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Texte : par quoi on remplace le pain et le vin

La Relatione de Jean-François de Rome (1648) apporte les informations les plus détaillées sur la « vie quotidienne » au royaume du Kongo et partant, à l’ouest du Congo ancien. C’est en témoin oculaire qu’il fournit tant de détails sur la flore, la faune, la gastronomie et la physionomie des individus. La lecture permet de se rendre compte qu’à trois siècles d’intervalle, le changement a été finalement fort minime.

« Vers la fin de l’hiver, c’est-à-dire à la fin de septembre, on commence habituellement à cultiver la terre, car c’est alors que débutent les pluies ; la récolte se fait au mois de décembre. On sème de nouveau au début de janvier, pour obtenir une autre récolte à la fin de l’été, c’est-à-dire vers la fin d’avril. Ainsi chaque récolte se fait dans la saison d’été, en hiver on ne sème ni récolte. Leur façon de cultiver la terre demande peu de travail à cause de la grande fertilité du sol : ils ne labourent ni ne bêchent mais avec un hoyau ils grattent un peu la terre, assez pour recouvrir la semence. Moyennant cette légère fatigue, ils font des récoltes abondantes, à condition que les pluies ne fassent pas défaut. Si le temps reste au sec, tout se dessèche et les gens sont réduits à une grande pénurie de vivres, car ils n’amassent pas de réserves pour l’avenir et ne sèment que le nécessaire.

Le grain qu’ils sèment n’est pas le nôtre dont nous faisons le pain, mais c’est le grain que nous appelons « grain turc » et qui en leur langue s’appelle Masa ma Mputu (graminée importée Zea mays), c’est-à-dire grain du Portugal, puisque ce furent les Portugais qui l’importèrent. De ce grain, ils possèdent toujours une grande quantité. Ils sèment encore certaines autres espèces de millet, semblables au sarrasin ; certaines espèces ont l’enveloppe blanche, d’autres l’enveloppe rouge ; une certaine espèce est si petite qu’elle ressemble au grain de sénevé, mais elle est appréciée au-dessus de toute autre, à cause de son meilleur goût. On l’appelle luku (eleusine corocana) et elle se multiplie outre mesure. Pour faire de la farine de ces millets et grains, ils ne se sentent pas de meules de moulin mais de grands mortiers en bois. Ils y versent le grain quelque peu mouillé, et avec des pilons également de bois, ils le broient ; puis à l’aide de tamis de paille très fins, ils séparent la farine du son.

Ils ne fabriquent pas du pain comme on le fait en Europe, puisqu’ils ne se servent pas de fours ; lorsqu’ils veulent manger, ils mettent une marmite d’eau sur le feu, et tandis que l’eau bout, ils y versent de la farine qu’ils retournent continuellement avec un bâtonnet ; ils en mettent jusqu’à ce que l’eau soit absorbée ; il en résulte une sorte de masse pâteuse ou disons une sorte de polenta (spécialité italienne, bouillie de farine ou de maïs). On l’extrait de la marmite et on la laisse quelque temps couverte d’étoffes pour qu’elle se durcisse un peu. Elle leur sert de pain et ne nuit en rien à la santé. Elle ne se conserve pas plus de trois jours ; par après elle se corrompt, devient aigre et n’est plus bonne à être mangée. Cette sorte de pain, ils l’appellent dans leur langue : Mfundi.

Les Portugais leur ont appris à faire du pain, d’une autre façon encore et ce pain est bien meilleur. Voici comment ils procèdent. Ayant obtenu la polenta, ils en font des gâteaux, grands de deux doigts, qu’ils mettent au feu, sur un treillis de fil de fer ; grillés de la sorte, ces gâteaux sont très bons. Ils appellent cette espèce de pain : Mbolo (terme d’origine portugaise).

