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Texte: Conception de la vie chez les Bantu

Si l’unité culturelle de l’Afrique Noire est une donnée admise dans la science africaniste, celle plus spécifique des populations de l’Afrique Centrale passe pour être une évidence. La similitude réside d’abord et surtout dans une même perception de l’existence. Tempels en son temps la voyait comme centrée sur une seule valeur : la force vitale. 11 essaya de l’expliquer à ceux de sa société d’origine en ces termes :

« Il est dans la bouche des Noirs, des mots qui reviennent sans cesse. Ce sont ceux qui expriment les suprêmes valeurs, les suprêmes aspirations. Ils sont comme des variations sur un leitmotiv qui se retrouve dans leur langage, leur pensée et dans tous leurs faits et gestes. Cette valeur suprême est la vie, la force, vivre fort ou force vitale. De tous les usages étranges, dont nous ne saisissons pas le sens, les Bantu diront qu’ils servent à acquérir la vigueur ou la force vitale, pour être fortement, pour renforcer la vie ou pour assurer sa pérennité dans la descendance. Dans le mode négatif, c’est la même idée qui s’exprime lorsque les Bantu disent : nous agissons de telle façon pour être préservés du malheur, ou d’une diminution de la vie ou de l’être, ou encore pour nous protéger des influences qui nous annihilent ou qui nous diminuent »

« La force, la vie puissante, l’énergie vitale sont l’objet des prières et des invocations à Dieu, aux esprits et aux défunts ainsi que tout ce qu’on est convenu de nommer magie, sorcellerie et remèdes magiques. Eux-mêmes diront qu’ils s’adressent au devin pour apprendre « des paroles de vie », qu’il enseigne la manière de renforcer la vie. Dans chaque langage bantu on découvrira facilement des mots ou locutions désignant une force, qui n’est pas exclusivement « corporelle » mais « totalement humaine ». Ils parlent de la force de notre être entier, de toute notre vie. Leurs paroles désignent « l’intégrité » de l’être (…).

La félicité suprême, la seule forme du bonheur est pour le Bantu la possession de la plus grande puissance vitale ; la pire adversité et en vérité le seul aspect du malheur est pour lui la diminution de cette puissance. Toute maladie, plaie ou contrariété, toute souffrance, dépression ou fatigue, toute injustice ou tout échec, tout cela est considéré par le Bantu comme une diminution de force vitale. »

« La maladie et la mort ne proviennent pas de notre propre force vitale mais d’un agent extérieur, d’une force supérieure qui nous dévore. C’est donc en renforçant l’énergie vitale au moyen des remèdes magiques que l’on devient résistant aux forces néfastes de l’extérieur. »

« Faut-il s’étonner dès lors que les Bantu fassent allusion à cette force vitale dans leurs salutations, et usent de formules telles que : « tu es fort » ou « tu as la vie », et qu’ils expriment leur commisération en des locutions telles que : « ta force vitale s’est réduite, on a entamé ta vie (…) nous avons trouvé les bantus incompréhensibles, excessifs et ridicules lorsque, à longueur de journée, ils se disent cent fois « morts » de faim ou de fatigue, ou que la moindre contrariété ou malaise les « fait mourir ». Dans leur esprit ils expriment simplement une diminution vitale, et dans ce sens leur expression est raisonnable et sensée. Dans leurs langues existent d’ailleurs les verbes « kufwa » et « kufwidila » qui indiquent les degrés progressifs de la perte de la force, de la vitalité, et dont le superlatif signifie la paralysie totale de la puissance de vie. C’est à tort que nous avons traduit ces formes verbales par : « mourir » et « mourir tout à fait ». » (P. Tempels, La philosophie bantoue, P.A., 1961,30-32).

Source : Isidore Ndaywel è Nziem, Histoire générale du Congo, Bruxelles, 1998.