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Texte : Que faisons-nous au Congo ?

La préface de L. Franck, Ministre des colonies de 1918 à 1924, aux 3e et 4e éditions du Rufast (Recueil à l’Usage des Fonctionnaires et des Agents du Service territorial) a répondu à la question. Le Congolais y découvre combien toutes les initiatives, y compris celles qui paraissaient les plus désintéressées, n’étaient qu’au service de l’idéal colonial. Tout se tenait.

« Que faisons-nous au Congo ?

Nous y poursuivons un double but : répandre la civilisation, développer les débouchés et l’action économique de la Belgique.

Ces deux buts sont inséparables.

Sans une population indigène plus portée au travail, mieux protégée contre les maladies, plus nombreuse, mieux outillée, de capacité technique plus grande, mieux vêtue, mieux nourrie, mieux logée, de conceptions morales plus élevées, nous n’arriverons pas à dégager de notre empire africain sa magnifique puissance de richesse. C’est avec les noirs et par les noirs que nous y parviendrons, pour leur plus grand bien comme pour le nôtre.

C’est dire que le souci que nous avons des populations est à la base de notre politique indigène.

Mais cette fin essentielle de notre activité est, à son tour, étroitement associée aux progrès du commerce, de l’industrie, des plantations européennes, de l’agriculture indigène, au développement des moyens de transport, de l’outillage et à la mise en valeur du domaine minier. Peu pénétrables à nos idées abstraites, les primitifs subissent profondément et rapidement l’action des facteurs économiques ; pour eux, également, le bien-être et le travail sont à la longue des agents très puissants de civilisation.

La colonisation ainsi entendue rationnellement a toujours été un titre de gloire et une source d’avantages considérables pour le pays colonisateur. Dans cette œuvre si belle et si intéressante, le fonctionnaire territorial a un rôle capital : il est l’agent actif et direct de la colonisation ; tant vaut le service territorial, tant vaut la Colonie ; aucun office n’est plus important que le sien.

Il en découle de grandes responsabilités, mais aussi de grandes satisfactions.

Ce que le Gouvernement attend avant tout de ses fonctionnaires chargés de l’administration indigène, c’est qu’ils soient actifs et dévoués ; qu’ils agissent avec bon sens et en hommes justes et droits. Nous ne leur demandons pas de ne jamais se tromper. S’ils le font de bonne foi et en agissant au mieux, ils peuvent compter sur la bienveillance de l’autorité supérieure.

Les magistrats et les missionnaires prêtent un concours précieux à la colonisation.

Le fonctionnaire territorial s’efforcera d’entretenir avec les uns et les autres les meilleurs rapports : les divergences et les conflits nuisent à notre action et au prestige du Blanc.

Plusieurs passages de ce recueil appellent l’attention de nos agents sur la nécessité impérieuse de maintenir, en toutes circonstances, ce prestige, essentiel à notre action civilisatrice. Ce prestige peut être atteint non seulement dans la personne du fonctionnaire, mais aussi par les rapports de celui-ci avec les autres Blancs vivant en Afrique, comme par leur conduite aux uns et aux autres. Les indigènes sont très observateurs ; ils ne manquent ni de discerner les divergences et les conflits entre Blancs, ni d’essayer d’en tirer parti. Plus d’une fois, le langage imprudent tenu devant des serviteurs a été la source de graves difficultés.

Dans le même ordre d’idées, l’expérience coloniale doit recommander à nos agents de ne pas céder à la tentation très naturelle de modifier parfois brusquement les directives et la ligne de conduite suivie par leurs prédécesseurs. Faire et défaire n’est pas travailler. Ce n’est jamais qu’avec prudence qu’il faut toucher à ce qui a été réalisé avant nous. Si la nécessité en existe impérieusement, il convient de le faire avec beaucoup de tact et par une lente gradation qui ne heurte pas les sentiments très traditionnels des noirs.

Le commerçant, l’industriel, le planteur sont la force d’une colonie. Sans eux, sans leur initiative et leur travail, sans le rendement de leur effort, aucun pays au monde ne pourrait s’imposer les charges considérables de la colonisation. L’État ne peut tenter lui-même la mise en valeur économique de nos vastes domaines. Aussi, la politique du gouvernement est-elle d’industrialiser la Colonie en donnant à ses propres services économiques une organisation commerciale et autonome et en encourageant partout les entreprises privées.

Jamais les fonctionnaires n’ont réussi à développer seuls les pays nouveaux. Les colons et les sociétés commerciales sont nos collaborateurs directs et obligés. Le service territorial les aidera et les soutiendra. Rien ne serait plus contraire aux intentions du gouvernement qu’une attitude de supériorité ou de dédain ou simplement d’indifférence à ce sujet.

