Chapitre 4. De la culture gangstériste

Germain Kuna Maba Mambuku

Dans Le phénomène Kuluna à Kinshasa, Pages 75-82 (Editions M.E.S)

CHAPITRE IV

 DE LA CULTURE GANGSTERISTE

 

Le gangstérisme est tout un mode de vie, donc une culture. Ainsi pour percer le mythe de leurs secrets, il importe de pénétrer dans leur réseau. C’est bien là qu’on y cerne leur langage codé. Ce n’est pas tout, car les gangsters se distinguent aussi par des signes extérieurs très variés et significatifs. C’est ce que nous exposons dans les pages qui suivent.

1.  LE LANGAGE GANGSTERISTE

 

Comme mode de communication, le langage permet de reconnaître les gangsters. Ils s’expriment dans la langue lingala pleine de jargons délectables qui renferment tous un sens. Les phrases sont presque inamovibles si bien qu’il est difficile de comprendre ce qu’ils disent si vous n’êtes pas initiés. Ils ont par ailleurs développé un langage gestuel très original. Le tableau ci-après reprend quelques expressions lexicologiques.

 

Tableau XI. Les jargons courants des gangsters

 

JARGONS EXLICATIONS
1. Benda bilili (tirer les illusions) imaginer ce qu’il faut faire pour tromper la vigilance
2. Bi boma mboka ! mettre tout en moule
3. Bindre 

 

un naïf
4. Botisa ba incompréhension (faire naître des incompréhensions) :

 

créer une situation vile pour rafler à une personne de tous ses biens.
5. Business 

 

Batailles rangées entre les gangs
6. Chida  les affaires, une coopération
7. Igende –Igende  c’est l’action de voler
8. Kayt.  un homme éveillé
9. Kotisa boule

 

 

(introduire une boule) : c’est agir sans réfléchir. Il en va de l’oublie de toute notion du bien et du mal. Il faut simplement tout casser
10. Likasa   (feuille). les fétiches
11. Lia libende ou Torage (manger du fer). C’est sont les exercices corporels qui consistent à soulever une masse de fer pour développer la partie thoracique et les biceps
12. Lia livance 

 

provoquer une situation qui devra conduire au business
13. Magrokoto tout est en forme
14. Miya mama !!! formule d’exclamation
15. Nzodjing une opération devant rapporter de l’argent
16. Roter chercher une situation pour une aventure
17. Sopa boule  (renverser une boule) : c’est le fait de trahir
18. Tshia ye ba bord   donner la mort
19. Tshuku tshuku : une bonne affaire ayant rapporté beaucoup d’argents. C’est aussi le synonyme de vol, larcin ou un acte de sabotage.
19. Tshia ye nzongo nzongo humilier quelqu’un par tous les moyens. Par exemple : dépouiller quelqu’un de ses habits et le renvoyer en sous vêtement
20. Uke  la femme (les copines)
21. Zialele dominer
22. Zembe une prédisposition interne qui rend quelqu’un capable de prendre n’importe quel risque sans jamais en être inquiété

 

2.  QUELQUES SIGNES DISTINCTIFS DES GANGSTERS

Plusieurs indices permettent de reconnaître un gangster sans trop de circonspections. Certes, comme le dit si bien le vieil adage : l’habit ne fait pas le moine, mais l’on peut reconnaître un moine à partir de son  habit. Il en est autant pour les gangsters dont la fioriture extérieure est si éloquente au point qu’il est facile de les reconnaître à simple vue.

Nous exposons les marques physiques et l’accoutrement comme les  éléments constitutifs de cette parure extérieure.

2.1.  Les marques physiques

 

Plusieurs marques remarquables jonchent le corps des gangsters parmi lesquelles nous pouvons citer :

  • Les croûtes noires au niveau des doigts. Ces croûtes confèrent respect à son détenteur. Elles déterminent que le gangster est fort, souple et a de puissants coups.
  • Des tatouages sur le corps. Certains sont visibles tandis que d’autres non. Ces tatouages sont inscrits en encre noire et reprennent quelques dessins comme l’épée, la flèche, le crâne défoncé symbolisant le danger de mort,…
  • Le développent remarquable des muscles. Ce développement voulu est le fruit du « torage ».
  • Une coiffure dégingandée. Très souvent, les gangsters ont une coiffure assez particulière. Certains d’entre eux prennent le soin de défriser ou de se faire tresser les cheveux à l’instar des filles. D’autres par contre gardent le style rasta.