Leur tient encore lieu de pain une racine appelée Madioka, laquelle est comme un gros panais. Quand on déterre cette racine, elle est vénéneuse ; pour enlever le poison on la fend au milieu et on la met dans l’eau où on la laisse rouir durant deux ou trois jours, puis on la retire de l’eau et on la met sécher au soleil. Si quelque animal vient boire de cette eau, il meurt sur-le-champ. Quand, par après, ils veulent manger de cette racine, ils la mettent quelque temps sur des braises ; elle leur sert de pain mais elle est fort insipide. Ils ont aussi l’habitude de faire de la farine de cette racine. Ils s’y prennent ainsi : extraite de l’eau et séchée quelque peu, ils la grattent avec un certain instrument à eux, qui ressemble à une râpe ; puis la farine est mise au soleil ; à première vue elle ressemble à du fromage râpé. On la conserve dans des sacs et sans y mettre du levain ni en faire du pain, on la mange ainsi avec des cuillères. Cette farine est bonne à préparer en potage, car en la mettant dans le bouillon, elle se dilate beaucoup, ressemblant à un pain râpé. La plante qui produit cette racine est un arbuste court, aux branches éparses et presque sans tronc. Cet arbuste ne produit pas de semence. On coupe les branches en plusieurs morceaux d’une longueur d’un palme et demi et on les enfonce dans un petit tertre, l’extrémité sortant de la terre. Ces tiges produisent sans tarder, non pas une, mais plusieurs racines. Celles- ci, comme la farine qu’on en extrait, se conservent longtemps.

Le vin qu’on boit en ces régions n’est pas du vin de raisin mais une certaine liqueur blanche comme le petit lait et qui est produit par une espèce de palmier qui pousse dans ce royaume. Cette liqueur est piquante et douce et très bonne, mais elle ne se conserve que peu de temps, puisque après trois jours elle se convertit en vinaigre. Au moment où on l’extrait du palmier, elle bout comme du moût ; comme les gens n’ont pas la tête très forte, ils s’enivrent facilement de ce vin. Voici pourquoi il n’y a pas de vin de raisin : c’est au moyen du vin européen que les Portugais ont commencé à faire le commerce des esclaves destinés aux Indes Occidentales ; s’ils avaient permis la culture de vignes dans ces régions, le vin d’Europe aurait perdu toute sa valeur commerciale, d’autant plus que les ceps y donnent des raisins deux fois par an ; les Portugais arrachèrent les vignes qu’ils avaient d’abord plantées, en vue d’acheter ces esclaves au moyen de vin. Il n’est resté que peu de vignes, dans certains endroits, et les raisins ne servent qu’à être mangés. Le tronc du palmier duquel on extrait le vin n’est pas très gros mais très haut : il y en a qui ont la hauteur d’une pique et demie. Cette liqueur s’extrait à la cime ; pour la tirer, ils font des entailles près des branches et ils y attachent des calebasses dans lesquelles le vin dégoutte. Lorsqu’ils estiment que les calebasses sont déjà remplies, ils montent sur le palmier et les détachent ; ceci se fait habituellement le matin de bonne heure et le soir. Ils extraient le vin, toute l’année, sans autre travail que de tailler de temps à autre quelques branches. La grande facilité d’obtenir cette espèce de vin explique pourquoi ils n’ont jamais planté des vignes, qui demandent beaucoup de culture et de soins. Leur façon de grimper sur ces palmiers est vraiment merveilleuse et je crois que très peu de gens de chez nous se risqueraient à monter ainsi. Ils ne se servent ni d’échelle ni de corde mais d’un cerceau très résistant, de forme ovale et qui s’ouvre et se ferme. Ils s’entourent le corps et le palmier de ce cerceau, en se tenant à quelque distance du palmier, de sorte que commodément ils puissent y mettre le pied en appuyant les reins contre le cerceau ; ceci fait, des deux mains ils soulèvent le cerceau de deux palmes, en plaçant au même moment les pieds en haut. Comme le tronc du palmier est rugueux tant le cerceau que les pieds s’y accrochent facilement. Ainsi soulevant successivement le cerceau et déplaçant les pieds vers le haut, ils arrivent facilement à la cime du palmier. Comme ils sont très habiles et agiles, iis montent et descendent avec une telle rapidité, qu’à les voir on est saisi de crainte. Il arrive souvent qu’un tireur tombe en bas, non pas parce que la façon de monter inventée d’eux ne soit pas sûre mais parce que, parvenus en haut et voyant les calebasses pleines de vin fumant, ils se sentent pris d’une telle envie de boire ce vin dont ils sont si friands qu’ils en dégustent une bonne quantité. Ayant l’esprit troublé, ils ne retrouvent plus les mouvements synchronisés de la descente et ainsi facilement ils tombent en bas. Beaucoup sont morts sur-le-champ ; les autres sont guéris de cette façon extraordinaire : on les étend par terre et on les flagelle très fortement, particulièrement la partie du corps qui a percuté le sol. Traités de cette manière, ils se rétablissent. On les flagelle avec des branches d’un arbre qui produit un fruit duquel on extrait de l’huile semblable à celle de l’Europe ; pourtant on ne la consomme pas, on la brûle seulement.

