Texte : Traditions d’origine du royaume de Bushi
Le royaume Shi, comme tous ceux de la région, résulte d’une conquête politique des Baluzi. Malgré son caractère officiel, cette tradition reconnaît l’existence d’une organisation politique préexistante mais qui fut évincée.
« Lorsque la vieille Namuhoye arriva au-dessus de la dernière colline, elle se tourna vers la foule qui la suivait. Ils étaient mille et mille, avec leurs vaches aux cornes démesurées. Hommes vêtus d’écorces battues, femmes pliées sous les charges, petits bergers nus poussant leurs lents troupeaux vers les terres nouvelles. Dans des nasses d’herbes calfeutrées de bouse, des femmes-filles aux reins couverts de petites tresses blanches portaient les graines. Ils étaient mille et mille, Bahese, Banachidaha, Banya-Lwisi, Barhembo, Bahugarwa, Batwa-Lushuli, Bahangarwa, Banya-Mubisa et Balinga ; tous serviteurs et clients des familles des sept fils que Namuhoye avait eus d’un enfant trouvé, dont Nalwindi [2] avait fait son chasseur favori. Vieille et courbée dans sa peau de chèvre, elle leur montrait l’horizon de son grand muhorho. Dans les plis clairs de sa peau parcheminée, deux petits yeux brillaient d’une lueur prophétique. Baluzi, peuple de mes sept fils, leur dit-elle, par-delà la rivière, voici devant vous les collines fertiles du Bushi. Les habitants y sont peureux et opprimés par des chefs injustes et maladroits. Regardez ces champs où vous sèmerez le sorgho (…).
De la crête, ils regardèrent longuement jusqu’au soleil couchant. Puis ils firent tourner les baguettes pour allumer les feux. Le soir, ils s’endormirent en pensant aux nouvelles terres que leur avait données l’ancêtre.
Mais à l’aube Namuhoye était morte. Pendant que les uns chassaient, Kalunzi, Nachinda et Norana, trois de ses fils, creusèrent un trou pour y jeter le corps cassé de leur mère [3].
Mais la coutume interdit au fils d’enterrer sa mère. C’est pourquoi ils furent maudits par leur aîné Kabare-Kaganda.
Naluanda accompagna Kabare-Kaganda au Bushi. Remontant la Kazinzi, ils arrivèrent à Luvumbu chez un Mulega du nom de Changu qui descendait d’anciens émigrants. Pas plus que ses sujets, ce petit potentat n’avait vu pareille abondance de vaches et de graines.
Les habitants firent donc très bon accueil aux émigrants et les négrilles ou Batwa de Changu étonnés d’une telle opulence, leur accordèrent plus de confiance qu’en leur propre maître.
Un matin, deux pauvres batwa rencontrant Kabare-Kaganda sur le chemin des porteurs, lui firent leurs doléances à propos d’un ami du Mwami local qui les avait spoliés. Eh ! dit Kabare, au pauvre ses objets ; au puissant les siens !
Cet avis plut aux auditeurs qui racontèrent partout que les étrangers rendaient mieux justice aux pauvres que le Mwami. Suivons ces frères, se disaient-ils, nous boirons le lait de leurs vaches et y mangerons à satiété.
C’est alors que Kabare-Kaganda se rendit chez le Mwami Nashi. En honneur de son hôte, celui-ci fit quérir des boissons. Elles me seraient plus agréables Nashi, dit Kabare, si tu allais les chercher toi-même. Et pendant la courte absence du Chef, il s’assit sur son siège au milieu des applaudissements du peuple. « Nous te faisons Mwami » lui dirent les Batwa.
Usant du même subterfuge, Kabare étendit son pouvoir sur les régions voisines.
Les Chefs dépossédés ne gardèrent de leurs anciennes prérogatives que le droit de porter au front un diadème et d’accéder aux cimetières des Baluzi.
Ayant réuni sous son autorité toute la région, Kabare-Kaganda se fit appeler « Nabushi », c’est-à-dire « possesseur-du-Bushi ».
(Masson, R, 1960, 5-8).