Conclusion

Léon Tsambu

Dans Histoire de la musique populaire urbaine congolaise, Pages 66-69 (Bokundoli)

CONCLUSION

L’histoire de la musique populaire urbaine de la RDC  demeure très complexe et alambiquée au point qu’il est difficile de prétendre l’avoir tout narrée dans un texte aussi abrégé que celui-ci, rédigé juste pour le besoin de la pédagogie scolaire.

Néanmoins, sur le fil de la dynamique spatiale et temporelle ce cette musique, j’ai  subdivisé cette historiographie  en cinq sections marquées chacune d’un trait pertinent constitutif de l’évolution de cet univers musical, voire de la société congolo-kinoise tout entière. Ainsi ai-je distingué l’ère des pionniers correspondant à la naissance de la ville de Kinshasa et de l’art musical congolais urbain ; l’ère des héritiers de pères-fondateurs de la musique et leurs épigones; l’ère des révolutionnaires ; l’ère  de la démocratisation politique,  et enfin celle de la mondialisation ou de la postmodernité.

Cette historiographie essaie ainsi de démontrer que la musique est loin de constituer un épiphénomène au point qu’il y a des temporalités qui sont datées à partir des noms d’artistes : Tango ya ba-Wendo (l’époque des Wendo ), ou même révélées à travers leurs sobriquets. Le chanteur Souleyman dit De Saïo portait ainsi un sobriquet qui rappelle les péripéties de la Seconde Guerre mondiale au cours desquelles les troupes de la Force publique ont dû combattre sous le commandement de la métropole belge dans les territoires comme Saïo (Dembi Dolo), aux côtés des troupes britanniques et françaises, contre les troupes italiennes dans la campagne de l’Est de l’Afrique, principalement d’Ethiopie[1]. Le chanteur JB Mpiana qui s‘était affublé du sobriquet de Salvatore della patria a bien eu raison en se référant au péril rwandais sur la souveraineté de la RDC dès 1998. Que Koffi Olomide, vite contrarié par l’Eglise catholique,  s’emmitoufle du sobriquet de Benoît XVI ou de celui de Sarkozy ne peut que faire aboutir la thèse selon laquelle la musique est fille de son temps.

En même temps, les titres, les contenus des œuvres, les biographies d’auteurs, les sons musicaux, les gestuelles chorégraphiques constituent des indicateurs pertinents de l’histoire musicale, de l’histoire sociale, politique et culturelle de toute une nation et du monde. On relèvera par exemple nombre d’expressions verbales passées dans le langage et l’imaginaire populaires des Congolais.  Ils constituent des marquages successifs de notre temps, de notre société, de notre vie quotidienne, de notre environnement socioculturel et physique  que les artistes, ces intellectuels symboliques,  ont pu traduire en concepts.

Par ailleurs, comme toute histoire, celle de la musique populaire urbaine du Congo-Kinshasa ne doit pas se réduire à une succession évènementielle chronologique, ni à une narration achevée et totalement embellie. Bien des aspects n’ont pas été évoqués, comme je l’ai souligné supra,  en l’occurrence le chapelet de danses sur laquelle cette musique se danse, la chronique festivalière pour nous renseigner sur l’odyssée scénique de la rumba à Dakar (Premier Festival mondial des arts nègres, 1-24 avril 1966), à Alger ( Premier festival culturel d’Alger , 21 juillet au 1er août 1969), à Lagos (Festac’ 77 –  World Black and African Festival of Arts and Culture ),  à Montréal,  à Cuba (Festival mondial de la musique de Varadero), à  Brazzaville (Fespam-Festival panafricain de musique ), à Kinshasa elle-même (Ngwomo Africa, etc.) et à travers le  monde.

Au-delà de la littérature écrite, des images fixes (photos, pochettes de disques) comme animées  ( vidéomusiques, vidéoclips) constituent une autre rhétorique sur  la musique populaire urbaine de la RDC et ses variantes.  A noter aussi que cette musique ne se circonscrit pas dans les limites  des frontières géographiques du pays. La musique populaire urbaine congolaise, particulièrement la rumba, n’est pas faite que par des Congolais de l’intérieur comme de l’extérieur du pays. Je me souviendrai d’avoir entendu parler de la rumba gabonaise lors d’un séjour scientifique à Libreville en 2003. Parallèlement, Abidjan ne doit pas nier son ascendance de la rumba congolaise  qui a bien sûr  tiré en partie son suc mielleux  de la ruche  esthétique ouest-africaine ( Popo, high life)  dans les années 1940.

Par ailleurs, des Européens (Bill Alexandre, Fud Candrix, Charles Hénault, etc.), des Cubains (Don Gonzalo dans African Team de Paris),  des Camerounais (Manu Dibango au sein d’African Jazz),  sans citer nos congénères du Congo-Brazzaville  comptent parmi les artisans de  cette musique qui a longtemps constitué un indicateur identitaire de la RDC. Aujourd’hui, l’exportation de la rumba au Japon, la champeta[2] en Colombie, la pratique  de featurings qui a pris une ampleur extravagante ne peuvent que tendre à légiférer sur une nouvelle internationalisation de cette musique par ses emprunts que les Congolais recréent à la hauteur de leur génie, comme par ses contributions aux autres expressions esthétiques africaines et mondiales.

Pour cette musique qui a acquis ses lettres de noblesse à travers le monde, le grand défi à relever reste toujours celui de savoir en faire une industrie à la hauteur du rock britannique depuis les Beatles et les Rollings Stones, du reggae de la Jamaïque depuis Bob Marley,  de la pop et du rap américains,  car son inscription sous l’identité rumba sur la liste du patrimoine universel de l’Unesco ne suffit pas et risque de fonctionner comme un archivage muséal, une fossilisation d’un art national et supranational qui a pourtant longtemps servi d’emblème sonore d’une grande nation au cœur de l’Afrique.

[1] «  Bataille de Saïo »,  URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Saïo 1/3 ,  mise à jour  le 30 août 2022 à 12:55, accès le 1 avril 2023.

[2]  Voir  « Les Colombiens copient-ils les Congolais » ? URL : https://www.youtube.com/watch?v=QqKj_RpYh9g