Il y a encore une autre sorte de vin, produit par une autre espèce de palmier, et qui en leur langue se nomme matumbe (raphia vinifera) ; ce vin a la même couleur que l’autre mais il n’est pas aussi bon. Le tronc de ce palmier est assez bas mais ses branches ont la longueur d’une pique et sont plus ou moins semblables à celles du palmier ordinaire. Des côtés de ces branches, ils fabriquent les torts des maisons et ces solives sont étonnamment fortes et légères.

Dans certaines régions on trouve ces deux sortes de vin en grande quantité, comme dans la province de Nsundi, de Soyo et dans les îles du fleuve Zaïre. Dans d’autres régions on n’en trouve aucune sorte : en effet, lorsque, nous rendant en Angola, nous passâmes par le duché de Mbamba, dans la plus grande partie de ce duché nous ne buvions jamais du vin mais de l’eau.

Les peuplades qui n’ont pas de vin, se fabriquent une boisson avec de la farine cuite dans l’eau. Cette boisson est comme une espèce de bière et quoiqu’elle soit d’une moindre saveur, les gens s’en enivrent aussi. Afin de pouvoir célébrer la sainte Messe, il est nécessaire d’amener de nos régions tant le vin que la farine pour les hosties : ceci ne va pas sans beaucoup de peine. Avec la faveur divine, nous espérons pouvoir nous procurer de la farine sur place. D’après ce qu’on dit, notre blé, attiré puissamment par le soleil, ne parvient pas à pousser de racines profondes et ne produit que de l’herbe abondante ; pourtant nous croyons que si on le semait sur certaines collines assez hautes et fraîches, il donnerait des épis et avec une certaine abondance.

Quant aux fruits, il y en a quelques-uns de nos régions, mais non pas dans chaque province ; ainsi les Portugais y ont importé des citrons, limons et oranges ; quelques particuliers cultivent aussi des raisins dans leur jardin.

Parmi les autres fruits que nous y avons goûtés, il y en a quelques-uns entièrement différents des nôtres, mais ces fruits ne s’y trouvent pas en grande quantité. Il y a trois sortes de fruits qui sont vraiment bons ; dans la langue du pays ils se nomment, l’un niceffo, l’autre ananassa, le troisième cocco.

Le niceffo (sorte de banane ?) est comme un concombre de grandeur moyenne ; à l’intérieur il ne contient pas de noyau et il se pèle avec la même facilité qu’une figue ; lorsqu’il est bien mûr tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, il a la couleur de beurre et la chair est très tendre et a un goût si savoureux qu’on ne peut se rassasier d’en manger ; il ne nuit pas à la santé et il y en a toute l’année. Pourtant ce fruit ne se trouve pas partout dans le royaume. La plante qui produit ce niceffo est comme un palmier haut d’environ deux cannes (environ 5 m), elle a des feuilles très grandes mais pourtant tendres ; le tronc n’est pas de bois mais formé de ces feuilles superposées ; à la cime celles-ci s’épandent et forment une belle chevelure. La plante contient tant de suc que, quand on coupe le tronc, il en sort une quantité si abondante qu’il semble se changer en une source. Cette plante ou disons cet arbre produit une grande grappe, pleine de ces niceffo, parfois la grappe en porte deux cents. En un an il ne produit qu’une seule grappe ; quand le fruit a été cueilli, la plante pourrit au pied et tombe par terre, mais de sa racine naissent d’autres plantes, de sorte qu’elle se propage abondamment ; n’importe quelle petite partie de cette racine, si on la met en terre, produit bientôt une nouvelle plante. A l’intérieur de ce fruit on voit une chose curieuse : lorsqu’on le coupe de travers on y remarque, quoique peu distinctement, comme l’image d’une croix, formée de certaines nervures tendres parcourant l’intérieur du fruit et tirant quelque peu au noir. Cela s’observe sur toute la longueur du fruit, lorsqu’on le coupe tranche par tranche.