Ce n’est pas un des moindres attraits de la carrière d’Afrique que d’observer avec intelligence la vie indigène, d’apprendre à connaître les coutumes, l’organisation de la famille, du clan, de la tribu, les croyances et les mœurs.

Bien des institutions congolaises qui, à première vue, peuvent paraître bizarres ou étranges, tels le matriarcat, le mariage par l’achat, la compensation pécuniaire à titre de pénalité, la solidarité matérielle des membres d’une même famille, correspondent à des formes et à des pratiques qui ont existé chez nos ancêtres et n’ont disparu qu’après une longue évolution.

Rien ne serait périlleux comme de brusquer cette transformation ou de détruire des règles traditionnelles, qui bien souvent sont des forces moralisantes ; moins nobles que les nôtres, elles sont efficaces dans le milieu indigène où elles agissent depuis des siècles. L’infériorité morale que l’on observe souvent quand on compare le noir vivant dans son village, aux déracinés, vivant près des grands centres, constitue un exemple frappant du mal que peut causer la désorganisation de la vie et des institutions indigènes. Il ne peut s’agir d’exposer l’ensemble des populations à d’aussi périlleuses et brusques expériences. Comme la vie animale, la vie sociale ne procède pas par bonds.

C’est pourquoi, rien ne préoccupera davantage le fonctionnaire territorial que la tâche si profondément intéressante d’adapter notre effort d’expansion économique, d’ordre et de justice, au milieu indigène et à son organisation, sans les bouleverser et les détruire. C’est une œuvre de choix qui veut beaucoup de bon sens, de tact, de bonté et une sympathie sincère pour nos sujets noirs.

Les rapports avec les chefs sont un élément capital de cette politique. Leur autorité est devenue une part de notre autorité et de nos moyens d’action. Ne l’ébranlez pas : c’est une force perdue. Le chef doit être traité avec égards, de façon à le faire respecter et à le distinguer. Les instructions détaillées qu’on trouvera dans ce guide aideront à préciser cette partie des devoirs du service territorial.

La pratique de diviser les grandes chefferies est contraire à la politique du gouvernement. Il en est de même de la multiplication des sous-chefs.

Non contents de soutenir l’autorité traditionnelle fondée sur la coutume, nous entendons développer la participation des indigènes à notre administration. Des instructions nouvelles ont rappelé la nécessité de former et d’employer plus de clercs noirs. Pour remédier à l’émiettement de l’autorité, il importe de réunir les chefs par secteurs, de jeter les bases de tribunaux indigènes et d’une administration noire subordonnée, là où les grandes chefferies n’y suppléent pas.

Le besoin de justice est vivement ressenti par les noirs de toutes les tribus.

Déjà juge naturel des palabres, l’administrateur s’est vu récemment attribuer une compétence beaucoup plus étendue comme juge de police. Il ne saurait consacrer trop de soins et d’application à ces nouvelles fonctions : son autorité morale s’en trouvera agrandie, le juge calme et impartial, juste mais paternel, est une noble figure chez tous les peuples, mais il domine de toute sa supériorité morale l’esprit simple des primitifs.

C’est une erreur parfois commise de voir dans la récolte de l’impôt un acte indifférent à la politique indigène. C’est oublier que de leur temps immémorial, le tribut a été pour nos populations le signe direct de la souveraineté.

Le service territorial ne saurait s’en désintéresser. Mais il lui appartient, par l’usage intelligent d’auxiliaires noirs, de faciliter le recensement, de simplifier et d’intensifier les opérations matérielles, sans néanmoins, en principe, laisser opérer l’encaissement par eux : les abus ne tarderaient pas à se développer.

L’étude soigneuse des langues indigènes est vivement recommandée à nos fonctionnaires et agents. Ces langues sont intéressantes en elles-mêmes. Celui qui les parle mal et les entend imparfaitement perd de son autorité sur les noirs, très observateurs, et s’expose à être induit en erreur par son interprète.

Etre fonctionnaire colonial n’est pas un métier : c’est un honneur et une mission.

Celui qui, en Afrique, au service de la Colonie, ne recherche que le gain matériel, s’est trompé de carrière : il n’a pas l’esprit colonial, et il ne trouvera jamais en lui- même ces satisfactions profondes de la conscience, qui sont la joie et la force de la vie pour les plus humbles comme pour les plus grands.

Sans renoncer à la justice, récompense de son travail, il faut avant tout voir dans la Colonie une grande œuvre collective à laquelle on est fier de collaborer. Cet idéalisme a inspiré les plus beaux dévouements ».

Le Ministre des Colonies, (S) Louis Franck. 22 novembre 1920.

Source : Isidore Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, Bruxelles, 1998.