majeures qui caractérisent les actions des gangsters à Kinshasa. Ces deux infractions réunies totalisent 42% des cas de manifestation du gangstérisme. Ceci explique clairement que le gangstérisme porte remarquablement atteinte aux personnes et aux biens des paisibles citoyens ; donc, à la sécurité publique ;
  • l’usage des armes blanches et le trouble de l’ordre public sont des infractions stagnâtes. Ces deux délits constituent 30 % des cas du gangstérisme à Kinshasa. C’est une proportion non négligeable. En effet, les armes blanches sont des outils que les gangsters utilisent le plus souvent à cause de leur disponibilité ainsi que de leur facilité d’usage. Notons par ailleurs que bien des actions des gangsters finissent par se solder en trouble. Face à cette évidence, l’ordre public ne saurait résister ;
  • l’extorsion des biens et la détention illégale d’armes constituent des pratiques de moins en moins utilisées par les gangsters. En effet, les Kinois ont développé des réflexes pour se prémunir contre cette pratique. Cela, soit en se faisant protéger par les gangsters, soit encore par la bravoure et la vaillance sur les gangsters. S’agissant de la baisse en matière de détention illégale d’armes, elle s’explique par la fin « théorique » de la guerre et de la campagne de démilitarisation de la ville de Kinshasa[2]. Ainsi, ceux qui tombent dans le filet de cette infraction, sont pour la plupart des militaires et des policiers ;
  • les menaces sont aussi en diminution. Cela est dû au fait que les gangsters posent désormais des actes sans plus attendre ;
  • les cas de manifestation du gangstérisme tel que présentés par la Police d’Intervention Rapide ne sont pas les seules actions que mènent les gangsters. Les coups prémédités et les services qu’ils rendent par exemple, allongent cette liste.

3. LES COUPS PREMEDITES

 

Par coups prémédités, il faut entendre les actions que les gangsters planifient dans leur éphéméride comme activités à entreprendre. Ils prennent par conséquent soin de passer aux actes une fois la préparation stratégique terminée.

Ces coups prémédités sont notamment, les batailles rangées (le business), le vol sous toutes ses formes et les autres actions qui troublent l’ordre public.

3.1. Les batailles rangées

 

De nos jours, les batailles rangées entre les gangs, batailles que nous qualifions du reste de « guerre des gangs », sont assurément une pratique lugubre qui fait de temps en temps la une des journaux à Kinshasa.

De par leur préparation et leur déroulement, il y a lieu de dire que ces batailles sont effectivement des guerres. Pour nous faire une idée suffisante sur ces batailles, qu’il nous suffise de suivre et de comprendre ce qui se passe précisément dans les films chinois ou américains de guerre.

A l’instar des films justement, les gangs antagonistes s’adressent des correspondances avant le jour de la bataille. La première correspondance part des demandeurs du combat. En effet, c’est par son entremise qu’ils informent à leurs adversaires le jour et l’heure de la bataille. Aussi leur informent-ils les motifs du « business.» La même correspondance comprend par ailleurs une suite de menaces et d’insultes de tout genre.

Quant aux destinataires, ils ont l’obligation de répondre en un laps de temps juste pour modifier uniquement le jour du combat, s’ils l’estiment nécessaire. Ils en profitent eux aussi en même temps pour proférer des menaces et des injures à l’endroit de leurs adversaires. Notons que sans cette « réponse-réplique », les demandeurs considèrent la demande de la bataille comme acceptée.

Soulignons qu’il arrive des moments où ces batailles ont lieu de manière spontanée. Cette attitude est alors due à la gravité de la situation à la base des différends qui opposent les gangsters en question.