L’autre fruit, appelé ananassa (ananas) est comme une grande pomme de pin pointée, de diverses couleurs ; l’écorce est tendre comme celle d’un melon, la chair ressemble à celle d’un cognassier très mûr et aussi son goût y ressemble beaucoup, mais il est meilleur. Au sommet du fruit il y a quatre ou cinq petites feuilles ; si on coupe cette partie et qu’on la jette par terre, il en naît rapidement une autre plante. Elle a la propriété suivante : si on y enfonce un couteau et qu’on l’y laisse toute la nuit, le lendemain matin on trouvera le fruit presque tout consumé. Ce fruit est produit par une plante qui est comme un grand cardon ; il est très bon pour ceux qui souffrent de la pierre et de la gravelle.

Le cocco (noix de coco) a la grandeur d’un melon moyen, sa forme se rapproche de l’ovale ; l’écorce épaisse de deux doigts environ, est très dure ; si on veut manger ce fruit, on doit l’ouvrir avec une hachette ou un instrument semblable. Quand on a enlevé l’écorce, on trouve une noix grande comme un œuf d’autruche, de la couleur d’une châtaigne, et très dure. A l’intérieur de cette noix il y a une chair épaisse d’un doigt, partout attachée à la paroi extérieure ; cette chair est blanche comme le lait mais quelque peu dure ; elle contient, dans son circuit, une eau si précieuse et délicieuse que vraiment elle peut s’appeler un nectar ; sa quantité remplira environ un verre. L’arbre qui produit ce fruit ne diffère nullement des palmiers qui donnent le vin. Il y a d’autres fruits du pays mais ils ne sont pas très savoureux.

Des plantes potagères, comme les choux, la laitue, le persil, la chicorée, la menthe, les radis et d’autres, se rencontrent dans certaines contrées, mais pas dans d’autres. Des courges se trouvent en bonne quantité et elles sont très grandes. Comme les autres légumes, les courges ont été importées par les Portugais. Lorsque dans nos régions, on apporte de la semence de radis aussi gros que le bras d’un homme, la semence produite par ce radis, ne contient plus tant de vigueur ; aussi la deuxième année elle produit des radis plus petits, la troisième année ils sont encore moindres, de sorte que la quatrième année ils sont comme un radis ordinaire, de l’espèce qu’on mange.

L’ail et les oignons sont très rares, il faut beaucoup de soins pour les maintenir en vie, et ils restent toujours petits. Les choux et les laitues poussent très bien : les petits pois et les pois chiches et les autres légumes d’Europe ne donnent pas de fruits considérables.

Les légumes du Congo sont de trois espèces. L’une est appelée dans leur langue guando (wandu) et sa forme ressemble à celle des petits pois, mais elle n’a pas un aussi bon goût. L’autre s’appelle incassa (nkasa) : ce sont de petits haricots rouges, très bons. Il y a grande abondance de ces deux espèces de légumes. La troisième est constituée de grandes fèves, blanches et rouges, en partie différentes des nôtres. Elles sont très bonnes. Les Portugais les importèrent du Brésil, c’est pourquoi dans la langue du pays elles se nomment lucanza lua Brasil, c’est-à-dire fève du Brésil. La racine, appelée patate (patate douce), qui se trouve aussi en Espagne, particulièrement à Malaga, se cultive au Congo en très grande quantité ; elle est très bonne, on la mange cuite dans l’eau ou sur les braises. Elle a un goût qui ressemble assez bien à celui de la châtaigne et beaucoup la mangent au lieu de pain (…).

