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Texte : La fondation de l’empire Lunda

Voici le récit de la fondation de l’empire Lunda tel que recueilli par L. Duysters en 1927 à la cour même du souverain-lunda (« Histoire des Aluunda « Problèmes d’Afrique Centrale 40, 1958, pp. 79-98). L. de Heush, dans son analyse, y décèle le thème typiquement Kuba de la désunion du père et des fils à propos du vin de palme et celui typiquement Luba de la fondation d’une nouvelle dynastie aux usages plus policés.

« Jadis les ancêtres des Lunda (Aruund) vivaient en paix, dispersés en petites communautés familiales. Ils connaissaient la poterie, les nattes,les filets de chasse, le fer. Ils ignoraient la guerre. Le pays était désert autour d’eux. Au premier chef, Mwaku, succéda son fils Yala Mwaku. Lorsque celui-ci mourut, à un âge avancé, les Lunda étaient devenus très nombreux. Le pouvoir passa à l’un de ses fils, Konde. Ce dernier eut trois enfants : deux fils, Tshinguli et Tshiniama, et une fille, Lueji. Un jour, Konde tressait des nattes. Il avait placé à côté de lui un pot d’eau trouble pour mouiller les fibres. Ses fils l’interpellèrent avec impertinence, lui reprochant de gâter le vin de palme au lieu de le distribuer. « L’eau, est-ce du vin ? » répliqua Konde en se fâchant.

Alors les fils insultèrent leur père, l’accusant de mensonge. Mais Lueji prit son parti. Konde maudit ses fils et leur descendance ; il les déshérita et proclama que sa fille lui succéderait. Lorsqu’il se sentit mourir, il confia à son frère Sakalende le bracelet, symbole du pouvoir, en lui recommandant de le transmettre à Lueji. Konde fut enterré dans le lit d’une rivière. Sakalende convoqua les notables (tubungu) qui ratifièrent la décision du défunt. Les frères de Lueji se soumirent à son autorité.

Un matin, un notable qui était parti recueillir son vin de palme, trouva sa calebasse vide. Il suivit des traces de pas et surprit quelques hommes occupés à dépecer une antilope. Ils parlaient une langue étrangère. Il les épia et, comme ils ne paraissaient pas farouches, il se décida à les interpeller.

Celui qui semblait être le chef, un grand jeune homme svelte, se présenta en ces termes : « Je suis un chasseur, je m’appelleTshibinda llunga ». Il offrit un morceau de viande à son interlocuteur.

S’estimant dédommagé, le notable s’en fut conter son aventure à un compagnon qui prit contact à son tour avec les étrangers. Tshibinda llunga lui confia un panier de viande destiné à la princesse Lueji. Celle-ci envoya alors en ambassade trois autres notables, chargés d’inviter le chasseur à la cour. Tshibinda accepta de les suivre. Il offrit à Lueji l’antilope qu’il venait de capturer. La princesse fit apporter de la bière (ou du vin de palme ?). Mais Tshibinda s’abstint d’y toucher. Les gens de sa suite expliquèrent qu’un interdit rituel empêchait leur chef de boire ou de manger en public. Lueji fit alors construire une hutte où son hôte put se retirer. Impressionné par la beauté de la jeune femme et par le respect que lui témoignaient ses sujets, Tshibinda llunga lui rendit hommage en exécutant le salut rituel dû aux souverains. Il se présenta comme le petit-fils du premier roi luba. Mbidi Kiluwe. Il dit qu’il avait quitté son pays natal, près de Lualaba, parce que son frère llunga, l’actuel souverain, jaloux de ses succès à la chasse, l’avait insulté, lui reprochant de ne jamais guerroyer. Il s’en était allé avec quelques familles, franchissant la Lomami, puis la Lubilash, traversant des terres inoccupées. Conquise par son charme, Lueji invita le jeune homme à demeurer quelque temps auprès d’elle. Il ne tarda pas à l’épouser. La bonne entente régna d’abord entre le prince étranger et ses deux beaux-frères ; les trois hommes chassaient souvent ensemble. Lorsque Lueji se retirait dans la hutte rituelle réservée aux femmes pendant la période de leurs menstrues, elle se débarrassait du bracelet qu’elle déposait dans la corbeille sacrée, à laquelle ses frères et son mari adressaient le salut rituel durant sa retraite.

Un jour, au sortir de la hutte, elle convoqua les notables, s’assit sur la peau de léopard et prononça un long discours. Elle rappela la déchéance de ses frères et exprima son mécontentement parce que ceux-ci s’abstenaient de rendre hommage à Tshibinda llunga. Elle remit alors solennellement le bracelet cheffal à son mari. C’est ainsi que le pouvoir passa à l’étranger luba. Les deux frères préférèrent l’exil à la soumission. Le nouveau souverain passait son temps à la chasse, il ne songeait pas à la guerre. Les hommes étaient moins nombreux à présent, car beaucoup de Lunda avaient suivi Tshinguli et Tshiniama dans leur migration. Il s’avéra que Lueji était stérile. Elle donna à son mari une seconde épouse, Kamonga, qui mit au monde le successeur de Tshibinda, Naweji. Lorsqu’il mourut, au terme d’un assez long règne pacifique, Tshibinda fut enterré sur la rive droite de la rivière à l’endroit même où eut lieu la première rencontre avec les notables. Naweji fit de Lueji sa première épouse. Kamonga devint reine-mère (Lukonkesha). Guerroyant contre les Kanioka qui menaçaient le pays, le nouveau souverain fortifia la capitale et créa la puissante organisation militaire et politique de l’empire lunda. Il périt au cours d’une campagne. Lueji dut racheter à haut prix le bracelet royal qui était tombé aux mains des ennemis. Elle désigna comme successeur un fils de Naweji. Dès son intronisation, celui-ci proclama sa volonté d’entreprendre des conquêtes. De nombreux petits chefs voisins firent immédiatement soumission. Lueji mourut à un âge très avancé. Le souverain désigna alors parmi les descendants féminins de Konde un dignitaire qui remplaça Lueji avec le titre de Swana murunda (héritière de l’amour). Le roi rassembla des guerriers et étendit considérablement l’empire ».

(De Heush, L„ 1972, pp. 179-181).

Source : Isidore Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, Bruxelles, 1998.