3.1.1. Les causes des batailles rangées

Dans l’un ou l’autre cas, les éléments suivants président à la tenue de ces bagarres :

 

  1. une mauvaise fin d’une rencontre sportive entre les jeunes de deux différents quartiers. Pareille situation entraîne souvent de vives tensions ainsi que des troubles entre adversaires. Mais le bas blesse à partir du moment où l’affaire parvient aux gangsters, particulièrement ceux dont les membres du quartier ont été humiliés. Ces gangsters se décident dès lors de corriger l’équipe adverse pour venger leurs congénères. C’est ainsi qu’ils mettront en marche le processus du combat. Ceci fait, les ingrédients sont par conséquent réunis pour que la bataille ait lieu.
  2. Un conflit entre maîtres ou entre gangsters de différents gangs. A l’origine de ce conflit, un fait généralement vile. Il peut y agir d’une rivalité à cause d’une copine, de l’humiliation d’un gangster dans un bar, d’un mauvais traitement d’un congénère du quartier par des gangsters d’un autre quartier, etc. Le conflit prend forme dans la mesure où ils en parlent. Finalement, pour déchaîner leur colère, les gangsters sollicitent alors un combat de mesure de force. C’est donc le départ pour une série de batailles.
  1. Le souci hégémonique de certains gangsters. En effet, les gangsters tiennent à conserver une certaine supériorité sur les autres. Et l’épreuve de force semble être à leur vue la voie par excellence pour y arriver. C’est ici où il convient de s’apercevoir de la sauvagerie saugrenue de ces batailles. En effet, la règle dans ce cas précis est de laisser des traces de son passage. Il faut par conséquent, blesser ses adversaires et provoquer d ‘énormes dégâts matériels dans le camp adverse. Ceci entraîne parfois mort d’hommes. Notons que la boucle ne se referme pas après un seul combat. Bien au contraire, il s ‘en suit d’ailleurs une série de batailles en terme de revanche. Cet antagonisme persistant finit par devenir une inimitié embarrassante qui va au-delà des membres des gangs. Ceux-ci extrapolent pour emballer les habitants de leurs divers quartiers respectifs. D’où le phénomène « embargos » qui consiste d’empêcher à tout habitant du quartier de ses adversaires de fréquenter le sien sous peine des représailles. Et cela est une évidence qui fait force de loi et est respectée.
  1. L’esprit belliqueux des gangsters. En effet, les gangsters se plaisent dans ces batailles qui constituent pour eux une bonne plaisanterie. D’où la qualification de business.

3.1.2. Le déroulement des batailles

Comme toute guerre, ces batailles ne se font pas sans préparation. Dès que les gangsters prennent connaissance d’un combat prochain, ils stockent des tessons de bouteilles, des couteaux, des manchettes, des pierres, des bâtons, des allumettes, des cordes, du pétrole et des « mochako (sic). »[3]

Notons qu’il n’y a point d’heures dûment déterminées pour ces batailles. Le jour ou la nuit et le matin ou le soir ne disent absolument rien à ces hommes-forts tant qu’ils savent que c’est le jour « j » et l’heure convenue pour l’affrontement.

Animés d’un esprit de guerre, les gangsters passent à l’attaque. Au même moment où ils se battent entre eux, les assaillants s’en prennent également aux paisibles citoyens et détruisent tout ce qu’ils trouvent sur leur passage. Raison pour laquelle la plupart de victimes de ces batailles sont des personnes innocentes qui ne connaissent ni les tenants et ni les aboutissants de ces batailles. Parfois même, et c’est ce qui est marrant, ces pauvres victimes sont parfois récupérées et punies injustement par les agents de l’ordre.

Pour se reconnaître entre eux, les membres d’un même gang mettent parfois des chemises retournées ou portent des bandeaux rouges sur le front. Ou encore, appliquent-ils la poudre des braises sur le visage.

Le combat alors engagé ne prendra fin que lorsque le maître du gang envahisseur intimera l‘ordre aux siens de se disperser. Et cela coïncide généralement avec l’arrivée de la Police. En effet, le maître surveille constamment les mouvements de la Police. Ainsi prendra alors fin une bataille qui recommencera certainement un autre jour. 