Si ces gens aiment ce qui est doux, ils aiment également ce qui est amer, aussi mangent-ils avec beaucoup de délectation un fruit qu’ils appellent cola. Celui-ci est un peu dur et très amer ; il facilite le bon fonctionnement de l’estomac. C’est pourquoi ils ont l’habitude de le prendre à jeun ; ils le mangent aussi après le repas pour faciliter la digestion de la nourriture. Au cours de la journée, voulant boire de l’eau, ils prennent d’abord de ce cola, lequel leur rend l’eau très savoureuse. L’arbre qui le produit est très haut, son fruit est comme une petite pomme de pin, à l’intérieur il contient quatre ou cinq pulpes, séparées à la façon des châtaignes, et de couleur rouge et incarnat (…).

Quant aux bêtes, il y a au Congo beaucoup d’animaux domestiques qu’on trouve en Europe, comme les boeufs, vaches, chèvres, moutons, poules, pigeons et autres semblables. Ces animaux y vivent en bon nombre. Les boeufs et les vaches sont comme ceux de nos contrées ; les gens ordinaires n’en possèdent pas mais uniquement les notables comme les rois, ducs, comtes. Ils ne savent pas traire les vaches et les brebis ni faire du fromage et autres laitages, comme on le fait en Europe, soit parce que ces animaux donnent peu de lait, soit parce que les habitants n’apprécient pas ces délicatesses. La dernière raison est la plus probable ; en tout cas, il n’y a ni fromage ni beurre ni aucune autre sorte de laitage. Les moutons de ces contrées ne donnent pas de laine ; ils ont le poil court comme celui d’un cheval. Les porcs sont comme les nôtres mais excessivement gros et gras, à l’exception de ceux de Soyo lesquels ont peu de lard. Les poules ne sont pas très grandes mais de taille médiocre et pour le reste semblables aux nôtres, elles pondent beaucoup mais leurs œufs sont petits. Il y a aussi des chiens et des chats importés par les Portugais. Les chiens ne servent à rien puisqu’ils n’aboient pas étant comme muets. Il n’y a ni chevaux, ni mulets ni ânes et par conséquent ni chars, ni carrosses. Les hommes eux-mêmes font le travail des chevaux, puisqu’ils portent des charges de grands poids, autant que pourrait porter un âne et cela sur une distance de quinze et dix- huit milles. Les hommes servent aussi de chevaux aux nobles qui veulent voyager. Ils les portent dans un hamac, grand et long, dont les extrémités sont attachées à une perche qu’on met sur les épaules d’un homme qui marche par devant et d’un autre qui marche par derrière, le hamac étant entre eux deux. Ces porteurs courent avec une telle rapidité comme s’ils étaient des chevaux et on les appelle de ce nom. La personne qui voyage dans le hamac peut s’étendre ou s’asseoir à sa guise et en chaque position elle voyage très confortablement, car elle ne ressent aucune secousse. Quand ils doivent faire un long voyage, les porteurs du hamac sont relayés de temps à autre par d’autres porteurs frais ; c’est pourquoi le seigneur doit se faire accompagner de huit ou dix « chevaux ».

Tous ceux qui ont des esclaves voyagent de cette manière, même le roi. Les nobles et les riches possèdent des hamacs très beaux, faits de Kapok, avec des dentelles et des ouvrages très curieux ; le roi a un hamac très beau, orné de bouffettes et de dentelles d’or ; la perche aussi est entourée de velours fixé par des clous dorés ; ainsi orné, le hamac a belle apparence.

