Concepts

L'image du Noir à travers le temps

Les stéréotypes négatifs qui entourent l’image du Noir sont une construction assez récente dans l’histoire de l’humanité. Ils trouvent leur origine au moment des traites négrières et du colonialisme. C’est une manière, pour les Européens et les Arabes, de justifier leur entreprise et leur domination. 

Durant l’Antiquité, le Noir ne souffre pas d’une image péjorative. La couleur de la peau n’est pas un critère qui sert à « classer » les hommes. Pour un Grec, par exemple, un barbare est quelqu’un qui n’est pas de culture grecque, indépendamment de la couleur de sa peau. On retrouve des Noirs dans toutes les  armées de l’Antiquité, comme chez Xerxès, chez Hannibal, ou chez les Romains. Des auteurs comme Eschyle ou Homère chantent la beauté du guerrier noir Memnon qui, avec son armée, vient aider Troie avant de se faire tuer par Achille. Dans les arts, les Noirs sont aussi présents. Ainsi, de nombreuses thèses tendent à démontrer que de grands auteurs comme Esope (-620 ; -564) et Terence (-190 ; -159) étaient des Noirs

On commence à trouver quelques  stéréotypes négatifs à l’encontre du Noir à partir du IXe siècle chez les Arabes avant de gagner l’Europe. Tout part d’un passage de la Bible et du Coran autour de Noé et de ses fils. Lors d’un épisode assez court, Noé maudit un des fils de Cham, et toute sa descendance. « Maudit soit Canaan [fils de Cham] ! Qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! » Pour certains auteurs, Canaan devient l’ancêtre des Noirs. Un autre conte, au XVIe siècle, raconte l’histoire de Chus, fils que Cham aurait eu pendant le déluge malgré l’interdiction  de rapports sexuels dans l’Arche. Dieu maudit Chus et le fait naitre noir. La Bible ne dit rien de tout ça, mais des commentateurs vont répandre cette thèse du Noir maudit. Cette image va traverser le Moyen-Âge, dans le monde arabe et dans le monde chrétien, mais va surtout être propagée en force au XIXe siècle. Jusque dans les années 1970, on va retrouver cette filiation entre Canaan le maudit et le Noir dans des encyclopédies ou dans des dictionnaires. 

Mansa Moussa dans l’Atlas Catalan de 1375. Le roi de l’Empire du Mali y figure assis sur un trône tenant une pépite d’or.source: Mansa Moussa dans l'Atlas Catalan de 1375. Le roi de l'Empire du Mali y figure assis sur un trône tenant une pépite d'or. (BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE - COTE : N52509636)

Toutefois, à côté de cette image du Noir maudit, circulent d’autres représentations. Ainsi, sur l’Atlas catalan de 1375, on retrouve, en Afrique, un Noir couronné et couvert d’or, il s’agit de Mansa Moussa, empereur du Mali. Sa présence et sa représentation témoignent d’un certain respect pour ce roi noir. Des stéréotypes négatifs n’entourent pas Mansa Moussa.

Dans les années 1480, les Portugais tissent des liens diplomatiques avec le royaume Kongo, et des échanges sont effectués, d’égal à égal. Ainsi, des fils du Kongo iront étudier au Portugal, des missionnaires viendront au royaume Kongo. 

Les choses changent avec le début de la traite atlantique (XVe siècle), et les millions d’esclaves noirs envoyés dans les Amériques, les stéréotypes négatifs  à l’égard du Noir prennent de plus en plus de place.  Le terme « nègre » qui ne servait, au début, qu’à désigner la couleur de la peau des Noirs (nègre provient de niger, nigra, nigrum en latin qui signifie « noir »), devient peu à peu synonyme d’esclave.  On commence à assimiler le Noir à l’esclave et inversement. Ainsi, Colbert, ministre de Louis XIV, rédige un code en 1682 afin de légiférer sur la condition des esclaves. Peu à peu, les textes de Colbert seront désignés sous l’appellation « code noir », en référence à la couleur des esclaves. 

Les Portugais représentent le royaume Kongo comme un État européen et leur souverain comme un roi européen.source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kongo_audience.jpg

Avec la fin des traites négrières au XIXe siècle, et le début du colonialisme en Afrique, le racisme scientifique se met en place en Europe. Des scientifiques vont tenter de démontrer avec des expériences douteuses et en trafiquant les chiffres que les Blancs constituent la race supérieure et que les Noir constituent la race inférieure et peuvent même être considérés comme le chainon manquant entre le singe et l’homme. Ces théories douteuses ont permis de justifier l’entreprise coloniale des Européens en Afrique.

Malgré la fin du colonialisme, et les nombreux travaux qui ont démontré qu’il n’existait qu’une seule race chez les hommes, et que les stéréotypes entourant le Noir, n’étaient que l’objet de construction racistes, ces stéréotypes continuent à circuler. La décolonisation politique des années 1960 doit maintenant faire place à une décolonisation des mentalités. Trop de stéréotypes négatifs hérités des traites négrières et de la colonisation sont encore ancrés dans les imaginaires collectifs

Source : Catherine Coquery-Vidrovitch, Petite histoire de l’Afrique. L’Afrique au sud du Sahara, de la Préhistoire à nos jours, Paris, La découverte, 2011 ; Léopold Sédar Senghor, Les Noirs dans l’Antiquité méditerranéenne, dans La revue des deux mondes, Paris, septembre 1977, p.532 – 543.