3.2. Les vols sous toutes ses formes

 

Le vol est un programme qui est soigneusement classé dans la gibecière des gangsters. Le vol est l’un des principaux moyens dont disposent les gangsters pour se procurer de l’argent ainsi que des biens matériels. Ils en pratiquent de plusieurs sortes notamment :

  1. Le vol à domicile. Ce type de vol est très fréquent à Kinshasa. Il est généralement organisé la nuit. Les gangsters qui y recourent sont souvent armés. D’où, la consonance de vol à main armée. Les personnes aisées constituent leur cible par excellence. En effet, de l’avis des gangsters, elles possèdent toujours l’argent. L’objectif majeur dès qu’ils percutent une maison est de rafler tout ce qui est facilement transportable qui leur tombe dans les yeux, hormis l’argent qu’ils exigent. En cas de non-satisfaction et surtout de résistance de la part des victimes ciblées, ils peuvent d’un coup, les envoyer au shéol. Ceux par contre qui ne sont pas armés, ont développé d’autres réflexes pour dérober particulièrement des biens à l’insu de leurs propriétaires. Pour s’y prendre, ils en appellent à leurs fétiches qui leur recommandent parfois d’opérer tout nu pour passer inaperçu.
  2. l’organisation des jeux subtils. Les gangsters sont experts dans la création des jeux du hasard. C’est ainsi qu’on les retrouve dans les coins de rue ou dans les artères principales de la ville en quête des clients naïfs. Le jeu « Mundele » est le plus répandu de tous. Ce jeu consiste à choisir entre trois cartes celle que l’organisateur du jeu demande à son client. Un grand prix est réservé au gagnant. Généralement, c’est le double du frais de participation au jeu. Le montant est doublé après deux tentatives et est quatriplé après plus de trois tentatives. Seulement, on peut beau jouer ce jeu sans jamais remporter le prix. En effet, la carte en jeu est soigneusement dissimulée par l’organisateur du jeu. On peut par conséquent, se rendre compte de ce que ces gangsters récoltent comme argent. Mais aussi du désordre qui en résulte à cause des contestations incessantes.
  1. Le ravissement d’argent. En effet, pour s’y prendre, ils utilisent les « uke » c’est-à-dire, leurs copines. Celles-ci ont pour mission de faire des avances aux passants qui présentent une bonne mine à leur vue. Si l’un d’eux tombe par malheur dans le piège de la prétendue vendeuse de charme, celle-ci le conduit tout bonnement dans un lieu de tolérance de fortune. Cet endroit comme on peut d’emblée se rendre compte est en fait un domaine de prédilection des gangsters qui tirent le bout du fil de l’opération. Qui croyait prendre est alors pris comme une perdrix qui tombe bêtement dans un piège. L’infortuné est tout simplement dépouillé de tous ses biens par les gangsters qui s’y étaient cachés.
  2. L’extorsion de biens et d’argent. Généralement, les gangsters peuvent se placer dans les heures tardives à des coins des rues moins fréquentées. Ils exigent de tout passant une somme d’argent après une série de tourmentations. Ceux qui le leur donnent sont libérés sans autre forme de procès. Quant aux résistants, ils passent au crible des coups. Une fois maîtrisés, ils passent par une fouille systématique qui aboutit au ravissement de tout ce qu’ils possèdent avant d’être libéré.
  3. Le montage de scénarios. Les gangsters sont aussi experts en invention des faits mensongers pour extorquer des biens et de l’argent aux passants. Ainsi par exemple, l’un d’eux peut se muer en un métèque victime d’un vol. Il adopte parfaitement bien cet air que l’on ne saura douter de sa sincérité. Cela pousse vraiment à la compassion similaire à celle du bon samaritain. Il va donc trouver un passant et lui soumet sa difficulté. Généralement, il sollicite l’aide pour vendre des pacotilles à sa possession qu’il présentera comme de l’or. En même temps, d’autres gangsters se présenteront sous prétexte de l’aider également. Le bon samaritain qui consent à l’aider tombe alors entre les mains des gangsters. Ses compagnons déguisés proposeront l’endroit pour la vente de ces bijoux. Dès que le bonhomme les y accompagne, c’est pour aller y laisser tous ses biens.