Outre les animaux domestiques, il y en a d’autres, sauvages, parmi lesquels de nombreux éléphants. On lès capture habituellement de la façon suivante : lorsqu’on connaît le sentier où l’éléphant a l’habitude de passer, on y creuse un profond fossé, qu’on couvre de branches. Si l’éléphant tombe dans ce puits, il n’en peut plus sortir. Les chasseurs aux aguets lui tombent immédiatement dessus et le tuent. Ils en vendent la chair, qui est très bonne, surtout la trompe. S’ils veulent domestiquer l’éléphant pour le vendre vivant, ils employent le stratagème suivant. D’après ce que j’ai lu dans les livres, un homme se montre très dur à l’égard de l’éléphant, lui donnant de nombreuses bastonnades ; alors un autre homme prend sa défense, se tournant contre celui qui le frappe. Ils jouent ce jeu durant quelques jours ; ainsi l’éléphant se prend à l’égard de son défenseur d’une si grande amitié qu’il se laisse entièrement dominer par lui, se soumettant en tout et partout à ses ordres.

Il y a également de nombreux lions et léopards et encore d’autres animaux, comme les buffles qu’ils nomment mpakasa. Ceux-ci sont très féroces et tuent souvent les voyageurs, non pas de leurs cornes mais de leurs pattes, comme font les buffles de nos contrées.

Il y a beaucoup de cerfs, d’antilopes et « vaches sauvages », de couleur rousse mais petites ; nombreux sont aussi les loups et les renards.

Au comté de Soyo, particulièrement dans les îles du fleuve Zaïre, les singes et magots, petits et grands, abondent. Voyant passer les gens, ils sautent dans les arbres, semblant leur jouer une farce.

Dans la province de Mpemba, il y a des chats muscats ; ils sont grands et malins ; c’est pourquoi on a l’habitude de les garder dans des cages de bois bien solides. Bien qu’ils soient sauvages, ils se familiarisent vite avec leur maître. Dans cette même province, il y a un animal qu’on appelle zèbre. Sa stature ressemble à celle d’un mulet, mais son poil est totalement différent. De la ligne de l’épine dorsale vers le ventre, il est garni de bandes de trois couleurs : noir, blanc et tanné ; le cou, la tête et les pattes sont striés de la même façon ; les bandes sont larges de trois doigts et disposées dans l’ordre suivant : à la couleur blanche succède le noir, au noir le fauve et ainsi de suite, toujours dans le même ordre. Sa course est très rapide ; si on le domestiquait il pourrait très bien servir de cheval, car il n’est pas fort sauvage. Pourtant les naturels du pays préfèrent faire eux-mêmes fonction de cheval, plutôt que de se mettre en tête de le domestiquer.

Il y a une espèce de serpent si grand et démesuré qu’il avale un cerf entier. Il ne manque pas de personnes qui l’ont vu dans ces contrées. Durant mon séjour au Congo, un Portugais me raconta qu’en traversant un bois avec des compagnons, ils trouvèrent un de ces serpents étendu à travers le chemin. Il avait le ventre gonflé et semblait dormir. En effet, après avoir mangé beaucoup, cet anima! a ceci de caractéristique qu’il reste assoupi et comme mort. Voyant le serpent, tous furent grandement effrayés et montèrent dans les arbres. De là ils lui tirèrent de nombreux coups de mousquet. L’ayant tué ainsi, ils l’ouvrirent et dedans ils trouvèrent un cerf avalé peu auparavant. La chair de ce serpent est bonne à manger, car il n’est nullement venimeux.

Il ne manque pas de faisans, de starines grises, de perdrix,mais ils ne sont pas aussi bons qu’en Europe, car leur chair tire au noir et est assez coriace.

Les oiseaux de ce pays sont ordinairement revêtus de plumes de très belles couleurs, comme le vert, le rouge, le jaune, le bleu et couleurs similaires, mais peu ont le chant suave. Il y a une grande quantité de tourterelles ; surtout le matin et le soir, elles joignent leur morne chant à celui des autres oiseaux et elles font une musique ennuyeuse et très affligeante. Les perroquets sont très nombreux surtout dans les îles du fleuve Zaïre. Ils sont de couleur grise, avec quelques plumes rouges dans les ailes.

On mange rarement du poisson, non pas parce qu’il n’y a pas de fleuve – il y en a beaucoup et ils contiennent une grande quantité de poissons – mais parce que les habitants s’appliquent peu à la pêche. Les poissons de ces fleuves diffèrent des nôtres d’Europe, pourtant ils sont très bons ; une espèce en particulier a une chair si blanche et si savoureuse qu’elle ressemble à la poitrine d’un chapon. Ce poisson est grand de deux palmes et demi.

