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Texte : Les méfaits du commerce (Kongo)

Cette correspondance du 6 juillet 1526 du roi Dom Afonso du Kongo à son « frère » Dom Joâo III du Portugal explique dans quelle mesure l’influence extérieure introduite à la faveur du commerce est à la base de la destruction du royaume et des structures anciennes. Le roi marque son opposition à l’égard de la traite et de l’introduction des produits importés, tout en se plaignant du comportement du personnel européen.

« Le 26 juin, nous avons appris l’arrivée dans notre port de Sohio d’un navire de V. Altesse. Nous nous en sommes réjouis grandement, car il y avait bien longtemps qu’aucun de vos navires n’avait abordé dans notre royaume en apportant des nouvelles de V. Altesse, nouvelles que nous avons bien souvent souhaitées, comme il est juste. De plus, nous manquons presque complètement de vin et de farine pour le saint sacrifice. Cela, d’ailleurs, ne nous étonne pas tellement, parce que nous nous trouvons souvent dans la même nécessité. Cela prouve, Seigneur, combien les officiers de V. Altesse se soucient peu de nous et ne nous apportent pas ce que nous demandons. Et pourtant, nous avons appris que V. Altesse le leur avait ordonné par décret, car c’était aussi bien le service de Dieu que le vôtre (…).

Seigneur, V. Altesse doit savoir que notre royaume va à sa perdition, de sorte qu’il nous faut apporter à cette situation le remède nécessaire. Ce qui cause beaucoup de dévergondages, c’est le fait que le chef de votre factorerie et vos officiers donnent aux marchands la permission de venir s’établir dans ce royaume, d’y monter des boutiques, d’y vendre des marchandises, même celles que nous interdisons. Ils les répandent à travers nos royaumes et provinces en si grande abondance que beaucoup de nos vassaux, que nous tenions jusqu’ici dans notre obédience, s’en dégagent. C’est qu’ils peuvent désormais se procurer, en plus grande quantité que nous, ces choses mêmes avec lesquelles autrefois nous les maintenions soumis et contents dans notre vasselage et juridiction. Il en résulte un grand dommage tant pour le service de Dieu que pour la sûreté et le calme de nos royaumes et de nous-mêmes.

Nous ne mesurons même pas toute l’importance de ce dommage, car les marchands enlèvent chaque jour nos sujets, enfants de ce pays, fils de nos nobles vassaux, même des gens de notre parenté. Les voleurs et hommes sans conscience les enlèvent dans le but de faire trafic de cette marchandise du pays, qui est un objet de convoitise. Il les enlèvent et ils les vendent. Cette corruption et cette dépravation sont si répandues que notre terre en est entièrement dépeuplée. V. Altesse ne doit pas juger que cela soit bon ni en soi, ni pour son service. Pour éviter cet abus, nous n’avons besoin en ce royaume que de prêtres, et de quelques personnes pour enseigner dans les écoles et non de marchandises, si ce n’est du vin et de la farine pour le saint sacrifice. C’est pourquoi nous demandons à V. Altesse de bien vouloir nous aider et nous favoriser en ordonnant à vos chefs de factorerie de ne plus envoyer ici ni marchands, ni marchandises. C’est en effet notre volonté que ce royaume ne soit un lieu ni de traite ni de transit d’esclaves, pour les motifs énoncés ci-dessus.

Nous demandons à V. Altesse, une fois encore, de l’imposer ainsi, car nous ne pouvons pas, d’une autre manière, remédier à un dommage si manifeste.

Que Notre Seigneur, dans sa clémence, ait toujours V. Altesse en sa garde et vous permette de le servir. Je vous baise les mains plusieurs fois.

De notre ville de Congo, le 6 juillet 1526, Joao Teixeira l’écrivit.

Adresse : au très puissant et excellent prince Dom Joâo, notre frère.

Expéditeur : roi de Manicongo.

(Jadin, L, et Dicorato, M„ 1974, pp. 155-156).

Source : Isidore Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, Bruxelles, 1998.