    3.3. Autres actions des gangsters

    3.3.1. Les troubles dans les manifestations de deuil

    Les cérémonies de funérailles sont devenues une occasion privilégiée de débordement et de délinquance pour les gangsters. Les troubles et désordres qu’ils créent sont inimaginables.

    Ils se transforment en groupe d’animateurs des deuils. Jeunes filles et jeunes hommes chantent à l’unisson des chants qui frisent l’immoralité au haut degré de généralité. Après avoir consommé du chanvre au vu et au su de tout le monde, ils s’en prennent alors verbalement et physiquement aux membres de la famille du défunt qu’ils accusent de sorcellerie. Ils arrivent parfois à la destruction des biens familiaux surtout s’il s’agit de la mort d’un jeune. 

    Se comportant en véritables maîtres absolus, ils vont jusqu’à barricader la voie publique et exiger de l’argent à tout passant. Ils aspergent sur les personnes qui ne paient pas une solution nauséabonde composée de la poudre de la braise, de la matière fécale et des urines qu’ils appellent « Tukula. »

    3.3. 2.  Les troubles dans les bars

    Le bar est un endroit où les gangsters se régalent et dépensent  presque tout ce qu’ils ont. Lorsqu’ils s’y trouvent, ils semblent oublier leur misère. C’est aussi le moment pour eux de s’empiffrer correctement et de boire à l’ivresse. A la bière, ils ajoutent des liqueurs artisanales, fortes en alcool.   

    Ils y prennent des allures de grands financiers. Gare à celui qui les provoque ou les dénigre. Car, il allumera un feu où il se brûlera. Notons que dans leur ivresse, ils posent de nombreux actes ignobles, comme les bagarres entre eux, la prolifération des injures, etc.

    4.  LES OFFRES DE SERVICES DES GANGSTERS.

     

    Hormis les actions préméditées, les gangsters vendent également des services à de tierces personnes. Parmi ces services, nous pouvons citer : la protection des particuliers et le règlement des comptes entre adversaires.

    4.1. La protection des particuliers

     

    Plusieurs personnes utilisent les gangsters comme garde de corps. Cette instrumentalisation leur permet d’être à l’abri de tracasseries. Ainsi, les gangsters sont devenus de vrais protecteurs. Certains commerçants ou encore d’autres personnes font appel à eux. Le gangster ainsi sollicité aura pour mission de protéger son client contre ses compères.

    4.2. Le règlement de comptes.

    Plusieurs règlements de comptes passent aujourd’hui par des gangsters. Il s’agit bien évidemment de la justice de la rue. Moyennant un peu d’argent donné aux gangsters, certains individus commanditent la rosse pour humilier son adversaire. 

    4.3. Le sabotage des organisations

     

    Les gangsters sont également utilisés par certaines personnes pour semer les troubles et désordre dans les organisations et au cours de certaines manifestations. Ainsi par exemple, un musicien jaloux du succès de  son concurrent peut éventuellement payer quelques gangsters afin que ceux-ci l’empêchent de réaliser tranquillement ses activités.

    Aujourd’hui, toute personne mal à point peut recourir aux services des gangsters pour perturber des rencontres. C’est ce qui justifie certains troubles qui surgissent parfois lors des meetings qui tournent au vinaigre.

    Il n’est pas étonnant de voir plusieurs personnes, intellectuels, hommes politiques, même les autorités publiques recourir sans gène aux gangsters pour soit saboter ou sécuriser le déroulement des manifestations.

    Notes de bas de page

    [1] La Grille des faits est un cahier registre où sont consignés les procès-verbaux d’audiences relatives aux faits criminels au niveau de la Police d’Intervention Rapide.

    [2] Il s’agit d’une campagne menée par l’ONG  PAREC,  qui consiste à échanger une arme à feu contre un billet de cent dollars américain. Ladite campagne a permis de récupérer plus de cinq mille armes à feu à Kinshasa, selon les responsables de l’ONG.

    [3] Mochako : Une sorte d’arme d’origine chinoise. Elle est composée de deux morceaux de bois d’environ trente centimètres qui sont reliés par un maillot de chaîne de vingt centimètres approximativement.