Ceux qui habitent près de la mer consomment des poissons en plus grande quantité que ceux qui habitent à l’intérieur de la terre, car la mer qui baigne ce pays, est très poissonneuse. Ils salent les poissons et les vendent ensuite aux marchés ; leur se! est comme celui qui se vend à Rome avant qu’il soit purifié et rendu blanc. Le roi seul est propriétaire des salines. Si le roi veut punir un de ses sujets, duc, comte ou marquis, il défend de lui vendre du sel, à lui et à son peuple.

Voilà ce qui a trait aux caractéristiques du royaume et aux fruits, aux animaux etc. J’en viens maintenant à traiter des habitants du royaume et de leur façon de se vêtir.

Les naturels du Congo sont tous de couleur noire, mais l’un est plus foncé que l’autre ; on en voit beaucoup de couleur de châtaigne et d’autres qui tirent plus sur l’olivâtre. Entre eux, ils regardent le plus noir comme le plus beau. A leur naissance, ils ne sont pas noirs mais blancs et puis peu à peu ils deviennent noirs. Leurs mères, ne pouvant attendre que leur enfant prenne de soi-même leur noirceur, l’enduisent d’un certain onguent, et ainsi oint, elles l’exposent toute la journée aux rayons du soleil. Je ne comprends pas comment l’enfant n’en meurt pas. Elles l’exposent ainsi plusieurs fois, de sorte que l’enfant, en peu de temps, devient noir comme du charbon. Alors le père et la mère sont tout contents, voyant leur enfant devenu semblable à eux-mêmes.

La noirceur de cette nation ne procède pas de la chaleur excessive du soleil, comme certains le pensent. En effet, comme je l’ai dit plus haut, les chaleurs dans ces contrées sont très modérées ; en plus les Européens y restent blancs comme dans leurs propres patries, et les enfants qui leur naissent sont et restent blancs. La noirceur des habitants provient du fait de leur nature et qualité intrinsèque. En effet, nous constatons aussi que les enfants nés de noirs en Espagne ont la même noirceur que leurs parents. Il y a certains enfants de père et de mère noirs qui naissent blancs et quels que soient les moyens qu’ils emploient, jamais ils ne peuvent leur donner leur propre noirceur ; aussi sont-ils tenus pour des monstres (albinos). Ils ont les mêmes traits que les noirs ; leurs cheveux sont crépus mais blancs ; ils ont la vue courte mais quant aux autres caractéristiques du corps, ils sont bien faits comme les autres. Pourtant ils sont très rares. Les noirs du Congo ne sont pas aussi difformes que ceux de la Nubie ; ils ont bien les lèvres un peu épaisses et le nez un peu aplati, mais dans une mesure telle que cela ne les rend nullement difformes ; quant à la stature, ils sont plutôt grands que petits ; tant les hommes que les femmes sont de taille vraiment harmonieuse ; ils sont agiles à la course et doués d’une grande force ; ils ne se laissent pas pousser les cheveux mais ils les coupent, les femmes aussi bien que les hommes, et les esclaves font de même. Les hommes portent une petite barbe mais lorsqu’ils approchent de la trentaine, ils la coupent, gardant seulement des moustaches comme en Europe. Lorsqu’ils vieillissent, leurs cheveux blanchissent comme chez nous ; ordinairement ils vivent longtemps ; ainsi j’ai vu parmi eux des vieillards de 108 et 110 ans. Après s’être rasés, tant les hommes que les femmes s’enduisent la figure et la tête d’une sorte de craie de couleur jaunâtre ; alors ils sont d’un aspect terrifiant. Après deux ou trois jours, ils se lavent soigneusement la figure et la tête et la peau se découvre lisse comme une pierre noire, ce qu’ils apprécient beaucoup ».

(Jean-François DE ROME, traduit par F. Bontinck, 1964 : 88-104).

Source : Isidore Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, Bruxelles, 1998.