Évènements

1956 (Léopoldville)

Le contre-manifeste de l'ABAKO - 23 août 1956

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EXTRAITS :

1.Questions politiques

A. Généralités

Parmis les points faibles du manifeste, nous avons surtout retenu celui de la politique: (…) Il doit être mis fin au régime de substitution arbitraire qui a valu au Congo le titre de l’empire du silence. C’est ainsi que l’Etat indépendant du Congo ne fut qu’un simulacre d’indépendance 24 ans durant. Personne, en effet, des nôtres ne se trouvait à la conférence de Berlin. Et cependant tout y fut décidé pour nous. ET puisque tout était dit et fait pour nous, on mit plus de poids sur la liberté du commerce, quant à civiliser les autochtones, on fit une simple déclaration platonique. Tout était indépendant, le Congo ne possédait ni Souverain de sa race, ou tout au moins de son choix, ni un gouvernement de son goût; les citoyens ne furent jamais citoyens. (…)

Notre position est nette nous réclamons : 1) Les droits politiques; 2) Toutes les libertés, c’est-à-dire: liberté individuellle, de pensée, d’opinion et de presse; liberté de réunion, d’association, de conscience et des cultes. Par liberté, nous entendons évidemment le droit de faire tout ce qui ne nuit pas au prochain; donc qui n’est pas interdit par la loi. L’heure des indécisions, de la terreur et des vains soupçons est résolue. (…)

B. Plan de 30 ans

(…) nous n’aspirons pas à collaborer à l’élaboration de ce plan, mais à son annulation pure et simple parce que son application ne ferait que retarder le Congo davantage. (…) Notre patience a déjà dépassé les bornes. Puisque l’heure est venue, il faut nous accorder aujourd’hui même l’émancipation (plutôt) que de la retarder encore de 30 ans. « Des émancipations tardives, l’histoire n’en a jamais connu, parce que quand l’heure est venue, les peuples n’attendent pas. Si l’on tarde, ce n’est plus l’émancipation qui termine la crise: c’est la haine, la révolte, la rupture» (…)

C. L’union congolaise

Nous avons dit plus haut que c’est une pure utopie de vouloir rallier tous les Congolais à une même opinion. (…)  et puisque la vraie union des peuples congolais ne pourra se réaliser que par la voie de l’évolution politique, cette évolution dans le sens du progrès démocratique doit commencer d’abord sur la base de ce qui existe. Cela veut dire que les groupes historiquement, ethniquement et linguistiquement unis ou apparentés s’organisent pour former autant de partis politiques. Chaque « parti » élirait ses représentants. Comme dans tous les pays démocratiques, le nombre de mandataires serait en rapport avec la population représentée.

D. Communauté belgo-congolaise

Le problème qui semble le plus préoccuper les hommes politiques belges de l’heure est celui « des liens institutionnels paritaires entre la Belgique et le Congo » au’ cas où ce dernier viendrait à acquérir son émancipation. Quelle est notre attitude? (…) En effet, avant de songer à la fondation d’une telle communauté, les Belges doivent se rendre compte que celle-ci ne doit pas être sollicitée, ni imposée, mais librement voulue et acceptée. (…)

Tout de même, peut-on concevoir, comment ce Congo, 80 fois plus grand que la Belgique, pourrait devenir sa « dixième province »? Une caricature de communauté qui serait calquée sur la fameuse Union Française n’est pas du tout plausible, pour nous; elle n’est qu’une facon mitigée de la domination. Peut-être un Commonwealth de modèle britannique serait souhaitable.

2. Questions sociales et économiques

A. Vie sociale et salaires

Sur le plan purement social, la division de la population en couches (évolués et masse) est à déconseiller. Bien qu’il y ait des élites, tout est masse et tout est citoyen. Dans aucun pays civilisé on ne donne des certificats pour distinguer les élites de la masse. (…) Nous ne nous attarderons pas longtemps sur la question des salaires (…) Si l’on veut que le noir donne un bon rendement au travail, il n’y a qu’un seul remède: reconnaître ses peines et lui accorder un salaire vraiment en rapport avec le service rendu, car un bon salaire conditionne un bon rendement.(…)

B. Africanisation des cadres

On parle ces jours en A.E.F. d’une africanisation des cadres. Nous pensons que c’est aussi le moment de songer à une « congolisation » des cadres dans l’Administration aussi bien que dans les entreprises privées. Ici encore, le manque d’élites universitaires ne doit pas servir de prétexte à vouloir caser les noirs dans les cadres inférieurs. Parfois ce n’est que du colour-bar, de la pure jalousie. Quelles places occupent les éléments sortis de l’Ecole d’Administration de Kisantu 1 … Où vont ceux de l’Ecole d’Art Saint-Luc ? … Les Assistants Médicaux sont-ils comparables aux simples agents sanitaires européens ? …

Nous ne demandons pas de fonctions comme celles dévolues à notre fameux Chef de Cité de Léopoldville où le noir n’est qu’un pur drapeau, fonctions qu’un malin inventa dans l’unique but politique de fausser l’opinion mondiale, mais de vraies fonctions où le noir assume de réelles responsabilités avec toute la latitude voulue. D’ailleurs, si nous manquons d’élites, c’est à eux, les Belges, à s’en battre la coulpe (…).

Source : L’Avenir, 24-25-26 août 1956.