Supports pédagogiques

Lettre de Witbooi au commandant Leutwein, le 17 août 1894

« À son Excellence, commandant Leutwein,

J’ai reçu votre longue lettre tard hier soir. Je comprends que vous m’accusez de diverses choses et que vous vous disposez à trouver là la justification et l’audace de prononcer contre moi une sentence de mort et de l’exécuter par vos armes.

(…)

2.  Vous dites que j’ai incité des gens à commettre des injustices. Cela (…) n’est pas vrai. Vous citez Simon Koper, mais vous-même, vous avez rencontré Simon Koper et pu constater (…) combien il vous est opposé sans que j’aie le moins du monde à l’encourager. (…)

3. Vous dites que je maintiens être le propriétaire de ma terre et que j’estime être le seul à avoir le droit de vendre cette terre. Voici ma réponse : vous, les Blancs, et tous les peuples rouges savez très bien que cette terre est vraiment à moi, depuis le temps de mes défunts grands-pères ; car les nations rouges ont attaqué feu mon grand-père sans raison et il a vaincu ces nations. Une seconde fois, ces nations m’ont attaqué et, moi, je les ai à nouveau vaincues. Par conséquent, cette terre est doublement mienne. Je n’ai pas obtenu cette terre contre de l’argent, ni en cadeau, ni par la ruse : je l’ai achetée au prix du sang. C’est la loi ancestrale de la conquête. Cela vous le savez, puisque vous savez que la terre est à moi, et que vous ne pouvez la prendre autrement, que vous comprenez maintenant qu’il faut me la prendre par la force. Sur ce point non plus, je ne suis pas coupable.

4. Vous dites déplorer que je n’accepte pas la Protection du Kaiser allemand, que vous m’en tenez rigueur, et que vous allez devoir punir ce crime par la puissance de vos armes. Voici ma réponse. Jamais de ma vie je n’ai rencontré le Kaiser allemand et je ne peux donc l’avoir offensé en parole ou en acte. Par ailleurs, Dieu nous a donné sur terre des royaumes distincts. Partant, je sais et je crois que ce n’est ni un péché, ni un crime de ma part que de vouloir rester le chef indépendant de mon pays et de mon peuple.  (…) Vous dites aussi que vous êtes innocent des massacres à venir, que vous m’en tenez pour responsable. Mais c’est absurde. Que vous puissiez même croire cela me stupéfie. Après que je vous ai fait savoir que j’étais en paix avec vous et ne voulais pas être la cause de nouveaux massacres, vous venez me dire que vous avez l’intention de m’écraser. La responsabilité du sang innocent que mon peuple et le votre vont faire couler ne repose pas sur mes épaules. (…) »

Lettre de Witbooi au commandant Leutwein, le 17 août 1894, dans Votre paix sera la mort de ma nation, Lettres de guerre d’Hendrik Witbooi, capitaine du Grand Namaqualand, présentées et annotées par Jocelyn Nayrand et Dominique Bellec, Le Pré-Saint-Gervais, Éditions Le passager clandestin, 2011, p. 135-136.

Hendrik Witbooi est un chef africain né en 1830 et mort en 1905 . En 1868, Hendrik Witbooi est baptisé et reçoit l’enseignement d’un pasteur européen installé dans la communauté de Gibeon, en Namibie actuellement. Hendrik Witbooi s’installe en 1884 au nord du Hereroland avec 300 personnes. C’est également le début de la colonisation allemande dans la région. Witbooi va entreprendre plusieurs campagnes militaires contre des rivaux dans la région. En 1892, il remporte une victoire décisive contre ses rivaux et a la main sur la région. Les Allemands essayent de signer un traité de protection avec lui, mais Hendrik Witbooi refuse. Entre 1893 et 1894, des affrontements ont lieu avec les Allemands jusqu’à ce que Witbooi signe un traité lui garantissant son indépendance, son territoire et ses armes. Witbooi devra fournir des hommes à l’armée coloniale allemande. En 1904, les Allemands exterminent les Hereros qui se sont révoltés. Peu après, Witbooi rompt le traité de paix et se dresse contre l’occupant allemand. D’autres chefs le rejoignent. En 1905, Witbooi trouve la mort dans une attaque. La résistance sera définitivement matée en 1909, et les insurgés seront envoyés dans des camps de concentration.