2.2.  L’accoutrement

 

L’un des signes distinctifs des gangsters est l’accoutrement. En effet, les gangsters ont tendance de se vêtir de manière extravagante et désordonnée. Cette manière grotesque de s’habiller fait penser à simple regard, à la voyoucratie.

Ils sont généralement habillés en jean, sale du reste, taillader volontairement, sur lequel l’on peut lire différents mots, écrits avec ou sans faute d’orthographe ainsi que quelques dessins fantaisistes. Un T-shirt démesuré laissant dessiner le torse ou alors trop ample pour être porté, couvre désharmonieusement la partie supérieure du corps. Bracelets[1] au tour de biceps, grosse chaînette traditionnelle avec médaille suspendue au coup à l’image des marabouts, et, boots ou chaussures simples aux pieds.

Certains gangsters par contre s’habillent indistinctement si bien qu’il est difficile de les reconnaître de par leur accoutrement. Généralement, ce sont les chefs des gangs, qui pour des raisons des contacts prennent le soin de bien s’habiller pour éviter tout refus d’accès. Cependant, en dépit de cette dissimilation volontaire, les tatouages sur le corps et surtout les croûtes bien développées sur les doigts trahissent souvent les gangsters.

3. AUTRES TRAITS CARACTERISTIQUES DU MODE DE VIE GANGSTERISTE

 

La vie au sein d’un gang est d’une ambiance bon enfant. L’interaction y est violente. Chacun est astreint au respect des règles du groupe. Ils ont ainsi forgé un mode de vie en groupe qui leur est propre. C’est justement ce mode de vie qui influence leurs mœurs à tout point de vue. Fuyant les conditions de vie familiale qu’ils n’arrivent plus à supporter, les gangsters préfèrent mener leur vie entre eux. Même ceux-là qui résident encore chez les parents finissent un certain moment de s’y échapper pour rejoindre la bande où il retrouvera sa place.

De manière systématique, nous arborerons quelques caractéristiques du mode de vie gangstériste notamment :

  • Las gangsters mènent une vie communautaire. Ces groupes constituent une forme de coopérative dont les membres partagent l’argent et les biens qu’ils se sont procurés par le vol. Les gangsters traînent souvent ensemble. Ils se promènent avec des lames de rasoir et des couteaux artisanaux. Ils se défendent et se protègent mutuellement contre les attaques et menaces extérieures ;
  • Les gangsters ont chacun un sobriquet qui sont généralement inspirés des faits et phénomènes naturels ou encore d’un personnage mythique. C’est ainsi que certains gangsters portent le nom de « Kibomango » (Nom d’un centre de formation militaire situé à l’Ouest de Kinshasa), mbonge (Vague), moto (le feu), mopepe (le vent), libabe (mauvais sort),… Ils obtiennent ces sobriquets en guise de totem une fois que leur adhésion au gang est confirmée. Ils sont, dès lors, obligés de vivre et d’agir subséquemment à leur sobriquet ;
  • Ils ont aussi une manière particulière de se saluer. Celle-ci se rapporte à plusieurs gesticulations de la main et du poing de la main sans que les paumes de main ne se rencontrent ;
  • Ils consomment des stupéfiants comme le chanvre et les somnifères en quantité abusive. Ils ont des tentes dans les petites forêts où ils se retranchent pour se droguer. Cette intoxication leur permet souvent d’agir sans scrupule ;
  • L’activité sexuelle est l’un des loisirs par excellence des gangsters. Ils n’hésitent pas d’enlever des filles qu’ils réduisent en esclaves sexuels ;
  • La vie familiale leur est hostile. Ils préfèrent vivre dans des castes. Ils ont construit des taudis où ils habitent. D’autres encore louent des studios où ils vivent en nombre illimité.

4. L’INITIATION AU GANGSTERISME

 

4.1.  Les enseignements initiatiques.

Les enseignements que reçoivent les nouveaux gangsters sont loin du cartésianisme. Ces enseignements sont oraux et en vrac. L’objectif principal consiste à légitimer leurs actions de sorte que les nouveaux membres puissent les trouver normales, importantes et indispensables pour leur « bonheur ».

Ils n’ont pas besoin de beaucoup de temps pour intérioriser ces notions ; car, de la théorie à l’expérimentation, il  n’ y a qu’un pas.  Dès lors, les jeunes gangsters sont dans la remorque des routiniers, ils apprennent et appliquent au même moment les théories de la vie de la rue. C’est ainsi par exemple qu’on demande aux nouveaux adhérents de pratiquer des essais de vol sans se faire prendre et cela sous la haute surveillance et couverture des professionnels.

Revenant aux théories, nous y retrouvons parmi lesquelles plusieurs notions controverses.  A titre exemplatif, soulignons l’une de ces notions qui dit : « que l’on ne peut pas gagner la vie honnêtement. Il en est ainsi parce que tous ceux qui réussissent dans la vie et qui possèdent beaucoup de biens matériels volent toujours quelque part. par conséquent, pour bien vivre et devenir un homme fort et riche, il requiert inévitablement de recourir au vol. Néanmoins, il faut simplement savoir bien voler. Pour cela donc, il faut éviter la peur à tout prix. Mais aussi faudra t-il  avoir le « likasa » qui veut dire les fétiches ».

4.2. Le recours aux fétiches

 

Il est curieux de remarquer que les gangsters croient à foison aux gris-gris. Le rôle de ces fétiches est de les protéger contre tout ce qui pourrait porter atteinte à leur sûreté ; sûreté pour ne pas parler de protection. De cette manière, ils peuvent se rendre invisibles au cas où ils sont recherchés.  Ou encore, passer outre la justice malgré les crimes commis. Mais aussi vont-ils chercher des gris-gris pour devenir riche. En effet, la plupart d’entre eux sont convaincus que les fétiches peuvent faire de quelqu’un riche. Ainsi apprend-t-on aux jeunes dès leur adhésion de se procurer des fétiches comme gages de protection.

S’appuyant sur cet impératif, les jeunes gangsters, accompagnés des anciens se rendent chez le soi disant « dispensateur de la protection ». Celui-ci, leur applique des tatouages (Kamon[2]) sur les corps. Il s’agit en effet des mutilations sur le corps à l’aide des lames de rasoir. Sur les endroits qui saignent; et c’est généralement sur la tête, les deux mains et les deux pieds, on applique du cendre des bêtes sauvages. Par ailleurs, les féticheurs leur donnent des fils à porter autour du rein. Dans certains cas, ils reçoivent divers objets à utiliser selon les prescriptions du féticheur.

Une fois ces pratiques initiatiques achevées, les nouveaux  gangsters peuvent d’ores et déjà se considérer comme membres à part entière du groupe. Ils sont, par ricochet, capables de tout coup.

4.3.  Les exercices corporels

Dans le jargon des gangsters, les exercices corporels portent le nom d’« entraînement. » Il s’agit précisément des exercices musculaires pour maintenir la souplesse et la rigidité du corps.

Généralement, chaque gang a son horaire et son lieu d’entraînements. Souvent, ces entraînements se font le soir à partir de 19 heures dans les terrains municipaux ou dans des maisons inachevées. Chantant et dansant au rythme des chansons obscènes, ces sportifs informels attirent la curiosité de plus d’un. C’est dans ces moments là que se fait le recrutement de nouveaux membres.

Et les jeunes gangsters se confirment au regard de leurs prestations dans les entraînements. Le Maître ne doute pas de conférer des ceintures de mérite aux élèves qui se démarquent. Ces derniers rejoignent alors le niveau supérieur composé de la ceinture du Maître. A ce changement d’étape, correspond le degré élevé de la culture gangstériste.

Notes de bas de page

[1] Il s’agit des rondelles en caoutchouc noir que l’on récupère du filtre à huile du moteur de véhicule.

[2] « kamon » : formes des tatouages.